La petite colonie ivoirienne vivant en Chine, en dépit des barrières de la langue et de la culture, semble bien s’épanouir dans ce pays.
Ses membres espèrent, de retour au pays, pouvoir travailler avec leurs diplômes chinois.
Le visage radieux, arborant des tenues typiquement ivoiriennes, Franck Daleba, Anastasie Yapi et Kouassi Emilienne se déhanchent au son de musiques de la Côte d’Ivoire. C’est la semaine culturelle dans leur université dénommée ‘‘University of science and technologie’’. Une belle opportunité que ces jeunes étudiants ivoiriens mettent à profit pour ‘‘vendre’’ l’image et la culture de leur pays en Chine. Au vu de la foule compacte devant leur stand, le pari semble gagné. Car les jeunes étudiants chinois se laissent emporter par les rythmes endiablés du ‘‘coupé-décalé’’, du ‘‘zouglou’’ et du ‘‘ziglibity’’. Ils disputent même la piste de danse à leurs ‘‘frères’’ ivoiriens ; à la grande joie de Kouamé Brou Joseph Laberge, président des étudiants ivoiriens de Beijing. « Quelle fierté pour nous de voir des gens danser au son de la musique ivoirienne! Nous avons exposé aussi des objets et autres gadgets de chez nous que les Chinois viennent regarder », se réjouit-il. Vêtu d’un gros pagne kita, entre deux pas de danse, il nous explique que cette semaine culturelle vise à rapprocher les étudiants de l’institut et leur permettre de partager des moments de convivialité. Et surtout à apprendre l’un de l’autre au plan culturel. Pour la circonstance, une vingtaine de stands ont été dressés. Parmi lesquels ceux des Iraniens, Cubains, Pakistanais, Colombiens, Mozambicains, Guinéens, Sénégalais, Congolais, Egyptiens.
Au-delà de cette initiative, Elodie N’Goran, en 5e année de médecine, venue d’une autre université pour assister ses ‘‘frères’’ ivoiriens, affirme que ce genre de rencontres renforce davantage les liens et la fibre patriotique entre les Ivoiriens. Pour la circonstance, elle portait une superbe tenue yacouba. « Tous les étudiants que vous voyez sont membres de notre bureau. Nous nous retrouvons à l’occasion des grandes cérémonies et événements comme la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire ou lors de la remise des diplômes de l’un des nôtres », confie notre interlocutrice. Avant de nous convier justement à une fête dédiée à des étudiants nouvellement diplômés.
Attiéké, Alloco, biécosseu à gogo
La cérémonie a eu lieu dans un grand restaurant de la place. Presque toute la petite colonie d’étudiants ivoiriens de Beijing y était présente. Certains venaient même des villes proches. Des Ivoiriens exerçant dans divers secteurs d’activités étaient également présents. Sans oublier le personnel diplomatique de l’ambassade.
Les drapeaux ‘‘Orange-Blanc-Vert’’ tapissaient les murs du restaurant transformé en une discothèque géante. Sur les tables étaient exposées toutes sortes de mets ivoiriens: de ‘‘l’attiéké (semoule de manioc cuite à la vapeur) accompagné de poisson’’, ‘‘l’alloco’’ (banane frite), ‘‘du foutou banane à la sauce graine’’, du ‘‘foufou’’ avec le ‘‘biecosseu’’, ‘‘et même du ‘‘garba’’ (une variante de l’attiéké). «Vous voyez tous ces plats, c’est comme si nous étions en Côte d’Ivoire », nous fait remarquer une des jeunes filles qui joue le rôle d’hôtesse. Cette dernière qui se prénomme Marie-France est en année de Bachelor (équivalent de la licence) en Business administration.
À minuit, la salle était pleine comme un œuf. Difficile de se frayer un chemin dans la foule compacte. Quel bonheur pour nous, après 5 mois passés tout seul, de retrouver des compatriotes; de les entendre les uns parler ‘‘bété, baoulé, yacouba, attié, malinké, guéré… On se croirait en terre ivoirienne. Certains, contents de se voir, se saluaient chaleureusement. D’autres se faisaient des accolades. Des personnes esquissaient des pas de danse à la mode au pays, question de dire que même loin de la mère patrie, on reste connecté aux concepts qui y sont à la mode.
Après avoir dévoré les plats qui nous avaient tant manqué, nous avons commencé à échanger avec certains étudiants. Simon Gadji, un solide gaillard, la trentaine accomplie, que nous avons approché, dit être étudiant en Master à Tianjin, une municipalité autonome du nord-est de la Chine. Inscrit en ‘‘Business et management international’’, notre interlocuteur nous informe qu’il fréquente la même université que sept autres Ivoiriens. Et d’ajouter qu’ils faisaient l’objet, au début, d’une grande curiosité. « Nous étions regardés étrangement par les autres étudiants chinois qui ne sont pas habitués à voir des Noirs. Nous avons pu nous intégrer tout de même. Nous prions Dieu d’avoir du boulot quand nous allons rentrer », a-t-il espéré.
Aussi nous informe-t-il qu’il existe deux types d’étudiants en Chine : les boursiers et les non boursiers. Ses amis et lui sont dans la seconde catégorie. Leurs études sont financées entièrement par leurs parents qui dépensent de fortes sommes d’argent, à l’en croire, pour leur assurer une bonne éducation.
