by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 3 octobre 2010 19 h 15 min
Laurent Gbagbo est membre de l’International Socialiste tout comme Lula. Les deux hommes ont accéder au pouvoir pratiquement au même moment. Mais au moment ou le Président brésilien quitte le fauteuil présidentiel, sa cote de popularité est à plus de 80% alors que Laurent Gbagbo n’est même pas sûr d’obtenir 25% du suffrage si les élections sont transparentes. Pour faire rêver les Ivoiriens sur ce qu’ils auraient pu attendre de Laurent Gbagbo, nous leur présentons un article de Le Monde qui livre des chiffres précis des années Lula. Un papier qui donne l’impression que la conception du développement telle que saisie par le président ivoirien est diamétralement opposée a celle de Lula. Assurément, Gbagbo qui n’est pas prêt à se remettre en cause, accusera la France et la rébellion mais la vérité est peut être qu’il est moins enclin a développer la Cote d’Ivoire qu’a « participer à la prospérité » de certains de ses lieutenants.
Voir l’article de Le Monde
Lula quittera le pouvoir, fin 2010, avec un taux d’approbation de 80 %. Sous sa présidence, 25 millions de pauvres ont accédé à la classe moyenne. Regards croisés de Cariocas sur le « lulisme » et l’évolution de leur pays.
Le contraste est saisissant : d’un côté, Barra da Tijuca, le luxueux quartier qui accueillera le village olympique en 2016, de l’autre, la cité de Dieu, une des plus grandes favelas de Rio de Janeiro, rendue célèbre, en 2002, par le film du même nom. « A cette époque, la municipalité a commencé des travaux, mais ils ont été abandonnés », raconte, dépitée, Sinela Paranhos Ramos, jeune métisse de 29 ans. « C’est comme eux, commente-t-elle en désignant des ouvriers qui creusent un égout, les élections finies, ils disparaîtront. »
La jeune femme quitte la route principale du quartier, une des rares à être goudronnées, et traverse un petit terrain de football improvisé, où des enfants jouent en hurlant. Elle salue des jeunes qui écoutent un tube de baile funk, un rythme électro-latino qui enflamme les quartiers populaires de Rio, esquisse un pas de danse et éclate de rire. « Je gagne 130 euros par mois en faisant des ménages, ce n’est pas suffisant pour nourrir correctement mes quatre enfants, qui ont entre 3 et 10 ans. Mais depuis deux ans, l’Etat me donne 58 euros par mois, ce qui me permet de faire mon marché pour deux semaines », raconte Sinela. Comme plus de 12 millions de foyers défavorisés, sa famille touche la bolsa familia, une aide financière créée en 2003 et versée à condition que les enfants soient vaccinés et scolarisés.
« Avant, ma fille aînée vendait des sucreries dans la rue ; maintenant, elle va à l’école et veut devenir infirmière. Lula a changé nos vies, c’est un modèle pour nous tous. Imaginez ! Il est devenu président alors qu’il était ouvrier métallurgiste et qu’il a grandi dans une maison comme la mienne », s’exclame Sinela, en pénétrant dans une petite cabane de planches et de tôle ondulée dans laquelle règne une obscurité presque totale. Pas d’eau, pas d’électricité. Mais tout est d’une impeccable propreté. « Lula a connu la faim et a été élevé par une mère seule, comme mes enfants, poursuit-elle, visiblement émue. C’est pour ça qu’il nous aide et quand il parle, j’ai l’impression que c’est à moi qu’il s’adresse. Je voudrais qu’il puisse être réélu ! »
Et Dilma Roussef ? « Qui ? Ah, la Blanche ? Je vais voter pour elle puisque Lula l’a choisie. Et puis elle a parlé d’un référendum sur l’avortement. » Au Brésil, il reste illégal et seules les femmes les plus riches peuvent se payer des cliniques privées qui le pratiquent en secret. « Pour moi le crime c’est que des femmes meurent en le pratiquant et que des enfants soient abandonnés », s’insurge Sinela.
Rosane Ferreira de Souza a grandi dans le nord de Rio de Janeiro, à Tijuca, un quartier particulièrement apprécié des classes moyennes car il jouxte la plus grande forêt urbaine du monde tout en n’étant qu’à quelques minutes du centre-ville. Assise devant son ordinateur, Rosane répond au téléphone, qui n’arrête pas de sonner, prend des notes et promet de rappeler.« Quand j’ai commencé mon activité de vente de polices d’assurance, il y a plus de vingt ans, je n’en ai vendu aucune pendant plusieurs semaines. Je n’avais aucune autre source de revenus, et je me suis demandé comment j’allais nourrir mes deux fils, de 9 et 11 ans », raconte Rosane. Aujourd’hui ses affaires prospèrent.
