IMPACT DES CONFLITS ET DES MENACES SECURITAIRES SUR LE DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 7 mai 2014 5 h 59 min

I-INTRODUCTION

 

L’histoire de l’Afrique est jalonnée de victoires et de défaites d’une communauté sur une autre pour faire face aux défis du développement ou de conflits avec des forces extérieures au continent, ou souvent, une combinaison des deux.

Le choc conflictuel pendant la période de l’esclavage, a conduit à dépouiller le continent africain au profit de l’occident. Il en est de même de la période coloniale.

Les deux guerres mondiales ayant affaiblit les puissances coloniales, l’accès à l’indépendance des pays africains a été encadré par des accords de coopération qui permettaient de récupérer de la main gauche ce que les colons ont donné de la main droite. Des conflits provoqués ou des coups d’Etats manqués ou réussis permettent une surveillance accrue du respect des accords de coopération. Les bases militaires ainsi déployées dans le cadre des accords de coopération ont souvent servi de base arrière pour attaquer des pays n’ayant aucun accord de coopération directe. Les accords de l’OTAN et l’application abusive du chapitre 7 de la charte de l’ONU ont donné un caractère nomade aux conflits dans le cadre des guerres secrètes de l’OTAN contre des gouvernants indésirables.

 

II-LES CONFLITS ET LES MENACES SECURITAIRES POST INDEPENDANCES

 

L’annexe 8, article 5 des ACCORDS DE DEFENSE FRANCO-IVOIRIENS DU 24 AVRIL 1961, dispose :

 « La République Française est tenue informée des programmes et projets concernant l’exportation hors du territoire de la République de Côte d’Ivoire, de la République du Dahomey et de la République du Niger des matières premières et des produits stratégiques de deuxième catégorie énumérés à l’article premier. 

En ce qui concerne ces mêmes matières et produits, la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger, pour les besoins de la Défense, réservent par priorité leur vente à la République Française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle.»

Telle est la quintessence de la contrepartie économique de l’assistance militaire au titre des accords de défense signés avec les pays d’Afrique francophone au lendemain des indépendances. Par ces accords, la France installe des bases militaires dans ses anciennes colonies pour « protéger » les pouvoirs en place et en contrepartie, se proclame propriétaire des matières premières, dicte la part de revenu qui revient  aux Etats indépendants et leur population, s’octroie ainsi un monopole en import-export et en investissement dans ses anciennes colonies.
Le développement économique et social tant espéré de ces accords tourne au drame 50 ans après. A partir des années 1980 la détérioration des termes de l’échange, l’effondrement financier et économique et l’accroissement insupportable de la dette ont été les conséquences de ce monopole pendant que plusieurs pays du Moyen-Orient, avec une politique commune sur une seule matière première (le pétrole), inondaient et inondent encore le monde entier de pétrodollars.

Ce monopole militaro-économique est la cause fondamentale du désastre social et sanitaire dans lequel sont plongés les pays de l’Afrique francophone.

Ces accords qui étaient censés sortir les pays francophones du sous-développement ont, au contraire, constitué des cordes au cou des leaders et Chefs d’Etat africains qui avaient le choix entre se soumettre et être pendus (cf. Mongo Béti, main-basse sur le Cameroun). La catastrophe économique, sociale et sécuritaire a été inévitable.

Aussi, sans une évaluation de ces anciens accords, de nouveaux accords sont-ils signés à partir de 2011, renouvelant ainsi le pacte colonial et la présence des armées françaises en Afrique, faisant des militaires africains d’eternels étudiants.

52 ans après, le Sommet Françafrique (organe suprême de ces accords) se mue en Sommet Afrique-France (blanc bonnet, bonnet blanc), après la signature de nouveaux accords de défense qui renouvellent la présence militaire de la France dans ses anciennes colonies avec une contrepartie économique non négligeable, non écrite, mais pratiquée (voir le cas de la Côte d’Ivoire où les 2/3 des marchés publics sont passés selon le mode de passation sans appel d’offre ( gré à gré) au profit des multinationales françaises depuis 2011 et le cas de la Libye où les nouveaux contrats pétroliers au profit des multinationales Françaises ont suivi juste après l’élimination de Kadhafi).

A travers quelques exemples, nous allons montrer comment les conflits et menaces sécuritaires ont été souvent la conséquence de l’esprit de ces accords et influencent le développement.

