Saga juridique entre Ouattara et la Cour Pénale Internationale – Cas de Simone Gbagbo (suite et fin)
by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 4 octobre 2013 14 h 15 min
Dans le cadre de la Saga entre Ouattara et la CPI dont nous avons débuté l’analyse hier (Voir Lumière sur la saga juridique entre Ouattara et la CPI (Voir Lumière sur la saga juridique entre Ouattara et la CPI à propos de Simone Gbagbo. Qui va l’emporter et pourquoi? http://www.ivoirediaspo.net/lumiere-sur-la-saga-juridique-entre-ouattara-et-la-cpi-propos-de-simone-gbagbo-qui-va-lemporter-et-pourquoi.html), il est à noter que le délai de réponse observé par le Procureur dans le cas du président Gbagbo ouvre la porte à toute interrogation légitime. Nous y reviendrons très prochainement mais pour l’heure laissons le Dr. Pierre Lombardet nous instruire davantage sur le cas de Simone Gbagbo, un nœud gordien pour l’actuel président de la Côte d’Ivoire.
IVOIRDIASPO : Au cas où il y aurait une confrontation entre la CPI et l’Etat de Côte d’Ivoire, quelle justice prévaudrait ?
P. L. : Au risque de se répéter, il ne peut y avoir, en principe, de conflit de juridictions.
En effet, le Statut de Rome pose le principe de la primauté des juridictions nationales et instaure corrélativement le principe de subsidiarité et de complémentarité de la Cour Pénale Internationale.
Les autorités ivoiriennes ont officiellement demandé, le 20/09/2013, à la Cour Pénale Internationale (CPI) de se déclarer incompétente pour poursuivre l’épouse de l’ancien président Laurent Gbagbo, Simone, afin que celle-ci soit jugée dans son pays ; à cet effet, elles ont annoncé avoir décidé de présenter une requête en irrecevabilité assortie d’un sursis à enquêter ou à poursuivre justifiant leur refus d’exécuter le mandat d’arrêt émis par la CPI le 29 février 2012 pour crimes contre l’humanité (renouvelé le 22/11/2012), en attendant la décision de la Cour sur sa compétence.
- La solution comme indiquée plus haut sera normalement juridique :
- la CPI ferait droit à la demande ivoirienne et se désisterait, car la primauté de la justice ivoirienne est de droit ; mais cette solution suppose le respect des conditions de forme et de fond imposées par le Statut de Rome
- la CPI pourrait rejeter les prétentions ivoiriennes et décider de faire prévaloir son pouvoir supra-étatique et universel.
- Mais, il serait sage et bien avisé de garder en mémoire que « faire du Droit, c’est faire de la politique autrement ». Le Droit et la politique s’entendant ici au sens noble ! Sans instrumentalisation à front renversé !
- En dépit des propos de fermeté du Procureur et du porte-parole de la CPI refusant l’immixtion du politique dans le juridique voire le judiciaire, l’esprit exercé peut aisément constater que la CPI pourrait également faire de la politique en rendant une décision judiciaire ignorant l’absence d’ouverture actuelle ou imminente d’une procédure judiciaire contre Mme Gbagbo et pour les mêmes faits que ceux pour lesquels le mandat d’arrêt a été émis. Un jugement en opportunité pour ne pas gêner la situation socio-politique fragile en Côte d’Ivoire serait un acte purement politique déguisé en décision judiciaire.
- Il conviendrait cependant de conserver toute confiance à l’égard de la CPI qui manifeste une volonté de poursuivre lorsqu’elle précise dans le mandat d’arrêt litigieux, relativement à Mme Gbagbo : « Bien que n’étant pas élue, elle se comportait en alter ego de son mari, en exerçant le pouvoir de prendre des décisions d’État ». Cette affirmation, si elle est traduite dans les faits, permettrait d’éloigner le spectre d’un abandon des poursuites, au motif des doutes sur le rôle et la qualité officiels de Mme Gbagbo.
IVOIRDIASPO : La CPI pourrait-elle obliger la Côte d’Ivoire à transférer Madame Gbagbo à la Haye ?
P. L. : La réponse est non. L’exécution des actes délivrés par la CPI, notamment le mandat d’arrêt, suppose l’existence d’un organe ad hoc.
Dans une présentation simplifiée, on pourrait avancer qu’à la différence de l’ONU qui dispose d’une force composée à partir de l’engagement volontaire des Etats membres (les Casques Bleus), la CPI n’est pas dotée d’un organe de sanctions avec des moyens coercitifs clairement édictés. Logiquement, l’exercice de la compétence juridictionnelle de la CPI est marqué par le défaut d’appui par un corps d’huissiers internationaux et par une police internationale : elle fonctionne, exclusivement, sur la base de l’obligation générale de coopération et d’assistance inscrite au chapitre 9 du Statut de Rome, en adoptant les règles diplomatiques.
Ainsi, le Statut de Rome envisage le cas de refus de coopération d’un Etat membre ou acceptant la compétence de la CPI, à travers deux dispositions :
- Conformément à l’article 87.7 « Si un État Partie n’accède pas à une demande de coopération de la Cour contrairement à ce que prévoit le présent Statut, et l’empêche ainsi d’exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le présent Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l’Assemblée des États Parties ou au Conseil de sécurité lorsque c’est celui-ci qui l’a saisie ». L’Etat partie est ici entendu dans un sens large définit à l’article 87.1, a). Ainsi tout Etat, ayant fait une déclaration d’acceptation de la compétence de la CPI, est soumis aux obligations de coopération liant les Etats parties. Cette solution a vocation à s’appliquer à la Côte d’Ivoire ; la CPI se contenterait de prendre acte de sa non coopération.
