by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 6 novembre 2015 10 h 46 min
Au milieu d’une foule compacte, huit hommes tiennent un long bambou sacré. Pendant de longues minutes, ils en font une longue rotation au rythme d’une mélodie traditionnelle. En fond sonore, le tam-tam parleur appelé Edo-N’gbolé (détente des dissensions sociales) les accompagne. Et en face d’eux sont installés le roi des N’zima, Nanan Amon Tanoé, des cadres de l’administration, originaires de la région, mais aussi des particuliers.
A l’image des tribunaux populaires gacaca au Rwanda [des tribunaux populaires mis en place pour juger les auteurs du génocide], ils sont mis au banc des accusés. Des affaires mal tranchées au problème de leadership politique entre des fils et filles de la région en passant par des difficultés internes au bon fonctionnement de la communauté, tous les sujets sont abordés et les écarts de comportement dénoncés. Les mis en cause sont nommément cités.
« C’est la critique sociale qui s’opère ainsi. Chacun doit faire son mea-culpa. Celui qui fait l’objet de critiques pour des actions blâmables et regrettables doit les accepter, se repentir et présenter ses excuses afin qu’il soit pardonné. Pendant cet exercice, le roi devient un citoyen ordinaire », explique Belin Ndanoulé, chargé de la tradition à l’Association Abissa (qui signifie questionner).
L’Association organise l’événement du 1er au 8 novembre à Grand-Bassam (est d’Abidjan), une ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, depuis juillet 2012. Pour la communauté N’zima, cette fête marque surtout l’entrée dans une nouvelle année. Elle doit donc se faire sans la moindre rancœur. C’est pourquoi, lors de la partie silencieuse qui se déroule la semaine précédant la fête populaire, le roi se présente chez la famille dépositaire du tambour sacré, la famille Nvavilé (qui veut dire esprit de justesse), afin que celle-ci se charge de déposer l’instrument dans une clairière, auprès des génies créateurs, pendant sept jours.
« C’est pendant cette semaine-là que chacun affine ses critiques, assure Ndanoulé. Parce que l’Abissa est une plate-forme sur laquelle les N’zima se retrouvent pour se réconcilier. Quel que soit l’endroit où il se trouve, le N’zima fait mouvement vers Grand-Bassam pour commémorer le nouvel an. Il vient s’abreuver à la source, se réconcilier avec les siens. »
« Pendant la fête, nous donnons aussi l’occasion à tous les peuples de venir nous accompagner pour partager les valeurs de pardon et de réconciliation. Il est clair que le N’Zima ne peut pas vivre dans un carré défini, il s’ouvre aux autres peuples pour des échanges », précise Jean-Baptiste Amichia, président de l’association Abissa.
Après plus d’une décennie de crise militaro-politique, la Côte d’Ivoire ne parvient toujours pas à la réconciliation. Partagées entre pro-Ouattara, pro-Bédié et pro-Gbagbo, les populations ne parviennent pas à surmonter leurs différends. Lors de l’élection présidentielle de 2015, qui a consacré la victoire d’Alassane Ouattara, les clans ont même encore resurgi.
Mais chez les N’zima, on croit toujours au pardon et à la réconciliation qui, selon eux, sont aussi des valeurs démocratiques pouvant inspirer le peuple ivoirien, singulièrement ses dirigeants.
« Il n’est pas évident que le roi, dans sa position, puisse faire l’objet de remarque. Or, pendant l’Abissa, il est soumis à des critiques. Cela peut être transposé à la réconciliation dans le pays, où nos hommes politiques doivent publiquement accepter des reproches. Celui qui critique n’est pas un ennemi, mais quelqu’un qui aide à progresser », estime Belin N’danoulé.
Une culture de non-violence tirée de l’histoire lointaine de son peuple. Car, sous la pression de l’empereur Ezan d’Abissine et pour éviter tout conflit, les N’zima quittèrent l’Egypte nubienne au VIe siècle pour s’installer dans l’empire du Ghana.
Au XVe siècle, pour des raisons de guerre tribale, ils partirent vers le sud où ils créèrent des villes. Et pour des raisons économiques, ils se fixèrent le long de la côte ivoirienne principalement à Assoyam, devenue Grand-Bassam, où ils avaient connu leur premier gouverneur, le Français Louis Binger.
Le Monde
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