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Fondamentaux pour une modernité africaine : universalité particularisée

Josué Guébo

Communication dans le cadre des Conférences Memel Fotê.

Fondation Memel Fotê, Deux Plateaux Vallons.

Samedi 6 septembre 2014

Fondamentaux pour une modernité africaine : universalité particularisée

Fondamentaux pour une modernité africaine : universalité particularisée

Mes premiers mots, ce soir, seront des mots de remerciements solennels  adressés principalement au Professeur Séry Bailly, Président de la Fondation Memel Fotê, pour l’insigne honneur qu’il me fait en me permettant de prendre la parole en ce haut lieu du savoir, qu’est la Fondation Memel Fotê. Mes remerciements iront ensuite au Pr Voho Sahi, Secrétaire Général de la Fondation qui a accepté d’assurer la modération de la présente communication. Mes paroles de reconnaissance iront aussi à chacun de vous, en vos grade, rang et qualité, vous  qui avez accepté de consacrer une part importante de votre précieux temps à suivre la communication qui nous réunit. J’aimerais dire que ce qui se joue ici ce soir est de l’ordre de la modernité. Il s’agit  d’une démarche hautement progressiste : celle  d’aînés,  éminents professeurs, laissant la parole à un modeste cadet. Cette démarche s’opère non seulement par souci pédagogique, mais aussi par claire conscience d’une efficacité du dialogue des générations comme moteur d’enrichissement mutuel.

Lorsque, dans les années 90, j’étais étudiant à l’Université de Cocody, le professeur Séry Bailly était déjà le Doyen de l’Unité de Formation et de Recherche des Lettres, Littératures et Civilisations. Le Pr Voho Sahi, quant à lui, a été mon enseignant au département de philosophie de cette même université. Vous comprenez donc parfaitement l’écart intellectuel qui me sépare des figures avec lesquels je partage l’affiche, en ce jour. Ce soir, mes Maîtres ne parlent pas. Ils m’ont laissé la parole. Mais je sais que dans le silence qu’ils ont choisi, parle pour eux leur humilité. Ils ne parlent pas, mais dans la quiétude de leur présence parle pour eux, à la fois leur profonde humanité et leur réelle modernité.  Ils ne parlent pas, mais je ne suis pas dupe de ce que chacun de mes accents tient de la parole que j’ai reçu d’eux. Là est pour moi l’un des sens de la modernité : entretenir la conscience mémorielle par une consolidation rationalisée de la chaîne des générations.

J’ai dit modernité, ce concept autour duquel se jouent l’une des plus grandes aventures d’équivoque ; modernité, ce lieu du malentendu récurrent et du quiproquo constant. Naguère vanté comme  enjeu de  colonisation, ce concept se perd, à ce jour, dans les brumes d’une identification à l’occidentalisation. Or, une archéologie du mot en révèle la pluralité de sens. Dynamique, changeant et évolutif, le concept de modernité refuse de se laisser figer dans une appauvrissante cristallisation. Sous la poussée de la conjoncture historique, il se fait l’enjeu d’une variation d’acceptions. Mais qu’est-ce que la modernité ? Peut-on la circonscrire à une seule composante géographique de notre humanité ? N’est-elle pas un processus universel, progressiste et progressif ? Peut-on la prémunir contre les fraudes hégéliennes et autres farces conceptuelles, ayant naguère tenté de camper  l’Afrique comme lieu de stérilité  théorique et historique ? En quoi et à quelles conditions la modernité pourrait-elle être africaine ?

Avant d’aborder la modernité dans son rapport à l’Afrique. Répondons à la question : « Qu’est-ce que la modernité ? »

I.             La modernité selon Jacques Attali

Jacques Attali, dans son ouvrage  Histoire de la modernité  souligne que la  « La modernité désigne implicitement la conception qu’une société se fait de son avenir »[1]. Opérant ensuite une typologie de cette notion, le théoricien français distingue, à travers l’histoire, trois types de modernités qui sont : La modernité de l’être, la modernité de la foi et la modernité de la raison.

