by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 6 décembre 2014 1 h 17 min
Faustin Kouamé : Je voudrais vous remercier pour l’occasion que vous me donnez de parler aux Ivoiriens. Non, je ne ressurgis pas dans le débat politique. J’essaie d’éclairer le débat politique.
N.v : Le jeudi 31 juillet dernier à l’hôtel Pullman au Plateau (Abidjan), vous avez présenté un résumé de votre livre à paraitre. Mais avant, vous avez dit dans un quotidien de la place que l’actuel chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara, a souffert de l’ivoirité, Que vouliez-vous dire?
FK : Prenons ensemble le journal le Patriote daté du 31 juillet 2014 et lisons la question et la réponse. la question est la suivante : «S’il y a pourtant une personnalité qui a bien souffert de ce concept à l’échelle national, c’est bien le président Alassane Ouattara qui préside aujourd’hui aux destinés de la Côte d’Ivoire. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ? Réponse de me Faustin Kouamé : « oui, certainement, le président Ouattara a souffert de ce concept tout comme le président Bédié du coup d’Etat militaire du 24 décembre 1999 et des milliers de personnes de la rébellion du 19 septembre 2002. mais malgré tout, avançons ! ». Voilà ce que j’ai dit.
N.V : Pourquoi établissez-vous un parallèle entre l’ivoirité dont M. Ouattara a souffert et le coup d’etat qui a renversé M.Bédié ?
FK: A la convention du PDCI-RDA, dans son programme de campagne présidentielle, le président bédié a annoncé et précisé le concept de l’ivoirité qui est un programme d’actions, un programme de vie. et un ivoirien peut s’affranchir de l’ivoirité, s’il n’incarne pas les valeurs de paix, d’union, de discipline et travail. Tout comme un étranger peut intégrer l’ivoirité. Donc c’est très clair à ce niveau-là. Mais en politique, vous pouvez utiliser tous les concepts pour atteindre les objectifs que vous voulez. Nous, qui avons souffert du coup d’état, savons que la junte au pouvoir était conduite par le général Guéi. Je crois qu’il convient de s’arrêter là.
N.v : A la conférence de présentation de votre ouvrage à l’hôtel Pullman, vous avez dit que la certification de l’Onu avait valeur supra constitutionnelle pendant la présidentielle de 2010. Qu’est-ce qui justifie cette position ?
FK : La constitution ivoirienne est claire. Les traités, les accords internationaux régulièrement signés ont force de loi supérieure à la constitution et aux lois internes. Donc c’est Clair pour tout le monde, les résolutions de l’Onu ont autorité sur le droit de tous les états membres de l’ONU.
N.V : C’est la résolution 1765 de l’Onu adoptée le 17 juillet 2007 qui détermine la certification. Dans son préambule, cette résolution réaffirme le respect de la souveraineté et l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Comment comprenez-vous cela ?
FK : Nous sommes tout à fait d’accord. Mais c’est de façon souveraine que la Côte d’Ivoire a mis dans sa constitution que les traités et conventions signés ont une valeur supérieure à la loi fondamentale et aux normes internes.
N.v : Comme vous le dites, ce sont les traités et conventions régulièrement signés, c’est-à-dire des accords auxquels la Côte d’Ivoire est partie prenante. Alors que les résolutions de l’Onu ont été imposées au pays…
FK : Effectivement, on ne signe pas dès lors qu’il s’agit d’une résolution des Nations unies, d’une résolution de l’Union africaine, d’une résolution de la CEDEAO et que Vous êtes état membre. Une fois que la résolution est adoptée à l’unanimité, elle s’impose à vous.
N.v : Une résolution de l’Onu est donc supérieure, selon vous, aux constitutions de tous les Etats membres ?
FK : Evidemment, de tous les états membres sur la question donnée uniquement. Vous savez, en réalité, l’article 98 de la constitution relatif à la portée erga omnes des décisions du Conseil constitutionnel dit que les décisions du Conseil constitutionnel ont une portée absolue, elles s’imposent à toute autorité civile, militaire, administrative. Cela été le cas pour les élections de 1960 jusqu’à 2010. Dans cet intervalle de temps, les élections se sont déroulées dans un cadre de droit national. en 2010, les différents acteurs, sans exception, se sont mis d’accord pour que les élections se déroulent dans un cadre surpra national. Au début, la certification ne devrait pas s’étendre aux décisions du Conseil constitutionnel. A Pretoria, peut-être ignorant la portée de la certification, on a demandé qu’elle s’étende à la décision du Conseil constitutionnel. Parce que personne ne faisait confiance à personne. A partir de là, cette résolution prise avait autorité supérieure à toutes les décisions eu égard aux élections. d’ailleurs, le Conseil constitutionnel le reconnait dans la décision du 4 mai 2011 proclamant Alassane Ouattara, président de la république.
N.v : Il y a eu la certification, mais aussi la Commission électorale indépendante (CEI) a donné des résultats provisoires hors délai, comment analysez-vous cela ?
