Côte d’ivoire: Vers l’éclatement de la CEDEAO et de L’UA ?

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 4 mars 2011 11 h 44 min

Chaque jour qui passe ajoute de l’huile au feu qui brûle en CI. Et les pays occidentaux et l’Onu qui tiennent à leur ‘président’ comme à la prunelle de leurs yeux, l’attisent par des sanctions qui vont crescendo contre Gbagbo et ses proches. Les rebelles, – alliés de l’ONUCI ? -, attaquent et tuent des soldats de l’Armée régulière ivoirienne.

Ces derniers ripostent et reçoivent de l’Onu des menaces de poursuites pour crimes contre l’humanité. Le message de l’Onu aux forces restées fidèles à Gbagbo est donc clair : laissez-vous canarder par les rebelles sans réagir, sinon c’est la CPI ! Dans quel monde sommes-nous ? Pourquoi l’Onu ne tempère-t-elle pas l’ardeur des adversaires de Gbagbo qui cherchent à marcher sur les institutions de la république ?

Comme Gbagbo n’est pas légitime, il n’a aucun droit, même pas celle de se défendre. Pourtant il a indiqué des cas de fraude dans le Nord avec chiffres à l’appui et demandé à la ‘Communauté internationale le recomptage des voix. Mais pour toute réaction, cette dernière lui demande de céder sans délai le pouvoir à Ouattara. Pourtant, il est établi – et personne ne peut le nier – que dans plusieurs bureaux de vote du Nord le Président élu par la CEI et par l’Onu a engrangé des suffrages deux fois supérieurs au nombre des inscrits. Les Experts Electoraux Africains présents lors du scrutin ont relevé de graves irrégularités dans une bonne partie du Nord. Mais comme ce sont des Africains, leur voix ne compte pas ! On ne doit écouter que Bakayoko de la CEI et Choi de l’Onu !

Ce qui est causasse dans l’imbroglio ivoirien, c’est que le président reconnu par l’Occident, après s’être rendu compte que le peuple qui l’a ‘élu’ reste de marbre devant ses multiples appels à la grève générale et à la désobéissance civile, il se rabat sur l’extérieur pour retrouver son fauteuil usurpé par l’autre ! Quel paradoxe ! Le problème de la Côte d’Ivoire, il faut avoir le courage de le dire, pourrait bien être Ouattara ! On a l’impression qu’Il cherche à diriger les Ivoiriens quoique cela puisse coûter au pays.

Certainement pour laver l’affront de Bédié – son ennemi d’hier et ‘allié’ d’aujourd’hui – qui l’a sans nul doute traumatisé en lui niant son ‘ivoirité’ au lendemain de la mort de Houphouët. Il s’est servi hier des rebelles, sans succès. Aujourd’hui, il implore l’Onu, la France et les Etats Unis d’ordonner à la CEDEAO d’aller au charbon. A la place du peuple ivoirien qui visiblement ne compte plus. Mais les braises risquent d’être bien ardentes…

La leçon tunisienne est encore fraîche dans nos mémoires… Qui a fait partir le redouté Ben Ali ? La Ligue Arabe ? L’Onu ? C’est bien le peuple tunisien. Et franchement, nous applaudirions des deux mains si le peuple de Côte d’Ivoire sortait comme un seul homme et balayait Gbagbo.

Pour nous ce dernier ne compte pas face au peuple ivoirien qui doit se choisir son président et demeurer maître de son destin. Mais l’échec des journées « pays mort » initiées par Ouattara montre à ceux qui veulent voir le soleil si brûlant au-dessus de nos têtes, que Gbagbo n’est pas si vomi par son peuple que certains le prétendent. Et c’est ce président que la CEDEAO veut aller déloger comme un malpropre ? Comme si eux, les autres chefs d’Etat de la sous-région, incarnaient l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest ! Faut-il en rire ou en pleurer ?

Nous devons nous poser les questions suivantes : La CEDEAO aime-t-elle plus la CI que les Ivoiriens eux-mêmes ? Qu’est-ce qui la motive ? Est-elle libre de ses mouvements ? Va-t-elle exécuter des ordres, la tête baissée ? Nos dirigeants ne savent-ils pas qu’on n’envahit pas un pays comme cela, fût-il le plus faible du monde ? Le repli identitaire au niveau national et international risque de surprendre et de porter la guerre bien au-delà des frontières de la CI. Le Sud du pays peut resserrer les rangs contre le Nord. Et les pays africains dirigés par des partis de Gauche comme le MPLA, le FRELIMO, l’ANC, le PAIGC et la SWAPO, entre autres, peuvent bien se coaliser pour faire face aux pays aux ordres de l’Occident.