1.1.              La modernité de l’Etre

La modernité de l’Etre, nous dit Attali est advenue quand l’homme s’est dégagé  du groupe, s’est saisi dans sa propre individualité et a envisagé l’avenir comme l’opportunité de réduire ses propres peines.

1.2.              La modernité de la foi

La modernité de la foi, elle, a émergé à partir du moment où l’homme a entrevu son avenir dans une perspective de rédemption eschatologique. C’est-à-dire que dans de la modernité de la foi,  l’avenir n’a plus été envisagé ici-bas, mais  dans la perspective d’une résurrection et d’une rédemption céleste. A ce stade, ajoute  Attali «  est moderne celui qui se dépouille de ses biens au profit de l’Eglise »[2].

1.3.              La modernité  de la raison

Le troisième type de modernité qu’énonce Attali est celui de la Raison.  Celle-ci a émergé lorsque : «  Peu à peu, en Europe du nord comme en Italie, se forme une nouvelle idée de la modernité, qui n’est ni chrétienne ni grecque. Ce n’est plus la modernité de l’Etre, ni de la Foi, mais de la Raison. Ces ‘ nouveaux Modernes’ s’intéressent aux changements techniques et scientifiques, s’éloignent des valeurs chrétiennes et ne considèrent pas pour autant la pensée grecque comme seule source valable d’inspiration »[3].

Mais pour rigoureuse que soit cette lecture diachronique du concept de la modernité, par Jacques Attali, elle n’en est pas moins problématique par son ancrage européocentrique. La classification au nom de laquelle la modernité évolue de l’Etre à la Raison en passant par la Foi, est  un cheminement globalement sourd à la civilisation de l’Egypte antique. Il est pourtant aujourd’hui établi  l’antériorité de la civilisation égyptienne sur celle gréco-romaine, laquelle semble servir d’espace transcendantal à la réflexion d’ Attali. Toutefois, en définissant la modernité comme la vision qu’a une société de son avenir, Jacques Attali pose implicitement les jalons de l’universalité de la modernité.

Si chaque société peut se saisir comme un corps distinct, envisager son avenir et rêver d’un lendemain, la modernité en tant que rêve d’avenir se trouve à portée de tous. Mais si la modernité  est à  la portée de toutes sociétés, elle ne s’offre pas, pour autant,  sous le jour de la fatalité ou de la facilité. Il faut pour y accéder, surmonter un ensemble d’écueils et de pesanteurs fonctionnant sur le mode oppositionnel analogue à ce que Gaston Bachelard nomme les obstacles épistémologiques[4].

Dix pesanteurs nous sont alors paru se dresser sur le chemin d’une modernité africaine, pesanteurs dont la résorption fait écho à dix fondamentaux utiles à l’avènement d’une modernité susceptible d’être tenue pour africaine. Cette modernité ne serait pas africaine à la manière essentialiste, étant entendu que nous récusons la facétie négritudienne d’une âme noire ; mais une telle modernité adviendrait sous la forme d’une universalité particularisée.

Pour l’avènement d’une modernité africaine s’imposent alors, selon nous, les dix exigences suivantes : 1) la prise de conscience de la modernité comme vision endogène ; 2) La postulation de la modernité comme vision d’avenir ; 3) La perception de la modernité comme quête libertaire ; 4) L’affirmation de la modernité comme valorisation du sens critique ; 5) L’énonciation de la modernité comme rupture avec la mystification religieuse ; 6) La valorisation de la modernité comme quête du bien collectif ; 7) La conception  de la modernité comme appropriation du panafricanisme ; 8) La lisibilité de la modernité comme promotion de l’épargne ; 9) L’affirmation de la modernité comme  restauration de la conscience mémorielle et 10) La prise en compte de la modernité comme valorisation de la chaîne générationnelle.

Pour nous la modernité africaine doit pouvoir s’imprégner de ces dix valeurs pour advenir et se perpétuer.

