Sabri Lamouchi (ex-sélectionneur de la CI): ‘‘Je n’ai jamais parlé de démission’’
Alors qu’il est rentré en France, nous l’avons sollicité pour expliquer les motivations réelles de sa démission de son poste de sélectionneur et expliquer les problèmes de capitanat entre les joueurs.
Comment expliquez-vous le parcours des Éléphants au Brésil ?
La Coupe du monde est du haut niveau. Et dans ce genre de compétition, il y a de petits détails qui restent importants. Il y a des erreurs à ne pas commettre, notamment pour ce qui est de l’arbitrage. Nous avons pris 5 buts sur des erreurs. Le premier sur une erreur d’inattention à la suite d’une touche contre le Japon. Le deuxième devant la Colombie sur un corner où on devait plutôt s’appliquer en envoyant le ballon dans les tribunes sans avoir honte, où à la rigueur, le jeter encore en touche. Le troisième sur un pénalty et puis un quatrième et un cinquième sur deux erreurs qui n’ont jamais été commises en deux ans, depuis que je suis à la tête des Eléphants. Et de surcroît avec des joueurs qui sont exemplaires, l’un et l’autre sur les deux matches. C’est ce que j’appelle les petits détails qui au haut niveau ne pardonnent pas. Et puis nous n’avons pas eu la chance de tirer profit des erreurs adverses et de bénéficier de décisions arbitrales à notre faveur. Pourtant, il y a un ou deux penalties en notre faveur qui ont été ignorés. Un ou deux cartons qui ont été distribués injustement. Je pense au carton jaune de Maestro contre la Colombie, donné par l’arbitre anglais Howard Webb.
Considérez-vous donc que la cause principale de l’échec des Eléphants est le fait des arbitres ?
Je ne veux pas me cacher derrière des erreurs d’arbitrage parce que tout le monde voit que cette coupe du monde est une réelle réussite. Il y a du monde dans les stades, il y a une magnifique ambiance. Malheureusement, tout le monde observe aussi qu’il y a des erreurs d’arbitrage qui sont généralement en faveur des grandes nations et rarement en faveur des petites nations. Ce sont tous ces petits détails, les uns, après les autres qui n’ont pas été bénéfiques pour nous.
Avez-vous posé des recours ou en avez-vous parlé de manière vive auprès de la Fifa ?
J’ai dit à l’arbitre anglais, Howard Webb qu’il était incompréhensible que les Colombiens sortent de ce match sans carton. J’en ai personnellement parlé en conférence de presse, après le match contre la Colombie et lors d’une réunion technique. Mais que puis-je faire aujourd’hui, alors que la compétition est terminée. On sort sur pénalty plus qu’imaginaire à 30 secondes du rêve de tout un peuple.
Est-ce que cette élimination n’est pas liée au fait que les Eléphants ont mal joué ?
C’est vrai que nous avons connu une mauvaise entame de match. Mais nous étions pendant 20 minutes en huitièmes de finale. Mais aussi, il faut le dire, nous avons manqué de maturité. Je pense que dans les 5 dernières minutes, on ne devrait plus chercher à aller marquer un second but, mais essayer de conserver le ballon et ne pas le perdre. A gagner du temps comme l’ont si bien fait les Costariciens qui, eux, ont fait preuve d’expérience et de vigilance. C’est peut-être, ce qui nous a manqué.
Qu’est-ce qui motive donc les sorties de Didier Drogba et Gervinho, mieux outillés pour ce jeu ?
Quand j’ai fait entrer Wilfried Bony, on s’est retrouvé du coup avec cinq joueurs à vocation offensive (Didier Drogba, Kalou Salomon, Gervinho, Bony et Yaya Touré), qui sont des joueurs très peu portés sur les efforts défensifs. A deux ou trois reprises, on aurait pu prendre deux ou trois buts et connaître le K-O. J’ai préféré retrouver l’équilibre en faisant entrer un milieu de terrain. Ça aurait pu être Salomon Kalou mais celui-ci n’avait pas joué le match contre la Colombie alors que Gervinho a disputé trois matchs en une semaine. Bien entendu contre le Japon, j’avais fait le bon choix, de même que contre la Colombie. D’après ce que j’ai entendu, l’équipe avait fait une bonne prestation, malgré la défaite. Mais trois jours après, tout est remis en question. Je ne vois pas les choses sous cet œil-là.
Le capitaine de l’équipe Didier Drogba s’est visiblement fâché après sa sortie ?
J’étais concentré sur mon match. J’ai effectivement eu écho de sa réaction. Mais, je suis surpris de sa réaction. Puisque à ce moment-là, la Côte d’Ivoire était en 8ème. L’intérêt collectif prime avant tout. Quand je vois le Costa Rica qui fait sortir Campbell parce qu’ils sont qualifiés, c’est dire que l’intérêt collectif prime sur tout. Quand je vois Ozil sortir de l’équipe de l’Allemagne, c’est l’état d’esprit qu’il faut avoir. L’entraîneur fait des choix pour l’intérêt collectif. Donc faire sortir Didier ou Gervinho, ce n’était pas une sanction. C’était tout simplement parce qu’on devait garder le ballon, parce qu’on ne devait pas prendre de buts, parce que, entre-temps, les Grecs se faisaient menaçants. Donc, j’ai préféré rééquilibrer le milieu du terrain. C’est pourquoi, j’ai fait entrer Ismael Diomandé et Giovanni Sio.