FK : Je suis désolé et je le développe dans le livre à paraitre. Concernant cette question de délai, tout le monde était à côté de la plaque. Ni le texte électoral, ni la constitution ne prévoit de délai de trois jours. en 1994, Emile Constant Bombet, alors ministre de l’Intérieur, et moi avons défendu le premier texte du code électoral. Il y a eu des débats sur la question du délai. Et nous avons estimé qu’à un certain niveau de responsabilité, on n’a pas besoin de délai pour faire le travail. Parce que si par malheur, on crée une situation qui rend impossible le respect du délai, on fait quoi ? Il n’y pas de délai, c’est une question de bon sens et je mets quiconque au défi d’indiquer un texte. Car tous ceux qui parlent de délai ne visent pas de texte.
N.v : Youssouf Bakayoko, le président de la CEI, a donné les résultats provisoires dans le QG de campagne du candidat Alassane Dramane Ouattara. Qu’en pensez-vous ?
FK : Contrairement au Conseil constitutionnel qui est une juridiction et qui est obligé de délibérer dans ses locaux, la CEI n’a pas cette obligation. Et je dénonce que le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs à la présidence de la république. Ce qui est plus grave en vertu de la séparation des pouvoirs. Aucune juridiction ne doit se rendre au sein de l’exécutif pour rendre sa décision. La CEI est une autorité administrative à compétence nationale. Elle peut aller partout, selon que les circonstances l’exigent. C’est moins grave que le Conseil constitutionnel qui se déplace pour siéger à la présidence de la république.
N.v : Des résultats provisoires certifiés deviennent donc définitifs, selon vous?
FK : Il ne peut jamais avoir de définitif sans le provisoire. En revanche, le provisoire devient définitif lorsque le définitif n’est pas validé. Si la Cei n’avait pas statué, on était bloqué à jamais. Parce que le 29 mai 2005, le président Gbagbo en vertu de l’article 48 a pris une décision qui dit que la CEI est la seule organisation responsable du processus électoral. Le Conseil constitutionnel n’intervient éventuellement que s’il y a des recours.
N.v : Si on devrait établir une hiérarchie entre les deux organismes ?
FK : Il n’y a pas de hiérarchie entre une juridiction et autorité administrative. Les décisions du président de la république peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, mais cela ne veut pas dire que le Conseil est au dessus du président. Il y a une hiérarchie entre le tribunal de première instance, la Cour d’Appel et la Cour suprême. Donc le conseil constitutionnel n’est pas au dessus de la CEI, ce n’est même pas envisageable.
N.v : vous avez affirmé, lors de la présentation de votre livre, que c’est le Conseil constitutionnel qui a précipité la Côte d’ivoire dans la crise. Que lui reprochez-vous?
FK : Le Conseil constitutionnel a une compétence liée. L’article 104 du code électoral dispose qu’en cas d’irrégularités graves portant atteinte à la sincérité du scrutin et de nature à affecter les résultats d’ensemble de l’élection, le Conseil constitutionnel prononce l’annulation du scrutin. Alinéa 2 : une nouvelle élection est donc prévue, 30 à 40 jours sur proposition de la CEI. Pour les élections de 2010, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il y a eu irrégularités graves au sens de l’article 104. tout ce que la loi lui permet de faire, c’est de prononcer l’annulation.
N.v : Mais c’est ce que le Conseil Constitutionnel a fait. Il a prononcé l’annulation partielle…
FK : Le Conseil constitutionnel est allé au-delà et c’est inconcevable. Après avoir annulé, il a fait du redressement. Or le vote est sacré et l’annulation en droit remet les parties dans leur position initiale. Cela signifie que dans les départements où le vote a été annulé, les gens n’ont pas voté, donc il faut les faire voter. Proclamer les résultats sans que les gens ne votent, c’est cela, la faute du Conseil constitutionnel. En d’autres termes, alors qu’il avait une compétence liée, le Conseil, de manière délibérée, s’est cru autorisé à redresser les résultats. Ce qui n’existe pas d’ailleurs en droit électoral. L’annulation peut être partielle ou totale. Mais dans tous les cas, l’élection doit être reprise partiellement ou totalement.
N.v : Dans votre livre, vous préconisez un report de la présidentielle de 2015. et vous dites que le candidat Alassane Ouattara n’est pas éligible. Ce report, c’est pour lui permettre de modifier les textes ?
FK : Vous ramenez toujours les questions d’intérêt général à des personnes. La raison fondamentale pour laquelle je suggère le report, c’est pour éviter un blocage institutionnel. Imaginez qu’à l’issue des élections de 2015, on a l’alternance, la majorité au parlement étant RDR, il y aura blocage institutionnel.
N.v : Dans la perspective de la présidentielle de 2015, quelle pourrait-être, selon vous, la réponse du Conseil constitutionnel au candidat Ouattara ?
