Germain Séhoué (Journaliste à Le Temps) : « Eugène Dié Kacou discrédite le Cnp »

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 5 août 2011 16 h 04 min

Germain Séhoué

Germain Séhoué est journaliste au quotidien Le Temps. Alors qu’il s’apprête à reprendre bientôt le travail à la fin d’une suspension de deux mois qui lui a été infligée par le Conseil national de la presse, le journal même vient d’être frappé pour une seconde fois par une suspension de deux semaines du même Cnp. Le journaliste parle de sa suspension…

 
Vous avez été suspendu par le Cnp pour deux mois à la suite de la publication d’un billet, comment vivez-vous votre sanction ?
 
Je vis bien ma suspension. J’écris dans la presse depuis 1992 et le Cnp m’a permis de me reposer un tant soit peu. Je devrais reprendre bientôt, malheureusement, mon journal, Le Temps qui, à cause de ce billet « Comment entrer au Dioulabougou » a écopé et épuisé une suspension d’une semaine, vient d’être frappé encore d’une autre suspension, cette fois de 12 parutions, c’est-à-dire de deux semaines. Me concernant, dans mon recours gracieux envoyé au Cnp, j’ai relevé un certain nombre d’abus de cette organisation qui n’a sa raison d’exister que parce que la presse existe. Moi, je suis pour le droit dans le règlement des problèmes. Mais cela signifie que si l’on suit la loi, il faut la suivre pour tout le monde. Or, le Cnp appuie l’accélérateur quand il s’agit des uns et lève le pied pour traiter le cas des autres ; cela est inacceptable dans un pays qui se réclame de la démocratie et du droit. Et je l’ai démontré dans mon recours gracieux. En plus, les animateurs de Cnp foulent aux pieds la loi sur la presse pour régler leurs comptes. Parce que selon les textes en vigueur, avant d’infliger une suspension à un journaliste, il faut d’abord franchir les étapes de l’avertissement et du blâme. Or, le Cnp s’est permis de me suspendre alors que jamais je n’ai été de ceux qu’il a l’habitude d’épingler. Et pour deux raisons : Eugène Dié Kacou, président du Cnp n’est pas content de ma rubrique du « DU TAC AU TAC ». Parce que lorsqu’avant les élections, il avait suspendu Le Temps Hebdo pour 8 semaines, j’avais écrit des  « DU TAC AU TAC » qui ne lui avaient pas plu, parce que ce n’était pas fait pour lui plaire. Mais à ce moment-là, il ne pouvait pas me sanctionner parce que le règlement des comptes serait trop flagrant. Alors, il a sauté sur l’occasion aujourd’hui, en violant allègrement la loi pour se venger. La seconde raison, c’est que M. Eugène Dié Kacou ayant été ramené à la tête du Cnp par le nouveau chef de l’Etat Alassane Ouattara, veut coûte que coûte lui faire plaisir. Donc le zèle est d’abord personnel (avant, peut-être de découler d’une instruction de l’autorité), pour exprimer sa gratitude à un bienfaiteur. Cela est humain. De façon claire, même si le Président Alassane ne lui demande rien, Eugène Dié Kacou exagère en observant ses lèvres ou celles de ses proches pour suspendre journaux et journalistes. En agissant ainsi, il ne rend pas service au pouvoir du Président Ouattara, il est même en train de le discréditer auprès de l’opinion nationale et internationale. Qui commencent à se demander si c’est le même Alassane Ouattara dont on parlait hier avec autant de qualificatifs qui mène la vie dure aux journalistes aujourd’hui. Ce n’est pas un compliment pour son patron. Mais pire, avec une telle façon de gérer le Cnp, il a achevé de la discrédité également.
 
Le Cnp a-t-il répondu à votre recours gracieux ?
 
Le Cnp m’a répondu presqu’un mois plus tard. Et il a rejeté ma demande d’annulation ou de réduction de la peine. Il estime que dans la forme, mon courrier est irréprochable, mais dans le fond, je n’ai pas exprimé de regret relativement à ce qui m’est reproché. En clair, pendant longtemps, les principaux animateurs du Cnp ont gardé mon courrier, sans informer les membres du collège, attendant que je fasse un autre courrier, dans lequel, cette fois-ci, je vais leur demander pardon. Je devais me dédire, je ne sais pour quelle contrepartie, alors qu’un tel document de reniement pouvait plus tard être utilisé contre moi. Et comme je ne me suis pas dédit, ils ont fini par me répondre, en refusant de réduire ma peine ; une peine que j’ai, de toutes les façons, presque fini de purger. Je voudrais dire sur ce sujet que, c’est vrai que le Cnp a l’habitude de recevoir des recours gracieux où l’on demande pardon. S’il y a lieu de demander pardon, il faut le faire. Cela grandit. Mais « le recours gracieux » ne signifie pas forcement « j’ai tort sur toute la ligne et que j’exprime de façon éplorée mes regrets », mais « le recours gracieux » est une expression juridique consacrée qui tire sa substance du fait qu’on demande à l’autorité qui a pris la sanction de revenir sur cette décision, d’annuler donc tout ou partie de cette décision. Et on donne des arguments pour étayer son option. Moi, j’ai dit au Cnp qu’il nous a présenté une jurisprudence éloquente, c’est-à-dire sa « souplesse » et je l’encourage à l’observer pour tout le monde et donc pour moi aussi.
 
Certains disent que le CNP a mission pour réduire la presse pro-Gbagbo au silence, ce n’est pas votre avis ?
 
Cela est possible, je n’en ai pas la preuve. Mais il y a des signes qui peuvent nous faire croire cela. Nous qui suivons la vie politique ivoirienne depuis des décennies, savons que rares sont les hommes politiques irréprochables, dans ces conditions, celui qui est désormais à un poste de décisions et a horreur des critiques, peut vouloir la disparition de tous les journaux qu’il sait critiques. Vous-même Aujourd’hui, vous avez été suspendu pour deux semaines. Je crois que le Cnp est devenu un problème. Il risque de perdre Ouattara par son zèle en voulant à tout prix faire taire les journaux bleus, et je doute fort que ses décisions soient des décisions collégiales. Seul Eugène Dié Kacou décide et quand il dit « décision à l’unanimité » cette unanimité se résume à sa seule personne. Le Temps est suspendu encore pour deux semaines et, il faut se réveiller. Et l’UNJCI doit ouvrir les yeux et ne plus associer à ses activités un organe comme le Cnp qui est en train de « décimer » ses membres et les entreprises de presse.
 
Entretien réalisé par Céline Gbéliakou
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