«Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire»! Et pourtant depuis deux ans que Laurent Gbagbo est privé de liberté, la Côte d’Ivoire ne cesse de brûler

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 10 juin 2013 11 h 01 min

Dans un titre chaotique servi par un quotidien ivoirien qui a rapporté des propos de représentants de victimes sélectives et qui rappelle malheureusement une certaine carte de la Côte d’Ivoire qui a préfiguré la partition de l’après-septembre 2002, nous lisons que «Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire».

En raison du caractère hautement dangereux d’un tel titre, il nous pose problème. Il pose aussi la question de savoir pourquoi une telle haine envers un homme avec lequel on avait naguère bâti le Front Républicain, ancêtre du combat pour la non exclusion? Peut-on être du côté du pouvoir et distiller tant de haine? Laurent Gbagbo fait-il donc si peur? L’auteur d’une telle politique ne dessert-elle pas l’image extérieure de son propre mentor et celle du régime que l’on tente parallèlement de construire à coup de milliards? Pour tout occidental, ce titre est haineux car la libération de Gbagbo ne devrait reposer que sur l’exactitude des faits à lui reprochés.

Natif d’une région où, en une seule nuit, j’ai perdu des milliers de compatriotes, je ne peux continuer de me taire face à ceux qui promettent encore de brûler les cendres qui nous restent! Je ne serais pas surpris du mépris de ceux qui ne regardent qu’au contenu de leur assiette plutôt qu’à l’avenir de la nation. Ceux-là me répondront que je suis laid, chef d’un « parti politique dont les militants ne peuvent remplir une boîte d’allumettes », indigent car n’ayant profité d’aucun casse de la Bceao, ni rien détourné pendant mon passage au gouvernement! Mais est-ce là le vrai débat? Mon indigence n’intéresse pas les Ivoiriens! Seul compte le débat des idées. À tous ceux qui seraient tentés de répondre au messager, de grâce, répondez au message car il y a mieux que la haine: la nation.

«Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire»! Et pourtant depuis deux ans que Laurent Gbagbo est privé de liberté, la Côte d’Ivoire ne cesse de brûler du feu de l’injustice, servi par une justice des vainqueurs! Je m’incline chaque jour devant la cause des victimes parce que porteur des mêmes douleurs, mais doit-on encore accepter d’instrumentaliser nos terribles souffrances à des fins de haine? Brandir le feu n’est-il pas un moyen d’avouer une incapacité à faire justice aux victimes?

«Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire»! Et pourtant depuis deux ans que Laurent Gbagbo est privé de liberté, la Côte d’Ivoire ne cesse de brûler. Laurent Gbagbo n’était-il pas à la CPI quand, parlant de la région de l’Ouest, Amnesty International a écrit: «Cette région, la plus meurtrie par la décennie d’instabilité qu’a connue le pays, a une nouvelle fois été le théâtre de violences lors de l’attaque, en juillet 2012, du dernier camp de personnes déplacées situé à Nahibly, à proximité de la ville de Duékoué (à 450 km d’Abidjan). Cette attaque a été perpétrée par des populations locales soutenues par des Dozos, une milice de chasseurs traditionnels soutenue par l’État et par l’armée. De nombreux témoignages recueillis par Amnesty International font état d’arrestations, de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et d’une volonté des assaillants de raser ce camp de personnes déplacées». Le rapport poursuit d’ailleurs par cet autre constat: «Aucun des auteurs des violations et atteintes très graves aux droits humains décrites dans le présent rapport n’a été traduit en justice ni même relevé de ses fonctions. Cela illustre l’échec des autorités ivoiriennes à instaurer un état de droit près de deux ans après l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités. Loin de répondre aux espoirs d’une justice impartiale, les autorités ont exclusivement ciblé les partisans avérés ou présumés de l’ancien président Laurent Gbagbo et ont amorcé à leur encontre des procédures judiciaires dilatoires qui ne respectent pas les normes internationales d’équité. (…) l’instruction est faite uniquement à charge sans qu’il y ait eu, à ce jour (février 2013), ni confrontation avec des victimes ni aucun élément de preuve matériel communiqué à la défense».

«Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire»! Et pourtant depuis deux ans que Laurent Gbagbo est privé de liberté, la Côte d’Ivoire ne cesse de brûler, même quand des alliés organisent une élection à laquelle ne participe pas l’opposition et qui, mettant en compétition biaisée les alliés du régime, dégénère en violences malgré un « désert électoral ».

«Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire»! Et pourtant depuis deux ans que Laurent Gbagbo est privé de liberté, la Côte d’Ivoire ne cesse de brûler avec une corruption galopante reconnue par le pouvoir comme difficile à combattre et une gouvernance de communication qui ne laissent aux populations que le choix de la misère!

«Libérer Gbagbo, c’est brûler la Côte d’Ivoire»! Et pourtant depuis deux ans que Laurent Gbagbo est privé de liberté, la Côte d’Ivoire ne cesse de brûler, avec des personnalités de haut niveau qui promettent le cimetière à leurs adversaires politiques au point de se faire surnommer « Cimetière »!

La justice que l’on réclame, à juste titre, pour les victimes ne peut leur être profitable que dans un climat de paix et de cohésion sociale. Nous avons le choix entre plusieurs solutions dont celle à la sud-africaine, celle à la Nuremberg, etc. Notons toutefois qu’à Nuremberg ce ne sont pas les Allemands qui ont jugé les Allemands. Nous sommes tous les enfants d’un même pays.

Avec une Côte d’Ivoire humiliée sur la scène internationale et défigurée, apprenons à faire profil bas et surtout à envisager un avenir à notre pays au travers d’un pacte républicain qui n’effacerait pas les rapports de force! La Côte d’Ivoire brûle déjà. Et c’est sans doute en faisant justice à Laurent Gbagbo, un compatriote à nous tous, que nous libérerons notre pays et que nous ferons tomber une pluie sur toutes ces braises ardentes ! Que nous éteindrons ce volcan qui couve!

La paix, ce ne sont pas seulement des déclarations d’intention ou des mots mais aussi des non-mots! Surtout des actes d’amour!

Nous sommes allés trop loin dans la haine pour aller plus loin. Ici, doit s’achever la course! BORIBANA[1]!

Le ministre Eric KAHE

Président en exil de l’AIRD



[1] Expression Malinké signifiant « la course se termine ici »

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