 

II-1 L’EXEMPLE LIBYEN

La Libye accède à l’indépendance le 24 Décembre 1951 sous la conduite du Roi Idris, chef de la confrérie religieuse des Sanussi. Il signe un accord militaire avec le Royaume-Uni et un protocole militaire avec les USA.
En 1969, un jeune capitaine de 27 ans, Mouammar Kadhafi prend le pouvoir par coup d’Etat et décide de ne pas renouveler les accords de coopération militaire.

Kadhafi décide de mener une politique fondée sur le panarabisme et le socialisme. Il tente plusieurs fusions avec ses voisins (Égypte, Tunisie, Tchad, Soudan) qui échouent.

L’attentat de Lockerbie et le bombardement par les américains des villes de Tripoli et de Benghazi en 1986 développent des tensions entre Kadhafi et les occidentaux. Un blocus occidental est décidé contre la Libye de 1992 à 1999.

Sous Kadhafi, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique est devenu le pays le plus développé d’Afrique si on se réfère au classement IDH (Indice de développement humain) établi par le Programme des Nations unies pour le développement, celui-ci étant de 0,840avec un PIB par tête d’habitant de plus de 12000 dollars en 2005 grâce au pétrole. Inspirée par la révolution algérienne, la Libye est membre de l’OPEP et l’industrie pétrolière était gérée par l’entreprise nationale publique National Oïl Corporation (NOC) qui disposait d’une participation majoritaire dans tous les consortiums montés avec les compagnies pétrolières étrangères dans le domaine de l’exploration, de la production et du raffinage

L’éducation est gratuite pour tous les citoyens et obligatoire jusqu’au niveau du secondaire. Le taux d’alphabétisation, avec 82 % de la population sachant lire et écrire, est le plus élevé d’Afrique du Nord. En 2008, les Libyennes sont majoritaires dans les universités nationales.

Cette réussite extraordinaire n’a pas dissuadé l’occident de bombarder la Libye le 19 mars 2011 et d’armer une rébellion pour détruire la Libye et exécuter le guide Libyen Kadhafi suite à une guerre démarrée le 13 février 2011 pour prendre fin le 23 octobre 2011.

La Libye produisait 1.5 millions de barils/j et ses avoirs gelés sont estimés à 150 milliards de dollars. Elle dispose des plus grandes réserves de pétrole confirmées en Afrique et hautement rentable, facile à pomper. Au 28 mars 2011, les américains déclarent avoir largué 192 missiles BGM-109 tomahawk. La France a effectué 2.225 frappes aériennes dont 11 missiles de croisière scalp selon le rapport du ministre français de la défense à l’assemblée nationale française.

Cette expérience met en évidence deux conflits aux résultats diamétralement opposés. Le premier oppose le ROI Idriss valet du Royaume-Uni et des USA à Kadhafi. Ce dernier remporte la bataille et fait de son pays un exemple de développement en Afrique. Le deuxième conflit oppose Kadhafi à des rebelles soutenus par l’OTAN. Le résultat est une catastrophe humanitaire qui plonge la Libye dans une funeste décomposition politico-militaire et sociale.

 

II-2 L’EXEMPLE CENTRAFRICAIN

Porteur du flambeau de l’indépendance, le premier universitaire de la Centrafrique, Barthélémy BOGANDA, premier chef d’Etat ayant dominé la vie politique de Centrafrique à partir de 1945, meure mystérieusement lors d’un accident d’avion le 29 Mars 1959. Panafricaniste convaincu, adulé puis détesté par l’administration coloniale, sa disparition fait disparaitre son rêve d’une Afrique centrale unie qui le poussa à changer le nom du territoire coloniale Oubangui- Chari en Centrafrique, espérant, de tous ses vœux que sous cette appellation, allait se rassembler les Etats d’Afrique centrale. Son cousin, David Dacko, un instituteur lui succède mais est renversé par son cousin Jean Bedel BOKASSA le 31 décembre 1965, devenu empereur en 1977 et renversé par la France en 1979 pour être remplacé par David Dacko.

Le premier Septembre 1981, André KOLINGBA chasse David Dacko du pouvoir. A la faveur du multipartisme, André KOLINGBA reconnait sa défaite et est remplacé par Ange-Felix PATASSE, ancien premier ministre de BOKASSA. Face aux différentes tentatives de coup d’Etat des déchus et des déçu du régime PATASSE, celui-ci est chassé du pouvoir par BOZIZE, son chef d’Etat déchu avec l’appui de la France.

