by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 16 juillet 2013 7 h 38 min
La gestion sociopolitique et économique des affaires au sommet de l’Etat Béninois et les dossiers brûlants de la Nation ont fait l’objet d’un entretien à cœur ouvert avec le Président Jean-Yves SINZOGAN. De la révision de la constitution, en passant par la répression contre l’essence frelatée dite « Kpayo », à la polémique autour du taux de croissance, le candidat à la présidentielle de 2011 s’est prononcé sans langue de bois. Pour lui, le Bénin est dans une situation de non gestion, de refus délibéré de la bonne gestion, de la part des gouvernants. ’’Le poison est dans le fruit et il faut l’en extirper à tout prix’’ a dit l’Ingénieur Statisticien-Economiste de formation, agent de la BCEAO jusqu’en 2011 et aujourd’hui Consultant international. L’homme est âgé de 52 ans, marié et père de 5 enfants. Interview.
1- On vous a connu en tant que candidat aux dernières élections présidentielles, mais depuis vous avez disparu de la scène politique nationale, qu’est-ce qui explique cela ?
Plusieurs raisons à cela. La première est que j’ai dû faire face à une situation hostile au niveau de mon emploi à la BCEAO qui a finalement conduit à un procès pendant devant la Cour de Justice de l’UEMOA. La deuxième, qui découle de la précédente, est que j’ai dû revoir mes projets personnels pour m’adapter à cette nouvelle donne. Cela prend du temps et de l’énergie. Et durant tout ce temps, j’ai choisi de rester à Ouagadougou qui est mon dernier poste d’affectation où j’étais en détachement auprès de la Commission de l’UEMOA. Comme vous le savez, la Cour de Justice de l’UEMOA est également installée dans ce pays qui m’offre par ailleurs, plus de latitude pour organiser mes activités personnelles. Enfin la situation politique dans notre pays s’est largement dégradée avec une banalisation de la violence. Je ne vous cache pas que ma sécurité a été en jeu à un moment donné et l’est toujours d’ailleurs… Mais pour autant je n’ai pas entièrement disparu. J’ai quand même eu à intervenir dans certains journaux de la place pour me prononcer sur différents sujets qui agitaient l’actualité politique, je me tiens informé de tout ce qui se passe et j’ai gardé le contact avec de nombreux béninois malgré la distance. Beaucoup connaissent mes points de vue sur les grandes questions nationalesde l’heure.
2- Alors, en tant que leader politique, comment appréciez-vous la gestion des affaires au sommet de l’Etat depuis 2011 ?
Elle est dans la stricte continuité de ce qui s’est passé durant les 5 précédentes années. Si Boni YAYI qui a été élu avec un score jamais obtenu de 75% en 2006, s’est senti obligé de nous faire voter sur une liste électorale fantôme -et il n’y avait pas que cela !- on pouvait dès 2011, en déduire qu’il savait qu’il ne pouvait pas faire mieux. En tout cas, il serait hypocrite de se montrer surpris de ce qui se passe aujourd’hui, parce que pour moi c’était parfaitement prévisible. Je souhaite sincèrement que ces chocs que nous recevons nous permettent de tirer suffisamment de leçons pour faire avancer notre démocratie. Pour ma part, je pourrais résumer la situation actuelle du pays en deux mots : incompétence et malhonnêteté !
Au plan politique, la dernière déclaration du président de la République qui considère la démocratie comme un poison montre à quel point cet homme n’a plus de repère ni spatial ni temporel. Il n’est plus légitime qu’il continue de porter le titre de président de la République parce qu’il n’y a de république que dans un régime politique démocratique. Cette déclaration a le mérite de nous confirmer publiquement ce que nous soupçonnions depuis longtemps : le ver … pardon… le poison est dans le fruit ! Il faut donc l’en extirper coûte que coûte.
3- Actuellement le projet de révision de la constitution fait couler beaucoup d’encres et de salives avec en toile de fond une classe politique béninoise divisée sur l’opportunité ou non de la révision. Quels est votre opinion sur la question ?
