by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 30 avril 2011 17 h 45 min
C’est avec de la peine au coeur que nous avons décidé de publier cette interview de Michel Gbagbo, actuellement déténu par les forces de Ouattara. Les images de son arrestation qui ont fait le tour du globe montrent un homme en sang, puis un fils remettant une serviette à son père, le président Gbagbo, pour se nettoyer. Mais cet intellectuel ivoirien méritait-il un tel traitement, tout juste parce qu’il s’appelle Gbagbo ? Est-il honnête de le tenir co-responsable des actes de la refondation ?
Comment dois-je te présenter ? Michel Gbagbo, le fils du PR… ou Michel Gbagbo tout court ?
Bonjour à toi et aux lecteurs de Gbich !… Je suis Michel Gbagbo et je suis le fils du PR (Rires)… Alors tu fais comme tu veux, car il s’agit de la même personne.
N’empêche que ce nom t’ouvre des portes ?
Ça peut aussi me les fermer hein (Rires)… C’est donc à double tranchant. C’est vrai que quand Michel Gbagbo appelle pour demander un RDV, que ce soit dans l’administration civile ou militaire, ou même dans l’entourage du PR, les gens ont tendance à lui donner le RDV vite.
Que fais-tu exactement dans la vie ?
Je suis Directeur de la Communication et de la Formation au Comité National de Pilotage du Redéploiement de l’Administration (CNPRA). C’est une structure interministérielle chapeautée par le Premier Ministre qui est lui-même assisté par le ministre de l’intérieur et celui de la fonction publique. J’enseigne également à l’UFR de criminologie à l’Université de Cocody où je suis assistant en psychologie.
Tu es un « Refondateur » alors ?
Ce mot a été tellement galvaudé aujourd’hui que je prends mes distances avec ça. La Refondation c’est l’essence du programme de gouvernement proposé par le FPI. Mais la guerre n’a pas permis sa mise en oeuvre totale. Alors vu les difficultés du pays, nos adversaires ont galvaudé ce terme “Refondateur” pour donner l’image du monsieur qui détourne l’argent, qui a de nombreuses 4X4 et beaucoup de maîtresses etc. Ce qui n’est pas du tout l’image du FPI.
C’est quoi ton parcours ?
J’ai eu le Bac ici au Lycée Technique d’Abidjan en 1990 et mon nom ayant mystérieusement disparu de tous les fichiers, je n’ai pas été orienté. Or à l’époque une loi interdisait aux bacheliers non orientés de s’inscrire à l’Université. Et mes parents n’ayant pas les moyens, je me suis quand même débrouillé pour m’inscrire avec mon passeport français. J’ai dû payer 100.000 F et en 2è année il y a eu les évènements de 92 qui m’ont conduit en prison. A ma sortie, la vie a continué et quand j’ai eu le DEA, je n’ai pu m’inscrire parce que la hiérarchie de l’Université a refusé. Quand j’ai senti toutes ces barrières, je suis allé travailler en France. Revenu au pays, j’ai intégré le cabinet d’un parent et j’ai enseigné la géographie économique au CBCG de Cocody. Par la suite, avec des amis, j’ai ouvert un cabinet de formation et de conseil en communication. Aujourd’hui j’ai arrêté mes activités privées pour me réinscrire à l’Université où j’ai soutenu ma thèse. Et là, comme il n’y avait plus d’obstacles, j’ai pu intégrer l’Université.
Quel genre de père était le P.R, dans ton enfance ?
Mon enfance s’est essentiellement passée loin de mes parents, car ils étaient séparés et lui n’avait pas le temps. Donc, j’avoue que je ne l’ai pas connu comme je l’aurais souhaité. Mais c’est un père très attentionné, qui en même temps nous a donné une certaine éducation. Un jour par exemple, on mangeait à table et ma cuillère est tombée sur la nappe. Mon père s’est levé et a ramassé les miettes sur la nappe pour les manger en me disant : “Mon petit, avec tout ce qui est tombé sur la nappe, on peut remplir une assiette… car Il y a des gens qui n’ont rien à manger”. A la maison, les plats que nous n’aimions pas, il exigeait qu’on nous les fasse jusqu’à ce qu’on finisse par les aimer. Car, ditil, un garçon doit tout manger et ne jamais avoir de totem.