FK : D’abord, il faut présenter un dossier et je ne connais pas le contenu du dossier qu’il va présenter. Mais je dis tous ceux qui ont bénéficié de la décision du 5 mai 2005 prise sur la base de Linas-Marcoussis et de Pretoria, à cause de l’adverbe « uniquement », ne sont pas éligibles. A l’approche des élections et pendant la campagne, tous les hommes politiques étaient si préoccupés par les questions politiques que leurs juristes n’ont pas eu le temps de soulever ce point. L’article 35 de la constitution dit que le candidat élu Président de la république est rééligible une fois. Il aurait fallu l’harmoniser avec la décision du 5 mai 2005. Au bas mot, les marcoussistes auraient dû régler cette exception ne serait-ce qu’en conformité avec l’article 35. Sinon, venir dire à un président qui est au pouvoir qu’il n’est pas candidat, c’est illogique.
N.v : Voulez-vous dire que le chef de l’etat actuel peut être candidat parce qu’il est déjà au pouvoir ?
FK : En l’état actuel des textes, si vous prenez les différents présidents : Ouattara, Bédié, Soro. Seul Soro Guillaume est éligible.
N.v : Dans votre livre, il est aussi question de la CEI. Pour l’opposition, le pouvoir est surreprésenté au sein de la commission actuelle. Qu’en dites-vous?
FK : Cela a toujours été le cas. Et dans le livre, il y a tout un chapitre sur la problématique de l’indépendance. Pour moi, peu importe aux formations politiques auxquelles appartiennent les membres. La seule question à poser, s’agit-il de personnes capables de dépassement de soi, de faire preuve de neutralité dans l’intérêt général.
N.v : en ce qui concerne la crise post-électorale et ses conséquences, avez-vous une opinion sur la façon dont la procédure judiciaire est menée puisqu’un camp est en prison et l’autre jouit de liberté…
FK : Nous sommes dans un processus de réconciliation nationale. Est-il bon que certains soient en prison ? Est-il bon par ailleurs de revendiquer que d’autres aillent les y rejoindre, plutôt que de conjuguer nos efforts pour que ceux qui sont en prison sortent ? J’ai été garde des seaux, ministre de la justice. Je considère que la prison n’est pas une bonne chose. La réconciliation passe par la justice, mais la justice en matière de réconciliation est essentiellement sociale et réparatrice. Donc la priorité, c’est de faire en sorte que ceux qui sont en prison sortent. Et la priorité des priorités, ce sont les victimes. Il faut créer un impôt pour les salaires, fortunes et pensions de plus de 500.000 fcfa pour les victimes. Donc dès lors qu’on est engagé dans un processus de réconciliation, il faut régler la situation autrement que par la prison.
N.v : Des milliers d’ivoiriens ont souffert de la rébellion armée de 2002, certains ont été tués. Pensez-vous qu’au nom de la réconciliation, les chefs de guerre ne doivent pas être poursuivis?
FK : D’accord, mais dans ce cas, on ne fera pas les élections de 2015. Il faudra avanttout faire la réconciliation.
N.v : Donc pour vous, on ne doit pas les poursuivre?
FK : D’un point de vue normatif, pourquoi parlez-vous de chefs de guerre ? Ils sont combien. C’était sous le président Laurent Gbagbo. Il y a eu une loi d’amnistie en 2003 pour les crimes de sang, en dehors des crimes contre l’humanité et les crises de guerre. Alors, Vous ne pouvez pas prendre une loi d’amnistie et ruminer constamment ce qui s’est passé. En outre, une ordonnance amnistiante est intervenue en 2007. Cela veut dire que, par rapport à la loi d’amnistie, on n’a même pas le droit d’évoquer ce qui s’est passé le 18 septembre 2002. En droit pénal, on ne prend pas les lois comme ça parce qu’on veut régler un problème politique. Il faut assumer les lois qu’on vote.
N.v : Etes-vous toujours militant du PDCI-rDA?
FK : Evidemment. J’ai ma carte.
N.v : est-ce que votre parti aura un candidat à la présidentielle de 2015 ?
FK : Dans le statut du PDCI, l’organe suprême est le congrès qui a indiqué que le parti doit avoir un candidat. En revanche, le PDCI se trouve dans une alliance, le RHDP qui a porté le candidat du RDR au pouvoir. Et si le RHDP a plus d’un candidat, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même parce que la vocation du RHDP n’est pas de demeurer une alliance de partis après 10 ans, mais de devenir un parti unique. Donc si le RHDP veut que la candidature unique s’impose à tout le monde, il faudra qu’il se transforme en un seul et même parti avant la désignation des candidats. Si pendant dix ans, le RHDP n’a pas réussi à transformer en un parti unifié et si avant les 12 mois, il ne se transforme pas en parti unifié, il n’y a plus d’obligation juridique pour une candidature unique.
Interview réalisée par Armand Bohui
Source: Notre voie
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