II . Dix  fondamentaux pour une modernité africaine

  1. La modernité comme conception et par conséquent, vision endogène

Si elle est définie comme une conception, c’est parce que la modernité  est un acte d’intériorité. Concevoir est un acte qui procède de l’intimité. La conception porte la marque du sujet qui en est le lieu d’engeance. Il est donc inutile de rappeler que la modernité en tant que conception ne saurait être une réalité d’emprunt. Il est certain qu’une conception se forge toujours à propos d’affects divers, mais une fois adoptée ou forgée, la conception porte la marque de celui qui la possède. Avoir une conception  c’est présenter une vision particulière du réel, une approche des choses qui nous est rattachable. L’éventualité d’une convergence de conceptions n’exclut pas le caractère personnel de la conception.  Bien que tous les fleuves se jettent à la mer, les fleuves n’en ont pas moins leur originalité.  Mais si la modernité est une conception, elle reste aussi, l’avons-nous dit dans une inévitable relation à l’avenir.

2. La modernité africaine, comme  relation à l’avenir

La modernité est une vision tournée vers l’avenir et  implique l’idée de projet. Si donc l’Afrique entend opter pour la modernité, elle doit pouvoir s’affranchir d’une subordination au même. Elle doit bien intégrer que la modernité est nécessairement la mise en œuvre d’un projet. Or le projet est précisément  ce qui est escompté et donc non actuel. Enoncer un projet, c’est affirmer comme relevant du futur l’idéal recherché. Le théoricien de la modernité est donc un penseur de l’avenir, un guetteur d’aurore ou plus précisément un faiseur d’aurore. Il ne se contente pas de rêver l’avenir,  il se propose de le faire advenir. La société en quête de modernité est, pour paraphraser l’expression du poète Henri N’Koumo en « devoir d’horizon ». Mais l’avenir ne coïncide pas nécessairement avec le progrès. En d’autres termes, la seule marche du temps ne mène pas pour autant à  la modernité. Si la notion de modernité est liée à celle du futur,  elle reste le futur au sens où il fait corps avec l’idéal conçu. Est donc moderne l’objet changeant dont la stature actuelle correspond à l’idée que s’en était faite la génération précédente. Mais une idée de la modernité comme relation à l’avenir peut-elle faire l’économie de la conscience écologique ?  Peut-on aujourd’hui prétendre à la modernité en faisant fi de notre rapport à l’écosystème. Pour Harris Memel Fotê, la quête de modernité, en tant que relation à l’avenir, ne peut faire l’économie de la conscience écologique. Dans son article « Des ancêtres fondateurs aux Pères de la nation. Introduction à une anthropologie de la démocratie », Memel Fotê posant la modernité comme projet de société, recommande  deux négociations, originaire et secondaire, dans un pur esprit démocratique, entre toutes les composantes de l’environnement. Il écrit et je cite : « J’entends négociation originaire entre les âges et les sexes, les ethnies et les classes qui adhèrent à un nouveau projet de société. J’entends négociation secondaire entre les États, les sexes, les âges, les ethnies et les classes, dans un cadre régional, d’un projet économique et culturel qui convient à leurs aspirations, et dans le même mouvement, négociation avec l’environnement naturel dont nous savons maintenant que la préservation est un gage de notre survie en tant que peuple, État, nation, civilisation et humanité »[5].Pour le Philosophe ivoirien,  la modernité, en tant que projet  doit tenir compte de l’environnement dont la préservation est un gage de la survie des hommes. Si cela est valable pour toute l’humanité, une telle pensée se doit d’être soulignée avec force dans le contexte d’une Afrique en proie à des dérives comme l’importation de déchets divers. Mais entrer en modernité, élaborer un projet culturel, qui convienne, comme le dit Memel Fotê, « aux aspirations », présuppose un minimum, de liberté, un minimum d’autodétermination. C’est ainsi que la modernité en Afrique se doit d’être saisie comme quête libertaire.