Es-tu un fils à papa ?
Même si je suis le fils d’un papa Chef de l’Etat, je ne me considère pas un fils à papa. Bien vrai que j’ai des avantages matériels : voiture, carburant, maison etc. Mais j’ai acquis des choses moi-même par mon expérience professionnelle et par mon travail. Je le dis souvent à mes amis, quelle que soit la personne qui sera président, on ne peut pas m’arracher ce que je sais faire : Mon goût pour la littérature, mes diplômes, mon métier, mes connaissances etc. Ce sont-là des choses qui n’ont rien à voir avec la fonction du père. C’est vrai que dans la vie, parfois on évolue par quelqu’un, alors je ne vais pas me plaindre d’avoir un papa président… (Rires)
Quand je dis Joseph Désiré Kabila, Faure Eyadéma, Ali Bongo… etc. à quoi penses-tu ?
Ce ne sont pas forcement des chemins tracés, parfois c’est le destin. Donc ils essaient de gérer la situation. Et puis, chaque pays a ses réalités. Moi me concernant, je ne serais surtout pas comme eux… (Rires). Car mon principe est le suivant : “un seul par famille et par siècle c’est suffisant”. Le pays regorge de beaucoup d’Ivoiriens capables de diriger ce pays-là plus tard. Nous les enfants de la famille du PR actuel, je pense que nous sommes un peu comme ceux des familles Houphouët et Bédié. C’est-à-dire qu’on ne court pas pour devenir Président de la République.
Les Ivoiriens connaissent très peu Mme ta mère, qui est aussi une 1ère Dame ?
Tu parles de ma mère biologique ? C’était, en effet, la première épouse légitime de l’actuel Président. Mais tu sais, je n’aime pas trop aborder ce sujet, car chaque personne a peut-être besoin qu’on ne parle pas de sa vie privée et l’expose dans les journaux. Et puis est-ce important pour les Ivoiriens de savoir qu’elle était la première femme de Gbagbo, il y a 40 ans ? Je pense que non, car ils ont d’autres soucis.
Ta mère est étrangère, alors tu es un “Ou”…
C’est tout à fait juste. Je suis en effet, ce qu’on appelle un “ou” 100 % et je l’assume. Je suis Ivoirien et Français. Je ne suis pas Franco-Ivoirien ni Ivoiro-Français, je suis Ivoirien et Français. Mais comme de toute façon à titre privé, je n’envisage aucunement devenir Président de la République, le problème ne se pose pas à mon niveau. (Rires)
Quels sont tes rapports avec la 1ère Dame, Simone Gbagbo ?
Ce sont les rapports d’une mère et d’un fils, sauf qu’ici il s’agit de la Première Dame qui elle aussi est comme son mari… (Rires) Car elle respire politique, elle vit politique, elle mange politique, elle dort politique etc. C’est une famille de politiques. Mais comme je l’ai dit, ça ne nous empêche pas de vivre une vie de famille. Même si on sait que c’est très souvent la politique qui prime dans nos causeries (Rires),
Comment vit-on sa vie de fils de Président ?
On vit en tenant compte de beaucoup de choses. Il y a le protocole qui est nécessaire pour mettre de l’ordre comme dans toute organisation. Même chez vous à Gbich ! vous n’arrivez pas au travail en maillot de bain ? Alors que c’est possible si je te trouve chez toi à la maison (Rires). Il s’agit là de repères moraux. Car l’objectif c’est d’abord de ne pas ternir l’image du PR, ensuite de ne pas interférer dans les affaires de la République et enfin et surtout de ne jamais profiter de sa situation pour s’enrichir. Parce que être le fils du Président, ce n’est pas une fonction, c’est un accident de l’histoire, un hasard biologique. Voilà donc les trois repères moraux qui viennent de notre éducation et qu’on s’impose de respecter. Maintenant, en dehors de ça, rien ne m’empêche d’aller à la plage avec mon épouse, au restaurant etc. Je mène vraiment une vie normale.