Je n’ai pas voulu intervenir outre mesure dans la relance du projet de révision de la constitution parce que d’abord, pour moi, tout a déjà été dit lors de lapremière tentative et ensuite, j’ai la conviction que la question angulaire n’est pas la révision de la constitution mais l’existence d’une liste électorale exhaustive et fiable. Je crains que nous ne gaspillions nos énergies dans les débats sur la révision pendant que les magiciens en profitent pour nous fourguer une fois encore, une liste fantôme dont ils pourront sortir les résultats les plus imaginaires. En effet vous convenez avec moi que si les béninois étaient certains que les élections seront transparentes, ils ne perdraient moins de temps à discuter de la révision de la constitution puisque celui qui voudrait réviser la constitution afin de s’accrocher au pouvoir ou à défaut, nous imposer un Président à sa merci, ne pourra pas échapper au verdict des urnes. Tâchons donc de ne pas lâcher la proie pour l’ombre !
Mais pour autant je ne pense pas qu’il faille se taire. La révision est inopportune et il faut le dire haut et fort. Elle l’est pour plusieurs raisons dont la plupart ont déjà été évoquées par d’autres voix. D’abord, en se faisant élire sur une liste électorale qu’il ne peut exhiber, Boni YAYI ne me paraît pas avoir une légitimité suffisante pour toucher la constitution. La deuxième raison est la profonde dégradation de la situation économique et sociale du Bénin, à laquelle la révision de la Constitution n’apportera pas de solution. La troisième est que leprésident de la République n’a jamais voulu organiser le débat national sur le sujet ; comme vous pouvez le constater, les marches et autres gesticulations de soutien ont commencé sans que personne n’ait clairement dit aux Béninois ce que contient le projet et qu’est-ce qui justifie les modifications proposées ; or, à l’issue de la première tentative, le président de la République s’était engagé àorganiser ce débat national. Ce n’est pas dans les journaux que nous allonsprendre connaissance du projet ! Il faut que celui qui le propose nous le présente et défende ses propositions! Au lieu de cela, le président de la République et ses partisans organisent un brouhaha autour de leur propre initiative, ce qui signifie qu’ils sont incapables d’exposer et de défendre leurs intentions de manière honnête et transparente. Ils préfèrent violer notre intelligence en avançant des inepties de toutes natures. Ainsi, certains brandissent l’argument de l’âge de la constitution comme si la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981et qui fait partie intégrante de notre constitution n’était pas vieille ; ils disent que la Constitution a prévu sa propre révision comme s’il existait un texte de loi non révisable ; ils galvaudent le mot « réformes » sans jamais être capables de nous dire ce qu’il renferme et en quoi leurs réformes vont mettre fin à la détresse actuelle de tous les agents économiques béninois. D’autres demandent d’avoir confiance auprésident de la République comme si nous étions dans un club d’amis ; il s’agit d’une République dotée d’une constitution, d’une histoire, de lois et de règles écrites et non écrites que tout le monde doit respecter. Comme l’a rappelé le président de l’Assemblée nationale au président de la République, le projet proposé doit faire l’objet d’un large débat national qui doit être organisé par leGouvernement à l’issue duquel un projet consensuel pourra être soumis à l’Assemblée. Sans ce débat et ce consensus, le dossier doit être classé.
4- Pensez-vous, comme le craignent nombre de citoyens Béninois, que la révision de la constitution pourrait être interprétée comme la naissance d’une nouvelle République ?
Rien n’oblige, à mon humble avis, l’Assemblée à interpréter le projet dont nous avons eu connaissance dans les journaux comme la naissance d’une nouvelle République, d’autant plus que la Cour constitutionnelle a déjà exclu les principes fondamentaux du champ de la révision.Cependant, les spécialistes estiment par exemple, que la modification du préambule entraîne de facto la création d’une nouvelle république. Même si c’était le cas, rien n’empêche les députés de prévoir des dispositions qui obligent le président actuel à finir son mandat et aller se reposer.Mais nous n’en sommes pas là, toutes ces questions doivent au préalable faire l’objet de débats publics !
