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L’heure de trembler par Eliahou Abel

Aujourd’hui, certaines sources avancent le chiffre effroyable de 28 000 morts rien qu’à Abidjan. Les lignes qui suivent n’ont de sens que rapportées à la réalité de ce “génocide introuvable”, enfoui sous les montagnes de mauvaise foi des puissances occupantes, qui jour après jour travaillent à en effacer les traces…

L’arrestation de Dominique Strauss Kahn, indépendamment de la question de sa culpabilité dans ce fait divers sordide, devrait renvoyer tous les rêveurs de la classe politique française et leurs millions d’électeurs potentiels au principe de réalité : est-il raisonnable d’envisager de confier la plus haute charge de l’État à un personnage dont l’”addiction” au sexe (l’expression n’est pas de moi) est aujourd’hui ouvertement évoquée dans les médias ? Dans la vie courante, cela lui vaudrait d’être considéré comme un délinquant potentiel, ou en tout cas une personne à risque. Il est vrai que dans l’univers où elle évolue, la bande de joyeux drilles qui se cooptent allègrement les uns les autres aux postes-clés de l’État-major global, échappe généralement aux règles imposées au commun des mortels.

Pourtant, en l’occurrence, le fonctionnement exemplaire de la démocratie américaine vient ici déjouer les calculs non seulement de la gauche française, mais des gouvernants américains eux-mêmes, en troublant le jeu de leurs copinages. En d’autres termes, personne, pas même Obama, ne peut plus protéger DSK. Et personne, ni en Europe ni aux États-Unis, ne peut plus protéger la politique française et ses acteurs, Sarkozy en tête, des remous imprévisibles auxquels l’expose la tempête qui se lève.

Ce que Nicolas Sarkozy, dans sa hâte de tourner la page de l’anti-atlantisme gaulliste, n’avait pas vu venir, c’est la vitesse à laquelle son recouplage à toute vapeur de la France à l’Amérique allait assujettir le pays qu’il dirige au respect des valeurs américaines. En France, jusqu’à présent, les histoires de fesses des membres de la classe dirigeante ne regardaient qu’eux, et le scandale du Sofitel de New-York n’aurait pas pu éclater à Paris. Seulement voilà : à l’ère Sarkozy, New-York et Paris ne sont plus qu’à une alcôve de distance…

Par-delà le “coup de tonnerre” évoqué à la tête du PS par Martine Aubry, la mésaventure de DSK sonne comme un avertissement solennel aux Français et à leurs politiques, en les obligeant à s’interroger au moins sur un précédent fâcheux, récent et emblématique : en 2004 est entré à l’Élysée un homme qui, après avoir trompé sa femme avec celle d’un grand animateur de télévision –rencontrée le jour où, en tant que maire, il célébrait leur mariage–, trompa cette dernière avec la fille de son futur prédécesseur, provoquant le suicide (1) du gendre de ce dernier, avant d’être -une fois président- trompé lui-même, puis de se consoler dans les bras de qui l’on sait, devenue depuis sa troisième épouse. On aurait facilement pu me rétorquer, il y a peu, que c’est précisément de tels comportements que les Français s’honorent, ainsi que de la réputation qui en découle.

Mais aujourd’hui, le temps ne serait-il pas venu de nous demander comment, d’un tel mépris -en privé- de toutes les valeurs morales auxquelles, quoi qu’on en dise, une immense majorité de Français restent attachés, pourraient sortir de bons fruits politiques. Comment un personnage qui ne maîtrise pas ses instincts pourrait-il en vérité maîtriser quoi que ce soit, hormis l’art de tromper son monde en le séduisant comme il séduit les femmes, sans respect aucun ?

Oui, par la grâce de Nicolas Sarkozy, l’Amérique nous rattrape sur notre sol, en nous infligeant, par ricochet, le châtiment de la disqualification objective d’une partie de nos champions : tous ceux dont le parcours, placé dans la lumière crue des projecteurs de la scène internationale, ne répond plus, sur ce point précis, aux exigences de la morale américaine, c’est-à-dire, ne nous en déplaise, aux exigences de la morale tout court.

Et peu importe que derrière cette affaire, se cache ou non un complot. D’ailleurs qui, au plus haut niveau, et à moins d’être un fou dangereux -nous en connaissons hélas quelques-uns, alors, qui sait ?- aurait un quelconque intérêt à fragiliser le patron du FMI, et, par contre coup, le FMI lui-même et les places boursières, si promptes à s’affoler ? Même pour éliminer son plus sérieux rival aux élections de 2012, Nicolas Sarkozy n’aurait pas pris le risque de disqualifier l’un des meilleurs atouts de la Françafrique dans son entreprise de ré-asservissement méthodique de ses anciennes colonies.

Par contre -si l’on change de registre-, sans doute est-il permis de voir, dans la dégringolade brutale de l’un des seigneurs du nouvel ordre mondial, un symptôme encourageant de l’incroyable fragilité de l’empire de ces tout petits et bien éphémères maîtres du monde, et le signe avant-coureur d’un vrai jugement, répondant à une logique toute autre, et prononcé en un Lieu qui échappe à tout contrôle.

En ce sens, la secousse provoquée par la mise à nu du versant bestial de l’un des “ajusteurs-prédateurs” en chef de l’économie d’une bonne moitié de la planète, dont l’Afrique en général et la Côte d’Ivoire en particulier, n’est que le prélude d’un énorme séisme : ressenti d’abord sur le terrain de la morale individuelle, il va, de proche en proche, faire s’effondrer les uns après les autres tous les bastions de la terreur étatiquement organisée.

Dans le grand procès qui s’annonce, l’éventuelle faute de DSK fait déjà figure de délit mineur : lui et ses pairs se trouveront bientôt, par le seul effet d’une volonté dont la force est sans commune avec la leur, inculpés pour l’énormité de crimes non sans rapport avec leur inconduite, mais infiniment plus graves que celle-ci; crimes économiques aux répercussions abyssales; crimes de sang lucidement commandités, froidement commis par les “rambos” ailés ou motorisés des escadrons d’une mort juste et propre, puisque occidentale.

On ne peut que s’en réjouir : pour les planificateurs de la mise en coupe réglée d’un nombre croissant de pays délibérément voués à la misère, à l’anarchie et aux massacres, ainsi que pour tous leurs acolytes, l’affaire DSK sonne déjà le glas des plus morbides espérances.

Pour la horde en col blanc des princes du mensonge et de l’exploitation, exacteurs, spoliateurs, pilleurs, violeurs, tueurs et destructeurs par procuration -Hitler non plus n’a jamais tué personne !-; pour tous ces lugubres manipulateurs qui hantent les interminables allées du pouvoir, ici, là-bas et ailleurs, l’heure est venue, l’heure de trembler.

Eliahou Abel

Jérusalem, le 16 mai 2011

 

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