À vous entendre, la défaite n’a rien à voir avec ces changements ?
Je le répète, nous avons manqué d’expérience, de malice, de maturité et de culture défensive en ce moment de la partie, c’était d’être efficace. Si je ne les faisais pas et qu’on prenait un but, après, nos chances auraient pu être complètement anéanties.
Quel a été le mode opératoire pour attribuer le brassard à Yaya Touré ?
Pour moi, le problème de capitanat était simple. Le numéro 1, c’est Drogba, le numéro 2, c’est Kolo et le numéro 3, c’est Yaya. Si Didier ne joue pas, c’est Kolo. Et si Kolo aussi n’est pas là, il revient à Yaya de le porter. Il y a même un 4e, si Yaya ne joue pas, c’est Copa.
Qu’est-ce qui a précipité votre démission ?
Je n’ai jamais parlé de démission. J’ai tout simplement répondu à un journaliste ivoirien sous le coup de l’émotion. Mon contrat arrivait à son terme après la Coupe du monde. Et que c’était peut-être la fin d’une histoire. Je n’avais à aucun moment imaginé la fin de mon histoire avec la Côte d’Ivoire de cette manière-là.
Regrettez-vous cette sortie ?
Sincèrement, je regrette de ne pas avoir dit que j’allais avoir une discussion avec mon président qui m’a fait confiance jusqu’à présent. Mais, avec qui nous étions en totale confiance et transparence. Lui savait que j’avais repoussé toutes les offres de manière à rester concentré sur notre objectif qui était de passer les poules et ensuite continuer l’aventure jusqu’à la Can au Maroc et tenter de ramener la Coupe à Abidjan. Mon objectif à moi était d’entrer dans l’histoire du football ivoirien. Mon envie était de ramener la coupe du Maroc et de rendre la confiance au président Sidy Diallo et aux joueurs qui ont été exemplaires pendant deux ans et surtout pendant cette coupe du monde.
La Fédération ivoirienne de football a fait un appel à candidatures pour le poste de sélectionneur à votre place. Un commentaire ?
Je trouve que c’est normal. Les cinq personnes faisant partie de cette commission ont toute légitimité et je trouve que c’est une excellente idée.
Justement, il y a eu cette période trouble ou des noms ont été avancés (Philippe Troussier, Giovanni Trapattoni…). Cela vous a-t-il déconcentré ?
Vous dire le contraire serait un mensonge. Après les critiques qui ont suivi notre qualification à Casablanca. J’ai été effectivement surpris de lire certaines choses. D’entendre ce que j’ai entendu. Moi, je suis resté concentré sur mon travail. Heureusement que j’avais la confiance de mon président et des joueurs. Pendant deux ans, j’ai travaillé dans un contexte qui n’était pas facile. Et j’ai été très honoré et fier de représenter les Eléphants. Je n’ai jamais cessé de travailler dans l’intérêt du football ivoirien. Ce qui me fait plaisir, c’est que certains dirigeants de clubs amateurs et professionnels pensent la même chose. Parce que dans le groupe, je connais parfaitement les problèmes. J’aimais les joueurs. Les fruits de notre travail ont commencé à payer. Parce que dans le groupe, il y a 6 joueurs qui ont fait trois fois la coupe du monde, 4 en ont fait deux et il y a 13 qui étaient à leur première coupe du monde. On a rajeuni cette équipe, on a senti des qualités de cette équipe. Les joueurs auraient mérité d’aller en 1/8e de finale, c’est pour cela que j’ai beaucoup de tristesse…
Avez-vous des contacts avec d’autres clubs ou sélections?
Là aussi, j’ai lu des choses qui sont complétement fausses. Après cette grosse déception, j’ai besoin de repos, malgré des sollicitations. Mais, qui resteront sans suite pour l’instant. Parce que j’ai besoin d’évacuer cette déception(…) J’ai voulu faire en sorte que les Eléphants puissent faire rêver toute la Côte d’Ivoire et ils ont travaillé plus qu’ils ne l’ont jamais fait. Ils se sont préparés comme ils ne l’ont jamais fait, mais on s’est rendu à l’évidence que le football de haut niveau se jouait sur des petits détails.
Considérez-vous que l’éclosion de joueurs comme Serge Aurier, Serey Dié… sont des points positifs de votre passage chez les Eléphants?
Pas seulement… Quand il a fallu prendre la responsabilité d’aller les chercher. Je l’ai fait. Ces jeunes joueurs sont talentueux. Ils sont l’avenir de cette équipe nationale et je suis triste parce qu’il y avait quelque chose de très important qui pouvait se faire. J’ai un goût d’inachevé. Je souhaite à la Côte d’Ivoire et aux Eléphants le meilleur pour demain.
Avec FratMat
Source: http://www.africafootballnews.com/sabri-lamouchi-parle-la-presse-apres-la-debacle-des-elephants-de-cote-divoire/159