5- Que pensez-vous de la lutte que mène le gouvernement contre l’essence frelatée ?
C’est une lutte nécessaire, disons-le tout net ! En 2006, j’avais écrit au président de la République pour lui proposer quelques idées pour combattre ce phénomène avec fermeté mais sans violence. Ce qui gêne ici, c’est à la fois la violence et le traitement discriminatoire entre les régions du pays. Cela laisse croire que l’objectif principal est de réduire à néant des personnes dont la puissance financière repose sur ce trafic. En outre, je note que les méthodes utilisées ont déjà été expérimentées plusieurs fois par le passé et ont souvent conduit à une reconfiguration du trafic plutôt qu’à sa disparition. Pour autant, je ne partage pas l’idée d’un programme de reconversion spéciale pour les trafiquants pour la simple raison qu’ils n’ont pas plus de mérite que d’autres citoyens qui se battent quotidiennement pour vivre décemment et qui ont droit aussi à une forme spécifique d’accompagnement de la part de l’Etat. En effet, ceux qui s’adonnent à ce trafic auraient certainement choisi une autre activité si celle-là n’était pas rentable. Nombre d’entre eux, précédemment ouvriers, y sont d’ailleurs arrivés après avoir décidé d’abandonner des activités qu’ils exerçaient et qu’ils ont jugées moins rentables. On peut faire le parallèle avec la prolifération des vendeurs de recharges de téléphonie mobile au détriment des vendeurs de billets de loterie. On peut aussi rappeler, pour faire le parallèle, l’initiative du président Kérékou qui avait proposé sans succès des terres et une dotation de 1milliard pour inciter les conducteurs de taxis-motos à abandonner leur activité. Ceci pour dire que le développement du trafic de produits pétroliers répond essentiellement à des mobiles d’ordre économique et qu’il faut se garder de le ramener à un phénomène social. Sous cet angle, pour y mettre fin, il faudra faire en sorte que l’activité perde sa rentabilité ou devienne matériellement inaccessible. La répression ne devrait venir que comme une solution d’appoint. Je trouve d’ailleurs surprenant que le président de la République semble bien connaître les principaux acteurs du secteur puisqu’il s’est permis de les recevoir deux fois au palais de la République alors même que ces personnes exercent une activité illégale. Je me demande donc pourquoi il fait exercer de la violence sur d’autres personnes, pauvres intermédiaires alors qu’il sait comment joindre les principaux acteurs du secteur !
Personnellement, je ne vois pas de solution définitive sans l’appui du Nigéria parce que je considère qu’une quantité aussi importante de produits pétroliers ne peut quitter régulièrement ce pays pendant d’aussi longues années, sans bénéficier de bienveillants appuis. Je pense qu’il faut commencer par prendre langue avec notre voisin sur cette question et obtenir son adhésion. Toutes les autres mesures pourront être ensuite envisagées y compris le renforcement et l’élargissement des programmes de promotion de l’emploi afin d’accueillir ces demandeurs supplémentaires.
6- Quelle est votre opinion sur la cherté de la vie au Bénin ? Et sur la polémique relative au taux de croissance du Bénin ?
