Mabri Toikeuse sort du bois et met le cap sur la présidentielle

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 8 août 2019 21 h 42 min

Ces temps-ci, la presse dans son ensemble fait état des dissensions qui existent entre le Ministre  Mabri Toikeuse, et le Président de la République. Il est reproché au Ministre d’avoir ouvertement déclaré sa candidature à l’investiture du  parti unifié pour la présidentielle de 2020.  Or le  Président de la République ne s’étant pas encore prononcé sur son « avenir »,  la question du candidat du parti n’est en principe  pas à l’ordre du jour.

Pourtant Le Ministre Mabri Toikeuse mène une  campagne ouverte. Des clubs de soutien fleurissent, ses équipes ratissent  le terrain,  même son épouse est mobilisée à travers des « œuvres caritatives ». A ceux qui lui reprochent de ne pas œuvrer pour le parti unifié, l’homme  au contraire  présente sa candidature comme une « alternative consensuelle capable de rassembler tous les fils et filles d’Houphouët ».

Malgré cette attitude de défiance, aucune sanction jusque-là. Personne n’ose officiellement le désavouer. Aussi l’homme devient chaque jour plus audacieux dans ses déclarations, plus cohérent dans sa stratégie.  Faut-il en rire ? Ou  va-t-il surprendre  en s’imposant finalement comme le « candidat du consensus » comme il se définit lui-même ?

Le parcours de l’homme

Mabri Toikeuse participe aux différents gouvernements  depuis 2003.  Il a successivement occupé les portefeuilles de la santé, des transports,  de la coopération et de l’intégration africaine, du plan et du développement, des affaires étrangères, et aujourd’hui de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. D’où une vaste expérience. L’homme est médecin de formation.

Tout ne fut pas tranquille. Mis  à la tête de l’UDPCI en 2005, il fit  face à une multitude de crises entre cette date et 2010, soldée par le départ de la quasi-totalité des personnalités de premier plan vers la mouvance présidentielle de l’époque. Mabri Toikeuse croisa le fer avec Siki Blon Blaise, son doyen et mentor, la véritable tour de contrôle de la région. Leur rivalité court toujours.

En Novembre 2016, Mabri Toikeuse fut éjecté du gouvernement  pour avoir maintenu aux législatives dans certaines circonscriptions, des candidats de son parti face à ceux de la coalition au pouvoir, dont il fait pourtant partie. Il occupait le portefeuille des affaires étrangères.  Ce  fut une autre traversée du désert.

Mais il fut de nouveau réintégré en Janvier 2018, en tant que Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. En Janvier 2019, il décida de « fondre »  l’UDPCI dans le parti  unifié, sans toutefois proclamer sa dissolution. Ce malentendu est toujours d’actualité.  L’homme se défend pourtant de pratiquer un double jeu.

Le déclic

Le 16 Février 2019 dernier,  fut organisée  à Man un grand meeting  de la jeunesse du « Grand Ouest » pour rendre hommage au Président du Conseil Régional du Tonkpi, le Ministre Mabri Toikeuse, pour « ses actions en faveur de la  paix et du développement ».  Ce fut un meeting géant où il n’était point question du parti unifié, ni du Président de la République, même si son nom fut mentionné de temps à autre.  La cérémonie était centrée sur la personne du  Ministre, que tous les orateurs encensaient, et présentaient comme le successeur du Président de la République.

Véritable démonstration de force, le meeting a montré qu’il  avait toute une partie du pays derrière lui. La foule immense et compacte, consacrait  sa  victoire sur tous ceux et celles qui s’étaient opposés à son leadership dans la région. Ce rassemblement l’a indéniablement conforté  dans sa décision de   « jouer sa  propre carte » en 2020.

Opiniâtre, entêté, fougueux  et tenace,  le Ministre Mabri Toikeuse a affronté bien des orages et a toujours gardé le cap. L’homme est intelligent, et ne se laisse jamais dicter sa conduite. On ne voit pas  aujourd’hui ce qui pourrait l’amener à renoncer à  l’objectif qu’il a en ligne de mire.

Une épine dans le pied du pouvoir

Bien entendu Mabri Toikeuse  irrite au plus haut point le Président de la République et son cercle restreint. Déjà à la création du parti unifié en Janvier dernier, il  clamait sans ambiguïté  que l’UDPCI ne serait pas dissous, alors que l’entourage présidentiel  insistait sur la « dissolution automatique » des partis qui  composaient la  plate-forme.

Le sanctionner  en l’excluant du parti unifié, viderait un peu plus de sa substance, le concept même de parti unifié. Le départ de Mabri Toikeuse donc de l’UDPCI, après celui de l’ex-parti unique, sonnerait comme un échec du processus  d’unification. L’opposition ne manquerait pas de le souligner et d’en faire un argument principal de campagne.