3.Une quête libertaire

La notion de modernité va de pair avec celle de liberté. Penser la modernité est un acte de liberté puisqu’il procède de l’action souveraine d’une société. Si l’on s’en tient aux philosophes du Contrat social, Locke, Hobbes, et Rousseau, l’on constate que l’avènement de la modernité républicaine est contemporain de la sacralisation de la liberté. Chez Rousseau, par exemple le passage de l’état de nature à l’état civil marque une protection de la propriété et de la liberté. C’est pourquoi l’acte de modernité est un acte de souveraineté. On ne modernise jamais une société de l’extérieur. La modernisation est une démarche volontaire reposant sur une claire conscience de soi et du monde environnant. D’un tel point de vue, la colonisation, la tyrannie ou toute autre forme de gestion totalitaire de la société ne peuvent être tenus pour des actes de modernité. Prétendre moderniser une société en l’opprimant relève de la pure farce. Et la modernisation ne se mesure pas uniquement à l’aune des progrès techniques engrangés ou des infrastructures réalisées. Elle est principalement déductible du respect des libertés au sein des sociétés auxquelles elle s’applique.  La discussion théorique que propose Karl Popper dans son ouvrage « La société ouverte et ses ennemis » peut être considérée comme un acte de modernité, dans la mesure où elle tourne le dos à la barbarie tyrannique ou fasciste marquant le règne des ennemis de la société ouverte. Mais si la modernité se mesure par la garantie des libertés individuelles et collectives, elle est aussi un produit du sens critique.

4.Un produit du sens critique

Si la modernité se doit d’être pensée, conçue, c’est que son émergence est d’abord un effort de théorisation. Elle n’émerge pas de manière accidentelle mais est le résultat d’un processus conscient. Ainsi, nous nous l’avons dit, l’acte de modernisation ne se résume pas à l’érection de bâtiments huppés ou à la construction de ponts ou d’échangeurs. C’est un acte de construction de la conscience sociale, face aux désastres économiques ou humanitaires.  Dans la préface à l’ouvrage « Des paroles de Côte-d’Ivoire pour Haïti, notre devoir de conscience », Sery Bailly souligne qu’ : « Il s’agit de reconstruire nos consciences qui reconstruiront nos maisons pour la durée. Le béton de la conscience est plus résistant que celui de toutes les maisons en dur ». Le processus de modernisation n’est donc pas d’abord un processus quantitatif. C’est un processus qualitatif dans lequel la matière grise est l’authentique matière première. Aborder la question d’une modernité africaine suppose donc une claire conscience de la réalité selon laquelle plus que le capital financier, c’est la pensée critique qui précède le développement. La véritable bourse des valeurs n’étant pas celle de la spéculation mais celle qui investit  la vertu comme capital de son système d’échange.

 

5.Une rupture de l’aliénation religieuse

Mais si la modernité est liée à la conception qu’une société se fait de son avenir, il y a lieu que les sociétés africaines revisitent leur rapport aux principes suprasensibles. Marx avait déjà dénoncé l’aspect nuisible des religions sur les sociétés. Sans nous faire pourfendeur des religions, nous pouvons toutefois interroger le rapport des peuples africains à la sphère religieuse. Le constat est patent : les religions, ou du moins certains de leurs avatars, fonctionnent comme des inhibiteurs de la responsabilité individuelle et collective, par le prétexte  d’exégèses prônant chez le sujet social une faible estime de soi. Le philosophe Boa Thiémélé dénonce un tel état de fait dans son Livre « La sorcellerie n’existe pas ». Contre une forme de religion rétive à la rationalisation, Boa propose la prise en compte du sens critique. A ce sujet le dégaouticien est incisif :  » De nos jours, personne ne veut remettre en cause ces manières de faire anciennes totalement en désaccord avec l’évolution scientifique du monde. Un pasteur pense que ce sont des esprits qui provoquent des accidents sur les autoroutes et les voies à grande circulation. Comme remède, il propose, sans avoir peur du ridicule, purement et simplement des prières, au lieu d’inviter les automobilistes à la prudence et au respect des règles élémentaires d’entretien de leurs voitures. »[6] Et Boa Thiémélé de poursuivre en disant que : «  La croyance aux esprits et à la superstition contribue à rendre les individus et l’Etat moins responsables (…) chacun se cache derrière des forces irrationnelles pour ne pas faire son travail de citoyen »[7]. C’est contre cette démission intellectuelle prônée par la fausse exégèse qu’il faut que l’Afrique  se défende pour accéder à une modernité effective, en tant quête du bien collectif. Le sixième jalon vers la modernité africaine est la conception de la modernité comme quête du bien collectif.