La cherté de la vie au Bénin est indiscutable. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre le bulletin sur les prix à la consommation dans les pays de la région qui est régulièrement publiée par une chaine de télévision régionale. Pour beaucoup de produits de grande consommation, nos prix sont parmi les plus élevés de la région. Le phénomène tient à plusieurs facteurs dont le principal est la corruption qui entraine des charges supplémentaires que les commerçants sont obligés d’intégrer à leur prix de revient. Nous avions adopté une loi avec beaucoup de fanfare et même un discours présidentiel pour, paraît-il lutter contre la corruption. J’avais considéré à l’époque que c’était de la poudre aux yeux parce que même en l’absence de cette loi, notre arsenal juridique était largement suffisant pour lutter contre ce phénomène. Il me semble que la suite me donne raison, certainement parce que les corrupteurs et les corrompus sont du « bon côté » de « la maison ». Cette augmentation des prix appauvrit davantage les béninois ! Le phénomène doit donc être combattu en rendant plus transparents les rouages économiques qui concourent à la formation des prix. C’est la mesure principale à mon avis. Il faudra ensuite améliorer l’approvisionnement des marchés pour réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande dans différents domaines et réexaminer la fiscalité aux fins de l’optimiser sous la double contrainte de son impact direct ou indirect sur les prix d’une part et les ressources publiques d’autre part.
S’agissant de cette fameuse polémique sur la croissance, elle n’avait pas lieu d’être. D’abord parce qu’il s’agissait forcément d’un chiffre provisoire. Il est vrai que l’agitation du Gouvernement lors de la publication du rapport de la Banque mondiale sur le coton en disait long sur son intention – que j’avais dénoncée depuis le début de la campagne dans les colonnes de l’un de vos confrères – d’exhiber des chiffres trompeurs. Mais il est tout autant vrai que le Gouvernement ne peut empêcher les institutions internationales de publier leur estimation qui, elle, est en-deçà des fameux 5,4% indiqué par le Gouvernement. Et puis finalement, il n’y a vraiment pas de quoi s’enorgueillir d’un taux de 5,4% obtenu ponctuellement ! Surtout lorsqu’on a promis l’émergence à ses concitoyens, ce qui suppose une croissance minimale de 7% sur plusieurs années successives selon la convention retenue au plan international. Le tumulte organisé par le Gouvernement sur ce chiffre sonne comme un aveu de son incapacité à nous conduire à une croissance durablement soutenue. Mais nous le savions déjà ! Comme vous le voyez, ici encore, l’incompétence le dispute à la malhonnêteté.
7- Le rôle du leader politique est de participer à l’animation de la vie sociopolitique de son pays, alors quelles propositions avez-vous à l’endroit du gouvernement pour une amélioration de la gestion politique et socioéconomique du Bénin ?
On ne jette pas des pépites d’or aux pourceaux ! Ils n’en sauront que faire ! Nous sommes dans une situation de non gestion, de refus délibéré de la bonne gestion, d’incapacité du Gouvernement à prendre les bonnes décisions mêmes les plus élémentaires ! Je ne crois pas que ce soit des propositions qui fassent défaut. C’est l’incompétence et la malhonnêteté qui les empêchent d’agir. Et je continue de penser lorsqu’on a échoué de manière aussi dramatique, il faut puiser dans le reste d’honnêteté qu’on a encore, la force de démissionner ! Et permettre de relancer la machine économique plus tôt. S’ils veulent des propositions, qu’ils s’inspirent du projet politique que j’avais élaboré lors de la présidentielle de 2011 et qui s’intitule « Le Bénin Que Je Veux ». Il est disponible sur l’internet. Ils y trouveront suffisamment de pistes pour améliorer la situation économique, sociale, culturelle et politique de notre pays.
8- Un mot pour conclure cet entretien
Principalement souhaiter beaucoup de courage et de succès à votre journal en ligne LELEADER.INFO parce que la liberté d’expression sous toutes ses formes est le socle de la démocratie, à mon humble avis. Je sais que vous venez de commencer mais je crois beaucoup aux TIC qui nous offrent d’énormes possibilités ! Malheureusement, là encore nous sommes parmi les derniers de la classe.
Enfin, je continue de croire que nous avons vaincu la fatalité ! Je demande aux béninois de rester courageux et déterminés dans le combat pour les libertés et le refus d’enterrer notre démocratie.C’est le peuple qui est souverain, pas Boni YAYI. Il n’est pas au-dessus de nous et il n’est rien sans nous ! Je le répète, le poison est dans le fruit, il faut l’en extirper à tout prix !
leleader.info
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