On ne te voit pas en boîte, avec grosses cylindrées, nanas etc. comme les enfants de Président… ?
Ce n’est pas mon genre… Mais n’oublie pas que je suis fonctionnaire et tu as vu mon véhicule de fonction (une 307, ndlr). Maintenant si le fils du PR est aussi PDGd’une multinationale, pourquoi ne peut-il pas rouler dans une grosse cylindrée digne de son rang ? Cela ne veut pas dire qu’il fait le malin… Mais il travaille, et ça, à chaque fois qu’il va s’amuser, les gens vont se plaindre ? Mais n’a-t-il pas droit à s’amuser aussi ? Bon comme moi je vis une vie normale de fonctionnaire, avec ma voiture de service, y a pas de soucis et je ne jugerais pas les autres. Chacun a son éducation et a l’image qu’il veut donner.
Tu es un homme d’affaires ? C’est ton père qui t’a financé ?
Tu me vois ici, est-ce que je suis un homme d’affaires ? Si je l’étais, j’allais en être fier et je n’allais pas le cacher puisque c’est un travail valorisant. Mais je ne le suis pas, je suis fonctionnaire. Moi ma passion ce n’est pas l’argent, ni les biens matériels… Ce qui me passionne, c’est plutôt la solidarité et le travail, car pour moi aimer Dieu, c’est travailler.
Tu es marié et père de famille… alors, pour ou contre la polygamie ?
Je suis marié… je vis avec ma femme depuis 17 ans et nous avons 3 enfants. Dans nos traditions, la polygamie a toujours existé et c’est culturel. La loi actuelle montre ses limites dans son application et ça fait que dans toutes les couches sociales, politiques, affaires, agricoles etc. on voit des gens bafouer allègrement la loi et personne n’en dit rien. Mais je pense que les femmes elles-mêmes sont divisées sur la question, alors est-ce parce qu’une chose est grandement et ouvertement pratiquée qu’elle est une bonne chose ? Il faut un vrai débat pour parler de ce sujet…
Pourquoi les Ivoiriens devraient voter Gbagbo ?
C’est le seul qui peut gérer ce pays pendant et après la crise. Il a maintenu l’Etat debout. Tu sais, dans les pays en guerre, la surpuissance des organismes internationaux s’explique par le fait que l’Etat a disparu. Or ici, l’Etat n’a pas disparu et a même réussi à remplir ses fonctions. Sans rancune, le PR a réussi à dialoguer avec la rébellion. Cela est fondamental, car aujourd’hui le PR a fait que les rebelles et l’opposition sont considérés comme un élément de la solution. Or on se souvient que dans ses premiers discours au début de la crise, ceux-là étaient vus comme des éléments à écarter et à éliminer pour avancer. Il a su développer chez nous une certaine conscience nationale sans laquelle aucun développement n’est possible. Quelqu’un qui a fait tout ça dans un pays en guerre, on imagine ce qu’il va faire dans un pays en paix.
Parles-tu le Bété ?
Malheureusement non… juste quelques mots ! Quand j’étais petit, ça allait, puisque je faisais mes 3 mois de vacances au village. Mais avec l’exil et mon départ en France, j’ai tout perdu. Il me reste juste quelques mots, mais je ne peux plus parler. J’avoue que je suis déraciné… (Rires)
Une “gbicherie”
Je lis Gbich ! depuis les débuts et chez nous à la maison, il y a une tradition. Chaque vendredi ma femme achète Gbich ! et durant tout le week-end ça fait le tour de toutes les chambres car chacun a ses horaires de lecture… (Rires) Un homme sans humour c’est comme une femme sans parfum, il y quelque chose qui manque.
Source: gbich.com
Source URL: https://www.ivoirediaspo.net/interview-de-michel-gbagbo/5671.html/
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