6. Une quête du bien collectif

Se moderniser, c’est changer. Mais si l’on s’arrête à cette seule définition de la modernisation, l’on perd de vue l’essentiel du concept. Ce qui donne au changement son sens, son opportunité  et sa pertinence, c’est la positivité d’un tel changement. En effet, le changement peut s’opérer dans les deux sens de l’échelle normative. Changer dans le sens indésiré s’appelle régresser, tandis que changer dans le sens escompté, c’est progresser. Or pour une large part,  la notion de modernisation et celle de progrès se recoupent. La modernité en tant que acte progressiste suppose la définition d’une échelle normative.  Cette échelle est la carte graduée des valeurs fondant les idées du bien et du mal, au sein de la société en présence. L’émergence d’une modernité africaine passe donc par la définition d’une échelle de valeurs communes à l’Afrique. Il importe d’opérer une synthèse axiologique dont le panafricanisme peut être le lieu d’émergence. C’est ainsi qu’il nous convient d’aborder la modernité africaine comme une appropriation du panafricanisme.

7.Une appropriation du  panafricanisme

Une modernité africaine doit pouvoir prendre en compte l’idéal panafricaniste laissé en friche par des générations d’Africains.  Cette option repose sur l’idée que les Etats-nations élaborés au lendemain de la balkanisation du continent n’ont pas tenu pas compte des données culturelles de l’Afrique. S’il est clair que le continent africain n’est pas une donnée unitaire, pourvue d’une culture transversale ou homogène, il existe des passerelles entre les divers peuples du continent. Celles-ci doivent être promues, par-delà les barbelés imposés par  les états importés comme marque cicatricielle de la violence coloniale. Un continent ayant réussi son unité est de facto plus fort qu’un amoncellement hétéroclite de republiquettes allant en rangs épars et éventés sur les routes de la compétition internationale.  La modernité africaine pour être fonctionnelle devra être pensée de manière conjuguée, afin de se prémunir contre les disparités sociales, susceptibles de faire basculer significativement les équilibres sociaux obtenus par l’effort progressiste. Souvent, les illusions et errements de l’histoire nous ont rendus étrangers à nous-mêmes, au point de faire de la conjoncture de la balkanisation, la structure mentale de notre identité. Mais nous  devrons être rendus à nous-mêmes, c’est-à-dire rendus à notre fraternité indivise, rendus à notre africanité effective. Une telle africanité ne s’embarrasse pas des illusions d’une stature atomisée. Il ne s’agit pas ici d’emboucher les cors réducteurs, de nos identités économiques, linguistiques et culturelles empoussiérées. Il est question de la seule identité qui fasse réellement sens, celle de l’africanité.  Penser l’Afrique en termes unitaire, c’est la penser à l’unisson de Memel Fotê, qui est l’auteur d’une anthropologie de la démocratie, qui conçoit bâtie sur la base écrit-il d’une « Nation africaine »[8]. Mais l’élaboration d’une modernité africaine ne peut oublier l’aspect économique et précisément le paramètre de l’épargne. C’est pourquoi nous proposons en huitième point que la modernité africaine soit pensée comme promotion de l’épargne.