Au terme d’une offensive militaire, le 24 Mars 2013, la coalition séléka prend le pouvoir à Bangui sous la direction de Michel DJOTODIA pour une transition avec l’accord tacite de la France qui a appliqué sa politique sélective du soutien armé, contrepartie des accords de coopération. Le 20 janvier 2014, Catherine SAMBA PANZA accède au pouvoir après la démission forcée de DJOTODIA par ses pairs de l’Afrique centrale sous ordre de la France.

SAMBA PANZA prend les commandes d’un navire en lambeau.

La disparition mystérieuse de Baganda et les coups d’Etats successifs avec comme chef d’orchestre la France ont fini par avoir raison de la Centrafrique. Il n’existe plus d’Etat et de statistique viable et fiable pour mesurer le développement de ce pays.

 

II-3 L’EXEMPLE TOGOLAIS

Ancienne colonie allemande, le Togo est partagé en deux après la défaite allemande en 1918. La partie sous protectorat Anglais est rattachée au Ghana et la partie sous protectorat français formera le territoire du Togo.
Le Togo accède à l’indépendance le 27 avril 1960 et Sylvanus Olympio est élu président aux dépens de Nicolas Grunitzky, lors d’élections supervisées par l’ONU.

Diplôme en économie politique en 1926 à la London School of Economics, Sylvanus Olympio décide de battre une monnaie autonome et invite donc l’ancien commissaire impérial allemand du Togo land pour battre une monnaie nationale garantie sur le deutschemark.

Le 12 janvier 1963, d’anciens tirailleurs de l’armée coloniale française, dont le sergent-chef Etienne Gnassingbé Eyadema, démobilisés au terme de la guerre d’Algérie, prennent d’assaut le camp militaire Tokoin à Lomé. Ils réclament leur incorporation dans l’armée nationale.

Chauffés à blanc par les officiers français qui encadrent l’armée togolaise, les insurgés se dirigent vers la résidence présidentielle. Fuyant les insurgés, Olympio se précipite à l’ambassade des USA, point de salut. Il fut arrêté dans sa fuite vers l’ambassade de France et exécuté.

La période trouble qui succéda à cet assassinat et qui entraina Nicolas Grunitzky, ingénieur des travaux publics au pouvoir, fut stabilisée en 1967 lorsque le sergent-chef Etienne Gnassingbé  fut installé au pouvoir après avoir chassé Grunitzky qui meurt par un accident de voiture en France en 1969. Eyadema ouvre les portes de son pays aux divers accords de coopération. Il reste inamovible malgré le challenge de Gylchrist Olympio fils lors des élections multi partisanes de 98. Il est frauduleusement réélu en 1998, exécute des centaines d’opposants avec des corps jetés à la mer, impose sa majorité par fraude à l’assemblée nationale et fait sauter les dispositions limitant le mandat présidentiel instituées par la conférence nationale de 1991. Il est réélu en 2003 en rejetant la candidature d’Olympio pour dossier incomplet. Il meurt en 2005 dans le Boeing qui l’emmenait en France pour des soins.

Contrairement aux dispositions de la constitution qui fait du Président de l’assemblée nationale le successeur du Président de la République, l’armée ethnique impose le fils Eyadema comme Président par intérim. Les pressions de l’Union Africaine l’obligent à valider son pouvoir par des élections frauduleuses la même année. Eyadema est mort, vive Eyadema pour que vive la françafrique.

Ainsi le Togo, 56 785 km2 , 5 800 000 habitants, riche en phosphore (5ème producteur mondial), en coton, dispose d’une zone franche dès la fin des années 80. Malgré ce potentiel, le Togo reste l’un des pays les plus pauvres de la planète.

Cet exemple montre comment l’ancienne puissance coloniale élimine un chef d’Etat au début des indépendances pour ses initiatives audacieuses pour s’affranchir de toute domination. Ce patriotisme exemplaire de Sylvanius Olympio est vite balayé pour faire place nette à un soldat de l’armée française aux ordres. L’impact sur le développement est sans appel : croissance de la pauvreté.

