Quel avenir économique de l’Afrique par le franc CFA ?

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 31 mai 2013 23 h 44 min

Dr *Dadié ATTEBI, Economiste

L’Analyse prospective des économies africaines de la zone franc est depuis des années traversée par une question qui mériterait aujourd’hui un plus grand intérêt à l’occasion des grandes messes régionales. Cette question est:
Peut-on bâtir des économies performantes en Afrique en continuant à faire résider la politique monétaire, à l’extérieur ?

Cette question est très importante. Son importance tient au fait qu’elle conduit à dépasser les considérations conjoncturelles qui n’ont cessé de caractériser les analyses et les politiques économiques africaines depuis le début des années 80. Elle nourrit une vision plus large et donc plus pertinente du développement africain. En cela, tout débat autour de la politique monétaire africaine permettrait de favoriser l’éclosion d’actions de mobilisation de logiques d’un développement durable et à la dimension des ressources du continent.

C’est donc dans une perspective de participation à ce nécessaire débat que vient actualiser le ministre Koné KATINAN avec la publication de son livre, que nous entendons inscrire ces lignes dont la tonalité peut déranger nombre d’ « afro optimistes ». Et c’est là, un moindre mal au regard de l’impasse aux conséquences économiques désastreuses dans laquelle conduit la logique actuelle. Dès lors, il convient de dénoncer avec fermeté cette conception étriquée qui limite le débat à de fallacieux indices statistiques plus destinés à rassurer des bailleurs aux recettes exténuées par les cuisants échecs à répétition et à flatter l’orgueil des africains. Quelle peut être en effet la pertinence de tous ces indicateurs économiquement viles autour desquels tournent toutes les communications en tout genre et de ces logiques d’arrimage du franc CFA au franc français à l’époque puis à l’Euro aujourd’hui sans impacts significatifs sur la nature structurelle des activités économiques nationales.
Le bon sens économique ou pour le moins dans sa version monétariste stipule clairement que l’efficacité de toutes politique macroéconomique repose sur une logique de régulation qui a pour axe central, la monnaie. Pour pouvoir donc assurer une régulation efficace des grands équilibres, toute politique économique doit être fondée sur une adéquation permanente entre la masse monétaire en circulation et le niveau acceptable des autres données (cf. la fameuse équation quantitative d’économétrie).
Au regard de cette praxis libérale, n’apparaît-il pas nécessaire à l’échelle de la zone franc d’intégrer le fait qu’en se privant du plus élémentaire des pouvoirs de régulation économique, il ne saurait y avoir d’industrialisation solide ? Nous entendons ici par industrialisation solide, une industrialisation en harmonie avec le fonctionnement des services essentiels dans la vie des populations africaines, une industrialisation débouchant sur la constitution d’un tissu industriel générant des interrelations entre les divers secteurs économiques. Il ne s’agit donc pas de cette industrialisation visant à passer de monopoles publics à des monopoles privés, créant ainsi de confortables situations de rente au profit de grands groupes internationaux.

Sans une politique monétaire maîtrisée de l’intérieure:
1- comment peut-on raisonnablement définir des évolutions favorables à la décélération de l’inflation ?
2- comment peut-on efficacement améliorer les soldes extérieurs et procéder à des ajustements du crédit interne et structurer au mieux les différentes contreparties ?
3- comment assurer de façon optimale des concours aux institutionnels et aux ménages ?

Ne pas chercher à répondre à ces questions revient – si ce n’est clair pour les responsables économiques des pays africains et en particulier ceux qui, à l’intérieur de la zone, ont fait le pari d’arriver dans les dix années à venir à asseoir une économie résolument tournée vers l’industrie – à hypothéquer par avance les perspectives locales.
Les pays africains de la zone franc ne peuvent dans les conditions actuelles d’extraversion de leur politique monétaire parvenir à bâtir des industries capables d’épouser à la fois l’évolution des dynamiques de consommation intérieure, régionales et mondiales dans le mesure où ils ne peuvent décider selon un rythme maîtrisé de l’intérieur, de la variation de leur masse monétaire, variation qui conditionne incontestablement toutes les autres logiques des économies modernes.

Aussi, il est important et urgent de sortir les économies africaines de toutes considérations affectives en vue d’une meilleure affectation des ressources qui deviennent de plus en plus rares. Libres à ceux qui voudront considérer pour pessimiste une telle approche. On ne peut certes nier le confort intellectuel que cela procure aux technocraties locales respectabilisées par les institutions internationales, en ce moment à grands renforts de portraits dithyrambiques, d’attendre que des experts internationaux viennent mettre en place des politiques en matière de taux d’intérêts et que la régulation de la masse monétaire se fasse selon un calendrier élaboré par l’assistance extérieure plutôt que d’engager de solides réflexions en vue de solutions durables. Mais il serait tout de même économiquement voire socialement préjudiciable dans les années à venir, à l’Afrique de la zone franc si elle ne prenait aujourd’hui suffisamment en compte la différenciation de l’environnement économique international de ces dernières années et des priorités nouvelles qu’elle a généré à l’échelle de chaque pays économiquement avancé. Le développement africain par le franc CFA – nous voulons parler ici du franc CFA tel qu’il fonctionne actuellement bien entendu – relève tout simplement de l’ hérésie.

La rationalité du mécanisme actuel est complètement dépassée et ne peut donc plus être porteuse d’efficacité économique. Le flot de discours nourris pour souligner l’intérêt économique mondial de la zone CFA est un leurre. Il vise incontestablement à cacher la réalité des choses. L’Europe regarde incontestablement – n’en déplaise à ceux qui croient le contraire et qui se croient seuls capables d’avoir un regard “optimiste ” sur le continent – vers les pays de l’Est, vers l’Asie et se trouve préoccupée par ses taux de chômage en croissance. Continuer donc à faire reposer le développement économique des pays africains sur une rationalité économique anachronique est indiscutablement une logique de gestion inefficace. Aussi il est tout simplement malheureux de constater que toute tentative d’invitation à la constitution d’une politique monétaire autonome fasse l’objet de fallacieuses mystifications, réduisant ainsi le nécessaire et incontournable défi africain au crible du réalisme budgétaire.
L’idée nouvelle et ambitieuse devenant ainsi aventure folle, rêve pharaonique, vue utopique aux yeux de technocrates platement engoncés dans un confort intellectuel avachi sous le prétexte fallacieux et honteux de réalisme.

Le vrai réalisme n’est-il pas de bâtir en acceptant d’affronter les vrais défis de son temps ? C’est cette question que à mon avis pose le livre de Koné KATINAN.

ivoiriens de l'étranger [1]

*Dadié ATTEBI est un écrivain et universitaire ivoirien.
Docteur en sciences économiques
Ingénieur
Il a étudié à l’Université des Sciences et Technologies de Lille et à L’Institut Français du Pétrole.
Il est l’auteur de :
• Une saison à Hermankono, Nouvelles, Editions L’Harmattan, 2012
• Du miracle économique à la crise politique en Côte d’Ivoire, Essai, Editions L’Harmattan, 2011
• Les derniers rayons de soleil, Poésie, Editions L’Harmattan, 2010
• Le défi africain, Essai, Editions L’Harmattan, 1995
• La fièvre des alcôves, Nouvelles, Editions Voltaire, 1999
• Côte d’Ivoire, les véritables enjeux des élections pluralistes, Essai, Editions Voltaire 1993

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