8.Une lisibilité de la modernité comme promotion de l’épargne

L’épargne, nous disent les spécialistes, est la partie du revenu qui – pendant une période donnée – n’est pas consommée : Elle n’est pas détruite immédiatement par une dépense de consommation et peut être conservée sous forme liquide. Quel sens stratégique et philosophique peut-on  alors donner à l’épargne et en quoi, est-elle liée à  problématique d’une modernité africaine ? A cela, nous répondons que l’épargne est précisément l’autre du gaspillage des ressources. L’écologie comme sauvegarde de l’espace est dans son principe initial un  acte d’épargne. Or à quoi assistons-nous dans l’Afrique actuelle ? A un gaspillage systématique des ressources, à un endettement abyssal, à une inconscience globale du lendemain, dans la gestion des ressources naturelles. Que comptons nous donc laisser à la postérité, étant entendu que parler de modernité, c’est théoriser pour l’avenir ? L’épargne permettra donc à l’Afrique d’impulser sa modernité économique en servant de capital à son projet éveil. Mais si l’économie doit aider l’Africain a asseoir sa modernité, il faudra aussi des hommes, formés et solidaires à travers les générations, pour que le projet de modernité ne perde jamais la mémoire de la destination.  C’est ainsi qu’en neuvième point, nous aborderons la nécessité d’une modernité africaine, comme conscience mémorielle.

9.Conscience mémorielle

Nous appellerons conscience mémorielle l’attitude d’éveil intellectuel par laquelle un individu ou un peuple, instruit de sa propre histoire, en tire les conséquences avantageuses pour son avenir. Sur un tel terrain, l’Afrique a encore de nombreuses lacunes à résorber. La majorité des pièges dont est victime le continent reste lié au déficit de connaissance historique dont font montre les africains. Une part importante des situations se répète, à la grande surprise des générations. Or comme le veut la logique inductive, l’anticipation du futur est fonction de l’expérience du passé. La conscience mémorielle devient alors le lieu médiumnique par lequel nous conjurons les farces de la prédation. Mais la conscience mémorielle a pour vecteur un facteur essentiel : la chaîne des générations. C’est ainsi qu’en dixième point, se devra d’être développée la modernité comme valorisation de la chaîne des générations.