 

II-4 L’EXEMPLE DE LA RDC

Ancienne colonie belge, le Congo accède à l’indépendance le 30 Juin 1960 suite aux élections générales de Mai 1960. KASA VUBU est élu Président et le chef de la majorité parlementaire, Patrice LUMUMBA devient Premier Ministre et s’entoure de conseillers étrangers progressistes. Lors de la cérémonie d’investiture, son discours nationaliste enthousiasme tout le Congo et froisse le Roi Belge. Des émeutes éclatent. Les officiers et administrateurs Belges sont chassés au profit des congolais. Le Roi Baudouin dépêche 11 000 soldats Belges pour venir « protéger la population belge ». Le Roi encourage la cessation du Katanga (riche région minière, dominée par la puissante entreprise de l’Union minière du Haut Katanga), sous la direction de Moise TCHOMBE protégé par l’armée Belge avec le soutien de l’OTAN. Joseph KASAVUBU révoque LUMUMBA. Le parlement le maintient et LUMUMBA accuse KASAVUBU de haute trahison. L’ONU vote une résolution pour une force d’interposition entre les pro-LUMUMBA et les pro-KASAVUBU alliés aux Belges.

Cette tension au sommet provoque un coup d’Etat avec l’aide de la CIA et propulse au pouvoir Joseph Désiré MOBUTU, un journaliste pro-Belge, nommé Chef d’Etat-major par LUMUMBA. Arrêté et conduit par avion au Katanga, LUMUMBA sera fusillé avec deux de ses compagnons Maurice Mpolo et Joseph Okito. Le Chef de la gendarmerie du Katanga était alors un français ainsi que le conseiller militaire de TCHOMBE. Le corps de LUMUMBA sera dissout dans l’acide. Une révolte des pro-LUMUMBA éclate et est progressivement réduite. Des groupes armés persistent pendant une trentaine d’année et qui vit l’émergence d’un certain Laurent-Désiré KABILA, pro-LUMUMBISTE qui combattît les gendarmes Katangais.

Sa volonté de mettre en œuvre une politique nationaliste fut sanctionnée par son assassinat et son remplacement par son fils qui prend les commandes d’un avion en pièces détachées.

Ce scandale géologique, forestier et énergétique traine encore dans la pauvreté et l’insécurité.

 

II-5 L’EXEMPLE IVOIRIEN

1932, le jeune médecin Félix HOUPHOUET, excédé par une pratique coloniale abjecte, a poussé le cri de cœur « on nous a trop volé ». Ce cri, soutenu par une grève de la vente du cacao, conduira à la fin de la discrimination entre paysan blanc et noir, à l’abolition du travail forcé, au contrôle de la production et à la commercialisation du cacao par les africains et la fin du système colonial direct en s’appuyant sur un instrument de lutte : le PDCI-RDA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire, section du Rassemblement démocratique Africain).

1960, la Côte d’Ivoire accède à l’indépendance sous la direction de Félix HOUPHOUET-BOIGNY.
Très vite, cette indépendance est rétrocédée à la France par des accords de coopération militaires, monétaires, économiques, financiers, scientifiques, techniques, diplomatiques.

La maîtrise de la production et la commercialisation du cacao par la CAISTAB (la Caisse de stabilisation des prix du cacao et du café ; permettait de maintenir un prix moyen d’achat aux producteurs) et la flambée des prix des matières premières à la fin des deux guerres, ont conduit au développement prodigieux de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1980.

Cependant, le cours très bas du cacao dans les années 80 et la restriction imposée par la division du travail induite par les accords de coopération empêchant le contrôle de toute la filière jusqu’au produit fini, ont mis à mal les ressources publiques et ont plongé la Côte d’Ivoire dans une suite sans fin de crises multiples et multiformes.
1988, dans une rage qui ressemble à celle de 1932, le Président HOUPHOUET-BOIGNY  lance un cri de colère: « Ils nous volent notre cacao ! Maintenant on ne vend plus ». Il décide de geler la vente du cacao ivoirien pour faire remonter le cours du cacao sur le marché mondial. Peine perdue, le caractère périssable de la fève du cacao aidant, les multinationales de négoce du cacao notamment le groupe français Sucres et Denrées et le groupe américains Philip Brothers basé à Londres dont les principaux acteurs créeront plus tard Armajaro, à coup de division et de pression de toute sorte, remportent la bataille en 1988. Le Président HOUPHOUET est contraint de diviser par deux le prix d’achat au producteur.