Nous insistons sur le fait que le conflit en CI est plus identitaire que purement politique, parce que foncièrement culturel, ethnique et religieux. Cela Choi de l’Onu le comprend-il ? La CI n’est pas un pays homogène. Il est très fortement clivé : un Nord essentiellement Sahélien, ‘Burkinabè-malien’, malinké et musulman et un Sud plutôt Forestier, ‘autochtone’, Baoulé-Bété et chrétien. C’est cela le véritable casse-tête ivoirien que la forte personnalité de Houphouët avait réussi à juguler le temps d’un règne. Mais que l’alliance contre nature entre Ouattara et Bédié peine à cacher.

C’est d’ailleurs cette réalité ethnique et culturelle explosive qui explique le soutien dont bénéficie Ouattara de la part de certains dirigeants de la CEDEAO et de l’UEMOA, même si tout le monde semble éluder le débat. Le Burkina Faso de Blaise Compaoré (pays du père de Ouattara), le Mali de Amadou Toumani Touré, le Sierra Leone de Ernest Bai Kroma, la Guinée-Conakry de Alpha Condé, la Guinée-Bissau, sont des pays Malinkés qui voient en Ouattara un des leurs. Même le Sénégal est concerné malgré les apparences qui en font un pays wolof.

Si la CEDEAO perd la raison et attaque la CI, cela pourrait conduire à une situation totalement inattendue : des pays de la Communauté comme le Cap Vert, la Gambie, le Ghana qui ont exprimé haut et fort leur opposition à toute intervention militaire en CI pourraient se sentir humiliés et se ranger machinalement derrière Gbagbo contre les ‘agresseurs’. Ils pourraient aussi envisager leur retrait de la CEDEAO qui serait perçue comme un instrument au service de la France, des EU, de la GB et de l’Onu.

La frustration pourrait gagner d’autres pays au-delà de la CEDEAO et avoir des répercussions dévastatrices sur l’Union Africaine elle-même. L’Angola, un vétéran de la guerre de libération nationale contre le Portugal des dictatures, a, par la voix autorisée de son président, fait une déclaration qui a le ton d’un avertissement pour qui sait lire entre les phrases. Dos Santos a dit sans détour que vu le contexte dans lequel elles ont été organisées dans un pays divisé et contrôlé dans sa partie Nord par la rébellion, les élections sont nulles et de nul effet.

Cependant, pour lui, Gbagbo doit rester au pouvoir pour éviter à la CI un vide institutionnel. Si la CEDEAO fait fi de cette voix discordante, elle court de gros risques. L’Angola, qui a maintenant le soutien de la Guinée Equatoriale, a bien les moyens financiers et militaires de venir en aide au ‘camarade’ Gbagbo, que beaucoup de nationalistes africains commencent à percevoir comme un martyr car son cas rappelle bien celui d’un certain Patrice Lumumba.

Et avec le président sud-africain Zuma qui commence à parler le même langage que ses ‘camarades’ angolais en invitant la Communauté internationale à tenir compte de la requête de Gbagbo (recomptage des voix par une commission internationale) la situation semble bien se compliquer pour la CEDEAO. D’autant plus qu’elle ne peut se baser sur aucun texte juridique pour justifier une action militaire contre Gbagbo élu par le Conseil constitutionnel de son pays. Elle a plutôt l’obligation de respecter les institutions des différents pays membres.

Nous estimons donc que si on n’y prend garde, la crise postélectorale en CI risque de déboucher sur une autre crise à l’échelle du Continent et conduire à l’éclatement de la CEDEAO et de l’UA. Nous avons la certitude que l’Angola et l’Afrique du Sud ne resteront pas les bras croisés si la CEDEAO franchit le Rubicon. Et à qui va profiter une telle situation lourde de dangers ? A ceux qui incitent les Africains à s’entretuer pour freiner la marche de l’Afrique vers son unité organique sans laquelle il n’y ni développement durable ni indépendance véritable.

Lamine Sène

Pr. Gorgui Dieng, Laboratoire d’Etudes Africaines et Postcoloniales, UCAD

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