Les Samedis de Biton La rue 12 pour le cinquantenaire

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 7 août 2010 16 h 09 min

Houphouet-Boigny-Felix
Houphouet-Boigny-Felix

Le 7 août 1960. J’avais douze ans. Je me souviens, encore, avec détails, de cette journée historique. Je baignais dans la politique à cause de mes oncles qui passaient des journées à se chamailler étant des militants des partis différents. Pour moi, tout commence à minuit. On attendait tous cette heure devant le poste Téléfuken de la maison bondée de gens. On était les seuls, du moins mon père, à posséder la radio, un objet mythique à l’époque avec le phono. « En vertu du droit inaliénable à tout peuple de disposer de lui-même, je proclame solennellement, en ce jour béni du 7 Août l’indépendance de la Côte d’Ivoire » sont les premiers mots du nouveau Chef du pays, Félix Houphouët-Boigny, une vraie légende déjà pour les enfants que nous étions. Dans nos causeries, on passait tout le temps à parler de lui, en particulier sa technique pour échapper aux colonisateurs. La même histoire revenait sans cesse. Dans un avion, les colons l’ont projeté dans l’air dans le but de le faire disparaitre. Il s’en sorti en se transformant en mouche. Cette légende était répandue dans toute la ville et dans tous les milieux. Chacun et tous voulaient avoir ce pouvoir magique. On était tous friands des films de magiciens de films hindous. Je ne pouvais donc qu’avoir des yeux aux larmes de voir cet homme réussir après avoir déjoué tous les plans de ces adversaires. Aujourd’hui, les rumeurs continuent et sur tous les hommes politiques. Il y a des gens pour croire à tout cela comme des enfants. Raconter des légendes sur les hommes puissants fait le bonheur des peuples dans toutes les contrées. A l’époque, on croyait sincèrement à ces histoires de Houphouët-Boigny qui disparaissait dans la main de ses ennemis. Aujourd’hui, on met davantage l’accent sur les immeubles imaginaires des hommes politiques. Enfants comme adultes continuent d’y croire fermement sans apporter aucune preuve. A la fin du discours, un oncle, opposant notoire, laissa tomber : « Il n’a rien dit de bon. » Personne n’a osé discuter avec lui car, le moment était intense et pleine d’émotion. On le savait rempli de jalousie. Leur parti voulait rester français. Il avait honte. On pouvait enfin dormir. La Cote d’Ivoire était indépendante avec un drapeau. Plus tard, je comprendrai le choix de la date du 7, des couleurs du drapeau, le sens des premiers mots et de la devise. Notre président voyait tout sous le sceau de la spiritualité. Curieusement, la date que j’attendais avec impatience était celle du lendemain, à savoir le 8 août. Je n’aimais pas le fils du commissaire de police, un petit blanc, avec lequel travaillait mon père. On avait eu une altercation au sujet d’une lettre qu’il venait de retirer à la boite postale et refusait de me la remettre. J’aimais déjà la correspondance. Pour moi, l’indépendance signifiait le départ définif des Français de la Côte d’Ivoire. Le commissaire et ses enfants seront contraints de gré ou de force de quitter le pays. Il faut dire que j’étais influencé par le cas de la Guinée d’où les colons partirent même le lendemain de l’indépendance. Je passai une bonne nuit dans la nuit du 7 et du 8. Le lendemain, après mon petit déjeuner, je pris le chemin de la rue 12. Nous étions dans les grandes vacances. A l’époque, elle était la plus célèbre du pays. Les gens venaient de partout pour la voir. Elle était magique. C’était la plus grande concentration humaine dans la journée. Avec ces magasins, ses vendeurs de montre et de lunettes, ses boites de nuit, ces prostituées. Le maire actuel de Treichville, avec lequel j’étais dans la même classe doit s’en souvenir et se demander, chaque jour, comment la faire revivre, lui qui habitait l’avenue 16, un autre lieu populaire avec l’avenue 8. Mais la rue 12 était de loin le lieu mythique. Cette rue devrait me permettre d’être plus joyeux en constant l’absence de Blancs et me diriger ensuite vers la région du port pour voir les Français partir et narguer le fils du commissaire. Sur la rue 12, au niveau de l’avenue 14, je vis un premier couple de blanc marcher comme s’y rien n’était. Je ne tardai pas à voir beaucoup d’autres, très à l’aise comme s’ils ne préparaient pas leurs bagages pour rentrer. Je redescendis vers l’avenue 8 pour me diriger vers le commissariat. Je ne tardai pas avoir le petit blanc et sa maman qui se promenaient avec leur chien et chiots. Je me rendis immédiatement à l’église sainte Jeanne d’Arc pour prier Dieu de faire un miracle dans ma vie. J’étais un bon élève en catéchisme. J’écrivais des lettres à Dieu que je fermai dans notre armoire. On nous a enseigné que Dieu voit tout et entend tout. Je n’ai toujours pas changé. Pour moi Dieu est omniprésent dans notre vie. Il peut tout. Il suffit de lui parler comme à un ami. J’ai gardé la foi de l’enfance. Après ma prière de le voir faire quitter Abidjan le fils du commissaire et ses compatriotes, je me rendis à la maison convaincu que Dieu ne pourra que me donner satisfaction. J’attendais le lendemain pour aller au quartier du Plateau, quartier des toubabous pour constater si mon miracle avait été exaucé… Ainsi va l’Afrique.

Par Isaïe Biton Koulibaly

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