by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 13 octobre 2020 20 h 10 min
A Yopougon, Issiaka Diaby est inratable dans son ensemble bleu, du masque aux babouches en passant par sa clinquante tunique en basin. Inratable aussi parce que, dans cette commune de l’ouest d’Abidjan, tout le monde connaît celui qui veut réconcilier les habitants d’un pays toujours hanté par les violences de 2010-2011 nées du refus du président Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale face à Alassane Ouattara.
Ce matin de début octobre, le président du Collectif des victimes en Côte d’Ivoire (CVCI) a réuni les gens de Yao Séhi et Doukouré, deux quartiers voisins de Yopougon, qui s’étaient battus à l’époque. Il faut apaiser les esprits en train de s’échauffer de nouveau à l’approche de l’élection présidentielle du 31 octobre. Déminer les tensions, montées d’un cran depuis les violences du mois d’août qui ont fait une quinzaine de morts dans le pays après l’annonce de la candidature de M. Ouattara à un troisième mandat controversé.
Citoyens et membres de la chefferie de Yao Séhi accueillent avec amitié ceux de Doukouré. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, chacun exprime ses inquiétudes concernant les rumeurs qui bruissent depuis quelques semaines. On raconte qu’au moment de la poussée de fièvre en août, de jeunes hommes venus d’ailleurs auraient proposé des machettes et une somme de 60 000 francs CFA (91 euros) aux habitants de Yao Séhi pour attaquer de nuit les populations du quartier voisin.
Cela agace une femme de Doukouré, qui souhaite rester anonyme. « Moi je n’écoute pas les on-dit, ce sont les on-dit qui détruisent le pays. “On” c’est personne, juste un imbécile », dit-elle, le visage fermé. A ses côtés, Philippe Nionkonsé est moins rassuré : « Dans ces situations, les gens sont tendus, tout est possible. On le sait particulièrement ici. Il faut faire très attention à ce qu’on entend. »
Dans un pays qui a connu près de quinze ans de crise, un rien peut faire resurgir les craintes et la méfiance, surtout dans les lieux meurtris par le passé. Lors de la crise post-électorale, des miliciens pro-Gbagbo de Yao Séhi ont été accusés d’avoir tué au moins 68 personnes. Leurs corps ont été retrouvés au compte-gouttes dans au moins huit fosses communes par des membres du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, autour de la mosquée de Doukouré. Celle-ci a d’ailleurs été brûlée durant la bataille d’Abidjan qui a opposé les factions des deux camps entre fin mars et début mai 2011. En représailles, les membres pro-Ouattara de Doukouré se sont retournés contre leurs bourreaux, faisant près de 60 morts à Yao Séhi, selon la Croix-Rouge.
Dans l’assemblée, ils sont nombreux à porter les stigmates des crises passées : une fille disparue, un frère tué, un membre amputé, une maison pillée. « Moi on m’a mis un pistolet sur la tempe, on a vidé ma maison, mais j’ai pardonné, assure notre habitante de Doukouré. Je n’ai jamais su qui avait fait ça mais je veux tourner la page. »
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