Sous les deux mandats de Lula, 30 millions de personnes ont accédé à la classe moyenne « et un des premiers réflexes de celui qui a vécu dans l’angoisse de la maladie ou de l’accident est de s’assurer, se réjouit Rosane, surtout quand le système public de santé est largement défaillant ». En 2002, la quinquagénaire n’a pas voté pour Lula. Comment un ouvrier analphabète pouvait diriger un pays ? « Je me suis trompée. J’ai réalisé qu’il était un grand homme quand il s’est opposé à George W. Bush sur la guerre en Irak. Et puis il a réduit la dette extérieure, et aujourd’hui, le FMI ne peut plus nous dicter sa loi, notre pays est respecté sur la scène internationale. »
Le 3 octobre, Rosane va voter pour Dilma Rousseff, sans aucune hésitation, car « elle va continuer la politique de son mentor et j’espère qu’elle va s’engager contre un fléau qui mine ce pays : la violence contre les femmes ». Le mari de Rosane buvait du matin au soir et ne travaillait pas. Un jour, il l’a poursuivie dans la rue et l’a frappée devant tout le monde. « Je me suis dit que c’était la dernière fois qu’il m’humiliait. Le lendemain, je l’ai mis dehors avec toutes ses affaires et plus personne n’a jamais levé la main sur moi, se souvient-elle. Cela m’a donné une incroyable énergie et j’ai créé un petit groupe de soutien aux femmes. »
n enfant malade, un ordinateur en panne, un problème administratif, « Tante Rosy » écoute en souriant, réconforte, et donne des conseils en préparant un café. « Je vis moi-même une période difficile : mon fils aîné est malade et il a perdu son travail. Je prie tous les jours, confie-t-elle tout en effleurant la croix qu’elle porte au cou. J’ai même promis d’arrêter de boire de la bière s’il guérissait », lance-t-elle en riant. Ce soir-là, la petite maison de Rosane est pleine de monde : Flamengo, une des équipes phares de foot de Rio, joue, et c’est elle qui a la plus grande télévision du quartier.
Place Tiradentes, en plein cœur de Rio, au quartier général du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), une organisation populaire qui lutte pour la redistribution de la terre. Le MST, créé en 1984, a toujours soutenu, au fil des campagnes présidentielles, le candidat du Parti des travailleurs. Mais une fois élu, Lula a finalement peu distribué de terres, préférant lutter directement contre la pauvreté. Nivia Regina da Silva, 33 ans, se sent trahie. « Lula avait promis une vaste réforme agraire qui n’a pas eu lieu. C’est tout le contraire : la concentration de la terre n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Lula a cédé aux propriétaires terriens et au puissant lobby de l’agroalimentaire. Le modèle agricole brésilien, fondé sur la monoculture intensive et tourné vers l’exportation, exclut des millions de petits paysans. »
La famille de Nivia possédait une petite exploitation de canne à sucre dans le nord-est du pays, mais son père s’est surendetté et a dû quitter sa terre. « J’ai grandi dans la nostalgie du travail de la terre et lorsque j’ai intégré l’université, j’ai choisi d’étudier l’agronomie. » Encore étudiante, la jeune femme se rend, « plus par curiosité que par conviction », à une manifestation pacifique du MST. Elle y reçoit une balle en caoutchouc qui la paralyse pendant plusieurs heures. « Ça a changé le cours de ma vie », commente-t-elle. Son diplôme en poche, alors que ses professeurs s’attendent à la voir intégrer une entreprise de l’agro-industrie, Nivia rejoint le MST.