10.Une valorisation de la chaîne générationnelle 

Fondamentaux pour une modernité africaine : universalité particularisée

Il n’y a pas de modernité ex-nihilo. Toute modernité  émerge par touches successives, par redéfinitions, remises en cause, réévaluations,  relativisations et « revisitation » d’un donné initial. Qu’elle s’opère par rupture ou changement de paradigmes, comme le conçoit pour les sciences, Thomas Kuhn, l’évolution de la connaissance ou la modernité est toujours l’affaire d’une chaîne ouvrière : celle des générations. Il importe donc que les différentes générations d’une société soient à l’écoute les unes des autres afin de me mener à bien le projet de vie idéale de ladite société. En effet, comment les jeunes générations peuvent-elles mener à bien le projet de modernité pensé par leurs devanciers, s’ils n’en sont pas informés des valeurs ? Comment constituer une chaîne ouvrière sans partager des valeurs ? Cette imbrication des générations implique un effort de patience, de générosité et d’humilité. S’il faut admettre avec le journaliste et écrivain américain Ambrose Bierce que la « Jeunesse est l’âge du possible », il faut aussi bien percevoir que la jeunesse est tout aussi, l’âge de tous les possibles : les possibles avantageux, comme ceux  désastreux. Ne faut-il pas alors baliser l’horizon du possible ? Ne faut-il pas arrimer la course de la jeunesse aux bonnes étoiles ? Mais s’il faut instruire les jeunes aux valeurs fondant les sociétés, et aux perspectives de modernité des peuples, il importe aussi d’avoir à l’esprit que la modernité d’hier peut être l’anachronisme d’aujourd’hui.  Memel Fotê propose, pour notre modernité, que nous sortions paternalisme,  du paradigme des Pères de la nation. C’est pourquoi, écrit-il : « En se posant comme des démiurges séculiers, absolument libres d’inventer la société de leur choix, les Pères de la nation se modèlent sur les ancêtres et perdent les chances de construire des sociétés adaptées à la modernité-mondiale. Le premier mode de reprise de cette tradition des ancêtres fondateurs, c’est la référence au lignage et à ses mythes de fondation. Le deuxième mode, c’est l’idéologie de la paternité ; le troisième mode, la croyance en l’origine absolue, en la surhumanité, fait du père un démiurge séculier et lui confère en quelque sorte tous les pouvoirs ». Fin de citation. Toute société qui ne se repense pas, qui ne renouvelle pas ses catégories de perception est nécessairement sclérosée et inapte à relever les défis qui s’imposent à elle.  Le monde est naturellement en mutation et il importe que les sociétés se reforment pour  sauvegarder  et défendre les conditions de leur bonheur. Nous ne devons pas être Okonkwo qui se suicide, incapable de s’adapter aux mutations de la société. Il s’agit de trouver un compromis permanent entre les valeurs des sociétés précédentes et celles actuelles. Car se moderniser, ce n’est pas se renier, ce n’est pas renoncer à soi. C’est opérer les changements nécessaires à la préservation de notre identité. Celui qui ne change pas ne reste pas identique à lui-même. C’est une illusion de croire que l’on se maintient en place par l’immobilisme. Dans le sable mouvant qu’est l’existence humaine, celui qui ne bouge pas ne reste pas pour autant en place. L’immobilité ne garantit pas la stabilité. Etre stable dans un espace mouvant, ce n’est ni être inerte ni se déplacer  au gré du vent. Etre stable, c’est anticiper le mouvement du vent pour en conjurer les effets dissolvants. Ainsi, la modernité c’est aussi quelquefois laisser s’exprimer les plus jeunes. Non pas parce qu’ils sont les plus qualifiés, mais parce qu’ils sont généralement, et non pas systématiquement, une métaphore du nouveau.

Conclusion

Pour conclure, nous dirons  finalement que la vraie modernité est celle qui garantit notre identité tout en promouvant le changement. Se moderniser c’est épouser au présent sa vision d’avenir. C’est ajouter une plus-value à ses propres conditions d’existence en demeurant toujours soi. Dans le processus de  modernisation, le sujet à moderniser ne se dissout pas. Il se reforme suivant un plan prédéfini. La mutation n’annihile pas l’identité, elle la bonifie suivant des critères propres à la société porteuse du projet de modernité. Dans un monde globalisé, la modernité devient un acte d’universalité particularisé. Par ce  syntagme  il faut entendre la jonction harmonieuse de la pluralité ramenée à un horizon d’originalité. En effet, par-delà les constantes à l’œuvre au sein de toute société, chaque groupe humain a des spécificités définissant le cadre de sa personnalité. L’universalité particularisée est le produit de l’effort par lequel le groupe dépasse la part de l’inné (considérations géographiques et donné biologique etc.) pour imprimer une inflexion originale au donné immédiat. La quête d’’universalité particularisée à laquelle nous aspirons doit nous mener à définir, nous-mêmes, en tant qu’Africains, l’horizon de notre devenir, sans être pour autant étrangers et hostile au reste de l’humanité. Je vous remercie.

Josué GUEBO, Président de l’AECI.

[1] Jacques Attali, Histoire de la modernité, Robert Laffon, Paris, 2013.

[2] Idem, p.12

[3] Idem, p 13

[4]

[5] Harris Memel- Fotê, « Des ancêtres fondateurs aux  Pères de la nation. Introduction à une anthropologie de la démocratie », Cahier d’études africaines, 1991, Volume 31, Numéro 123 pp ; 263-285.
[6] Boa Thiémélé Ramsès, La Sorcellerie n’existe pas, Cerap, Abidjan, 2010.

[7] Idem, p.127.

[8] « Je l’ai conçue en termes d’introduction à une anthropologie de la démocratie à partir d’une réflexion sur les ancêtres fondateurs et les Pères de la nation africaine » , écrit Memel Fotê, dans l’opuscule déjà cité. 

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