Il y a aussi peut être l’ arithmétique électorale. Une mise à l’écart brutale de Mabri Toikeuse  aura un impact dissuasif sur l’électorat de l’Ouest montagneux envers le parti unifié.  Il ne faut pas non plus perdre de vue que la dissidence de l’ex-président de l’Assemblée nationale ne permettra pas au  parti unifié de faire le plein de voix au Nord, vu le poids de l’homme. Ce sont ainsi deux blocs qui peuvent manquer à l’appel dans l’électorat, ce qu’il faut éviter. Les actions de Mabri Toikeuse sont donc tolérées, le but étant de le contenir sans faire de vagues.

Mais cela  peut s’avérer contre-productif. Alors qu’il était ministre des finances, un certain Emmanuel Macron jouait sa propre  partition  en défiant ouvertement le premier ministre (Manuel Valls), et plus tard le président de la république (François Hollande).  S’il avait été viré dès le départ, on l’aurait vite oublié. Son maintien  au gouvernement lui donné une exposition médiatique.  L’opinion fut d’abord amusée, puis fut conquise. Peu à peu sa capacité à être une alternative crédible s’est installée dans les esprits. La suite est connue.

Le PM  Gon Coulibaly  incité à être plus offensif

Le président de la République ne s’étant pas encore officiellement prononcé sur ses intentions,  le sujet est  tabou. Il y a ainsi un « vide »  que met à profit Mabri Toikeuse  pour tisser sa toile, se positionnant ouvertement en rival du PM dans l’hypothèse où le Président décide de ne pas  « y aller ».  Peu à peu sa candidature s’installe dans les esprits et devient crédible,  peu à peu l’homme acquière une « stature présidentielle » et gagne les cœurs.

Si le PM aspire réellement à remplacer son patron, comme cela semble se dessiner, il serait dangereux de regarder l’autre conquérir toujours plus d’espace. Il doit  être plus offensif. Lui et son staff doivent cesser de  considérer les choses acquises.  En se déclarant candidat à l’investiture, le Ministre Mabri Toikeuse  de facto déclenche  les hostilités. Et ce n’est pas un nouveau venu. C’est un  garçon solide et courageux,  il faut le reconnaître. L’homme a répété à plusieurs reprises qu’il ne lâchera jamais prise.

Le PM  doit en finir avec les  discours froids,  remplis de pourcentages de toute sorte, que lui préparent ses conseillers. C’est totalement déconnecté.  Il doit   « parler directement aux gens » en s’exprimant sans notes dans les manifestations. Il doit cesser de faire continuellement référence au Président, et se mettre plus en avant. Dans ses interventions, il doit clairement se projeter au-delà de 2020, non par orgueil mais par confiance en soi. Il doit imprimer du mouvement.

Le « lion » ?

Il est certain que  le Ministre Toikeuse Mabri ne s’arrêtera pas en chemin, même s’il n’obtient pas l’investiture du parti unifié. Il y a tout lieu de croire qu’il se présentera à la présidentielle quoi qu’il arrive.  Mais au-delà de la menace que représente cette candidature, le PM  doit rassurer sur sa capacité à tenir le pays d’une poigne ferme. C’est bien à ce niveau que se situe les inquiétudes, donc le véritable challenge pour lui.

Il  projette certes l’image d’un travailleur acharné, humble et honnête, en un mot d’un « type bien ».  Mais cela suffit-il ?  On doit  sentir qu’il est aussi un homme capable de dureté.  Avec le recul, la CI n’a plus besoin d’un homme « gentil et  bon » qui sera  tendre avec ceux qui voudront  prendre le pouvoir autrement que par les urnes, mais bien de quelqu’un qui saura traiter les menaces sans état d’âme, et éviter au pays la confusion des « gouvernements d’union  nationale ».

Sous l’aspect de générosité et de magnanimité qu’il a laissé dans l’histoire, le Président Houphouët était en réalité un homme qui avait une main de fer, certes dans des « gants de velours ».  Sa ligne était claire et il l’a plusieurs fois répété :  aucun désordre ne devait être toléré.  Cette ligne fut payante.

ivoiriens de l'étranger [1]

Le PM doit travailler cet aspect de sa personnalité en musclant son discours et en attaquant frontalement ses adversaires potentiels, au lieu de chercher à les éviter. On doit véritablement sentir qu’il est un « lion » comme cela se dit dans son entourage. Il doit rassurer sur sa capacité à anticiper et à frapper tout de suite.  Le nageur dont le dos sera aperçu,  ne devra jamais atteindre l’autre rive. Le PM doit montrer qu’il est un « homme fort », capable de parfaitement garantir la paix.        oceanpremier4@gmail.com[2]

 

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