« Nous avons formé un groupe de quarante-sept familles pour occuper une propriété privée qui était à l’abandon depuis plusieurs années, raconte la jeune femme. Pendant trois ans de lutte quotidienne, nous avons vécu dans l’illégalité et l’angoisse d’être expulsés. » Le campement a aujourd’hui été légalisé, mais les paysans attendent toujours les aides de l’Etat. « Les revenus que nous tirons de la vente de notre production nous permettent tout juste de survivre. La politique de Lula consiste à passer de la pommade sur la plaie, mais sans la soigner. C’est la croissance sans le développement, et ce n’est pas Dilma Rousseff qui va changer la donne. La lutte pour la réforme agraire continue. »
La coupe afro de Marcos Jesuino Joaquim ne passe pas vraiment inaperçue dans la cour de l’université privée Veiga de Almeida. « Je suis un des meilleurs élèves de la section gestion et management et je crois que les autres étudiants me respectent beaucoup », affirme-t-il fièrement. Le jeune homme de 19 ans bénéficie d’une bourse distribuée aux élèves méritants de l’école publique répondant à certains critères de revenus, pour leur permettre de faire leurs études dans des universités privées, lesquelles, en échange de leur adhésion au programme, bénéficient d’exemptions fiscales. « L’université coûte un peu plus de 900 reais par mois [388 euros] : c’est plus que ce que gagne mon père comme conducteur de bus et ma mère ne travaille pas. Sans l’aide financière de l’Etat, je n’aurais jamais pu aller à l’université, estime le jeune homme.Depuis un an, j’étudie ici, à plus de deux heures de transport de chez moi, parce que je sais que mon avenir en dépend. »
Le programme ProUni, « Université pour tous », a été lancé en 2005 par le gouvernement Lula, avec pour but de démocratiser l’enseignement supérieur brésilien, largement dominé par les populations blanches et riches. Les plus pauvres des Brésiliens, souvent condamnés à une école publique de piètre niveau, n’ont qu’un accès limité aux universités publiques, foyers d’excellence hypersélectifs, et n’ont pas les moyens de payer une université privée. Marcos n’a pas profité de la loi des quotas, instaurée par le gouvernement Lula, dont bénéficient les afro-descendants. « Je ne suis pas contre, ma communauté souffre de plusieurs siècles d’exclusion systématique, mais je préfère savoir que je suis entré ici grâce à mes résultats, au mérite, et pas parce que je suis noir », explique le jeune homme. Près de la moitié des bénéficiaires du ProUni sont cependant noirs, métis, ou indiens, car au Brésil, la pauvreté a une couleur.
« Le cercle vicieux de la misère s’achève. J’ai beaucoup d’ambition et veux rendre mes parents fiers de moi. Je bénéficie déjà d’un autre programme gouvernemental destiné à aider les jeunes à entrer dans le marché du travail. Je fais de la vente par téléphone et reçois le salaire minimum, ce qui n’est déjà pas si mal à 19 ans. Mais je voudrais travailler dans une grande entreprise », confie Marcos. Dimanche prochain, le jeune homme ira voter pour la première fois et il n’a aucune hésitation : ce sera « Dilma Rousseff, pour qu’elle continue les chantiers commencés par Lula ».
« La croissance caracole à 7 %«
C’est le début du week-end, à Jacarepaguá, dans la banlieue ouest de Rio de Janeiro. La forêt dissimule mal les hauts murs qui entourent les luxueux condominiums où vivent les classes privilégiées. Teruo Ono a passé sa semaine dans des avions et profite de son jour de repos pour tenter de réparer sa moto. « Avant, je pouvais appeler le garagiste à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Maintenant, il a revu ses exigences à la hausse et ne se déplace qu’en semaine, explique-t-il. Je ne me plains pas, bien au contraire, ça prouve que le pays évolue. »
« Mon père, d’ascendance japonaise, était pilote de ligne ; ma mère, professeure, était d’origine allemande. L’argent n’a jamais été un problème pour nous, nous sommes des privilégiés. Mais bientôt je n’aurais plus besoin de murs et de gardien pour protéger ma famille. La criminalité va diminuer en même temps que la pauvreté diminue », estime-t-il. Teruo gère la division « air conditionné » de la filiale brésilienne d’Hitachi. Ses principaux clients sont les grands magasins. Vu la frénésie de consommation qui s’empare de la nouvelle classe moyenne, « il s’en construit de nouveaux tous les jours. Le pouvoir d’achat augmente, c’est bon pour les affaires en général », se réjouit-il.
Craignant le radicalisme de l’ancien leader syndicaliste, Teruo n’a jamais voté pour Lula. « Mais sa capacité à négocier m’a vite bluffé. Lula est un caméléon politique. Il a réussi le pari d’être l’idole des pauvres tout en étant acclamé par les traders. Et j’ai été agréablement surpris par sa politique économique : le programme d’accélération de la croissance, lancé il y a trois ans, développe les infrastructures ; la croissance caracole à 7 % ; le chômage, à 6,7 %, a rarement été aussi bas ; et surtout, Lula a fait de la stabilité monétaire une de ses priorités. J’ai 47 ans, mais quand j’ai commencé à travailler, l’inflation était telle que certains prix augmentaient dans la journée, un vrai calvaire. »
Lula n’a pas remis en question les politiques macroéconomiques des gouvernements précédents et a respecté les orientations du FMI et de la Banque mondiale. « Aujourd’hui, le principal frein au développement est le faible niveau d’investissement des entreprises et l’émiettement du système fiscal. Les Etats de la Fédération brésilienne se livrent à une concurrence fiscale et le fardeaudes cotisations sociales et des taxes sur les salaires encourage l’économie souterraine », analyse le cadre, qui n’a pas encore décidé pour qui il allait voter, mais qui voudrait « que le futur président, quel qu’il soit, s’attaque à ces problèmes ».
Anne-Gaëlle Rico / Le Monde.fr
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