1 à 2 millions de Fcfa comme frais de scolarité
À la question de savoir combien coûtent leur scolarité par an, il hésite un peu, puis sourit. Avant d’enchaîner : « Vous savez, la scolarité est fonction des diplômes que l’on prépare. Ainsi, pour la première année d’apprentissage du mandarin car dans la plupart de leurs universités, les cours ne sont dispensés que dans cette langue, l’année revient à 1 million 100 mille Fcfa. Pour le Bachelor, elle tourne autour de 1 million 600 mille Fcfa. Le Master, lui, fait à peu près 2 millions Fcfa et c’est selon les universités ». Tout en faisant savoir que l’année d’apprentissage est suivie d’un test d’aptitude en vue de commencer la formation proprement dite.
Le coût de la vie à Beijing étant élevé, la majeure partie des étudiants préfèrent s’inscrire dans les universités des autres villes ou provinces de la Chine. Ce qui fait qu’on les retrouve un peu partout sur le territoire chinois. Mais grâce à une application dénommée ‘‘Wechat’’, l’équivalent de Whatsapp, nous avons pu entrer en contact avec certains d’entre eux. Linda Silué, nous avons décidé de l’appeler ainsi, après maintes hésitations, a accepté de s’ouvrir à nous. Elle dit être inscrite en 4e année de médecine dans la ville de Dalian, au nord de la Chine. « Mon intégration n’a pas été vraiment facile. Premièrement, à cause de la barrière de la langue. Tous les cours sont dispensés en mandarin. Vous devinez certainement les difficultés auxquelles j’étais confrontée. J’ai failli abandonner pour rentrer au pays, mais j’ai décidé de m’adapter. Deuxièmement, je suscitais de la curiosité dans mon université relativement à la couleur de ma peau. Je tiens à préciser qu’il y a très peu de Noirs dans mon institut », souligne-t-elle. Bakayoko Fatouma, Clarisse Niamien, Cissé Mamadou, Tapé Jean, Kouadio Kouassi Sévérin, tous de façon unanime, avouent avoir vécu la même situation que Linda Silué. Mais, ils ont su faire preuve de dépassement de soi pour s’adapter et tirer profit de la qualité de l’enseignement dispensé dans les universités chinoises.
Ils indiquent aussi avoir choisi la Chine parce que ce pays leur offre l’opportunité d’apprendre le mandarin (la langue chinoise) et l’anglais. Et donc d’être trilingue. « Si nous étions allés en France, nous ne parlerions que le français qui est déjà notre langue officielle. En plus, la Chine est une puissance qui monte aujourd’hui, parler donc mandarin nous sera bénéfique tôt ou tard », insiste Linda Silué.
Tous les jeunes étudiants avec qui nous avons échangé n’envisagent aucunement de rester dans l’Empire du Milieu. « La Côte d’Ivoire a besoin de ses filles et fils pour se reconstruire. Notre ambition est de rentrer au pays pour mettre notre expertise à la disposition de la nation », soutiennent-ils.
Coiffeuses et nounous, l’autre alternative
La diaspora ivoirienne n’est pas importante en Chine. Elle est constituée particulièrement d’étudiants. Cependant, outre ces personnes venues s’instruire, certains de nos compatriotes se ‘‘débrouillent’’. Ceux que nous avons pu rencontrer, notamment des femmes, travaillent essentiellement dans des salons de coiffure ou exercent le métier de nounou.
Carine Ouattara, responsable d’un institut de beauté situé dans le secteur de Taiwan, est justement très occupée le jour de notre arrivée dans son établissement. Vêtue d’une blouse bleue, brosse et sèche-cheveux en main, elle fait des va-et-vient entre les quatre clientes installées sous les casques chauffants. Quatre filles l’aident dans son activité. Toutes sont occupées à notre arrivée.
L’espace est bruyant. Trois autres femmes venues se refaire une beauté, en attendant leur tour, devisent gaiement. Elles parlent en lingala, une langue parlée au Congo et en République démocratique du Congo (Rdc). Carine Ouattara, ayant constaté notre gêne, prend une pause et s’approche de nous. «Comme vous le savez, c’est un salon tenu par l’Ivoirienne que je suis. La plupart des Noirs de Beijing viennent ici pour se coiffer. J’emploie toutes les jeunes filles ivoiriennes désireuses de faire ce métier et qui viennent me solliciter. Car avoir un petit boulot ici est trop compliqué », nous informe-t-elle.
Elle affirme qu’elle sert aussi d’intermédiaire entre les jeunes filles qui cherchent du travail et les diplomates qui la connaissent bien. « Mon salon est fréquenté. Quand un responsable ou des ambassadeurs cherchent des servantes ou des filles de ménage, ils me le disent et j’en fait la proposition à mes sœurs qui sont intéressées », déclare-t-elle.
Mélanie Dago, une jeune fille bété qu’elle a pu caser comme nounou chez un diplomate, était au salon ce jour-là. « Je gagne au moins 4 mille Rmb par mois, soit 400 mille FCfa. Je garde les enfants de mes patrons quand ils vont au travail. Je fais aussi le ménage, mais pas la cuisine. La plupart des Ivoiriennes, après la coiffure, ne font que ce boulot ici. Nous avons même une sœur ivoirienne qui préparait pour le footballeur Gervinho avant sa blessure », confie-t-elle. Avant de préciser que pour celles d’entre elles qui en ont les moyens, elles font venir de la nourriture du pays pour la vendre dans les ambassades parce que les diplomates africains n’aiment consommer que les mets du continent.
Le football, un tremplin pour s’insérer
Si les jeunes filles parviennent à obtenir de petits boulots en Chine, ce n’est pas évident pour les hommes. Le sport, notamment le football, très apprécié par les Chinois, devient donc l’une de leurs options. C’est le cas de Trazié Simon. Venu en Chine pour être footballeur professionnel, il a dû se reconvertir en entraîneur de jeunes chinois. « Je suis en Chine depuis 5 ans.
Avec Fratmat