- L’article 112.2, f) du Statut de Rome indique que « l’Assemblée des Etats parties examine, conformément à l’article 87, paragraphes 5 et 7, toute question relative à la non-coopération des États ».
- Ici se ferme l’appréciation juridique et s’ouvre l’examen de la question sur le terrain politique et diplomatique. Le temps politique n’est pas le temps judiciaire, il est enfermé dans aucun délai et l’Assemblée des Etats parties n’a pas de compte à rendre à la Cour. Elle n’est même pas tenue de donner suite !
- Pour conclure, il semble possible, au regard des textes en vigueur et du droit positif international, d’affirmer que la CPI n’a pas les moyens d’obliger l’arrestation et le transfèrement de Mme Gbagbo, en l’absence de toute coopération du Gouvernement ivoirien.
- Si vous le permettez, par le prisme de l’éventualité d’une telle situation de blocage, il devient également réaliste de poser la question de la nécessité, à tout le moins, de l’intérêt d’une prochaine révision du Statut de Rome. Le cas échéant, la CPI pourrait-elle survivre à un renforcement de ses pouvoirs supra-étatiques ? Au demeurant, en l’absence d’un procès pénal international pour les crimes visés à l’article 5 du Statut de Rome, même si des sanctions sont prises contre l’Etat qui refuse sa coopération, la question de la viabilité de la CPI ne se poserait-elle pas rapidement ?
IVOIRDIASPO : Pourriez-vous être plus explicite ? Entendez-vous qu’il y a péril pour la CPI, à travers le dossier ivoirien ?
P. L. : Notre analyse voudrait humblement se fonder sur une série de faits incontestables.
La situation inextricable dans laquelle se trouve aujourd’hui la CPI, à travers le cas de la Côte d’Ivoire, pourrait devenir un cas d’école, pour le meilleur. Mais, il pourrait, si les principaux acteurs n’y prennent garde, devenir, rien moins qu’un piège pour la Communauté Internationale. En effet, pour rappel :
- Sept enquêtes ont été ouvertes depuis la création de la CPI ; elles ont successivement utilisé, l’une des 3 procédures de saisine de la Cour (demande d’un Etat membre, Auto-saisine du Procureur, injonction du Conseil de sécurité des Nations Unies),
- La Côte d’Ivoire est le premier cas d’expérimentation d’une ouverture d’enquête par le Procureur agissant proprio motu,
- Hormis le cas du Soudan qui a écarté la compétence de la CPI en invoquant son retrait avant toute ratification du Statut de Rome, c’est aussi le premier cas d’une requête en irrecevabilité de la part de l’Etat du lieu de survenance des crimes poursuivis (c’est un simple constat et il ne faudrait pas y voir un procès en sorcellerie),
- La CPI a l’obligation impérieuse de rassurer les sceptiques quant à son impartialité (justice dirigée contre les Africains ; les 7 procédures en cours concernent des faits commis sur des territoires de pays africains) et sa vocation naturelle (canal de diffusion des valeurs et de protection des intérêts de l’Occident).
- Mutatis mutandis, par le passé, le Général de Gaulle, Chef d’Etat d’une grande démocratie qualifiait l’ONU de « machin ».
Il résulte de ce qui précède que le cas non moins emblématique de l’ancien ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, serait d’ailleurs intéressant à analyser, en miroir avec la situation de Mme Gbagbo. Dans les deux cas, la réponse des autorités ivoiriennes marquera la formation de la justice pénale internationale. Nous y reviendrons certainement.
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Enfin, vu le rôle déterminant joué par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans le dénouement de la crise ivoirienne, la question viendrait à se poser si une interprétation du pouvoir d’injonction dudit Conseil peut lui permettre d’attribuer à la CPI, une compétence exceptionnelle, dérogatoire au principe de subsidiarité et de complémentarité et exclusive de tout droit à contestation .
IVOIRDIASPO : Que préconisez-vous après ces constatations ?
P. L. : Il serait prétentieux de faire la leçon à une juridiction composée de juristes de haut vol. En tout état de cause, il serait encore plus dangereux de ne pas enfoncer la porte grande ouverte vers plus de fermeté et de clarté. Pour preuve, deux actions semblent attendues par tous les observateurs :
- La rupture d’avec ce que certains qualifient déjà de poursuites séquentielles, du fait de la mise en cause exclusive des auteurs présumés de crimes appartenant à un seul des camps belligérants,
- L’incitation directe et publique du Gouvernement ivoirien à satisfaire l’obligation de coopération qui pèse sur lui ; à défaut, d’y déférer, de signifier à la Cour toute contestation de sa compétence, dans le respect de l’article 19.5 du Statut de Rome qui impose, un délai rapide ; ce qui s’oppose à la réponse du porte-parole du gouvernement qui a récemment fait savoir que la Côte d’Ivoire « n'(allait) pas s’engager sur des délais » et que « le moment venu, la réponse (serait) communiquée à la CPI ».
L’application du Statut de Rome dans la rigueur de sa lettre et de son esprit.
Interview réalisée par Serge Daniel Atteby
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