Le Président HOUPHOUET perd ainsi une bataille mais décide de continuer la guerre du cacao en tirant les leçons de la défaite, prenant ainsi en compte les deux paramètres essentiels qui sont : Le caractère périssable de la fève de cacao et la toute-puissance des intermédiaires que sont les multinationales du négoce. Ces derniers, sentant la détermination du « Vieux », décident avec l’appui des États occidentaux et des bailleurs de fonds, d’imposer la libéralisation et la privatisation de l’économie ivoirienne. L’agitation sociale qui s’en suit ouvre le pays au multipartisme sous la pression syndicale et l’activisme politique de Laurent GBAGBO.

En violation de la Constitution ivoirienne, les bailleurs de fonds et les pays occidentaux imposent un Premier Ministre issu de leur rang : Alassane Dramane OUATTARA. S’ouvre alors une période de privatisations et de liquidation à outrance entraînant le dépouillement économique de l’État de Côte d’Ivoire et de ses infrastructures économiques au profit des multinationales.

1992,Pendant que Monsieur Ouattara prône l’exclusion de l’État du secteur productif, privatise et libéralise à tour de bras en autorisant la pénétration des multinationales dans la commercialisation interne du cacao, le Président HOUPHOUET maintient la CAISTAB et décide de construire une usine de cacao en Chine pour assurer le broyage des fèves. Cette politique délibérée du Vieux  vise à éliminer le caractère périssable de la fève et à contourner les multinationales du négoce en s’implantant sur le marché d’avenir.

ivoiriens de l'étranger [1]

1993, le Président HOUPHOUET meurt et Monsieur OUATTARA s’en va après avoir tenté de se maintenir au pouvoir. Monsieur BEDIE, Président de l’Assemblée Nationale et successeur constitutionnel, prend le pouvoir. Le Franc CFA est dévalué. Le Président BEDIE maintient le programme de privatisation et de libéralisation. Tous les grands négociants du cacao sont en Côte d’Ivoire avec plusieurs réseaux de ramifications politiques.

NOVEMBRE 2000, Monsieur Laurent GBAGBO est élu et investi Président de la République avec un slogan : « Donnez-moi le pouvoir pour que je vous le rende ». Cela implique, pour le secteur du cacao, le contrôle interne et externe du cacao par les paysans. L’objectif stratégique est donc de contrôler au moins 80% du commerce interne et externe du cacao, de maîtriser la transformation, de capter les marges intermédiaires sur le cacao au profit des paysans et développer une capacité d’influence sur le cours mondial du cacao. Une réforme de la filière est entreprise fondée sur cet objectif. Les positions des multinationales du négoce dont Armajaro sont donc menacées sur le marché du cacao. Une course contre la montre s’engage entre le contrôle interne et externe du cacao par l’État et les paysans d’un côté et les multinationales de négoce dont Armajaro de l’autre.
AVRIL 2002, le Président Laurent GBAGBO dirige une délégation en Chine pour négocier des accords de coopération avec la Chine. Dans le panier des accords, l’usine de cacao en Chine, l’usine de montage de véhicules, de machines agricoles en Côte d’Ivoire, l’Hôtel des Parlementaires, une ligne aérienne directe entre la Chine et la Côte d’Ivoire et des projets routiers.

JUILLET 2002, des révélations sous pseudonyme du journaliste Franco-canadien GUY ANDRE KIEFFER publiées plus tard sous son nom en octobre 2002 font état de financement à hauteur de 30 milliards de FCFA par Armajaro de groupes de rebelles basés au BURKINA FASO et au MALI et d’un stock de 200 000 tonnes de cacao aux USA.
SEPTEMBRE 2002, la Côte d’Ivoire est réveillée dans son sommeil par un coup d’Etat manqué qui se transforme en rébellion armée. Le pays est coupé en deux, la collecte et le transport du cacao sont bloqués par l’insécurité et crée une pénurie du cacao sur le marché mondial. Armajaro peut ainsi vendre son stock à un prix élevé pour rembourser sa mise dans la rébellion. Les accords de paix signés mettent fin à la reforme de la filière et livre le cacao au pillage systématique des rebelles au profit des multinationales. L’or, le diamant, le bois, le coton, l’anacarde font l’objet d’un pillage systématique ainsi que les agences de la BCEAO dans les zones occupées. Un port sec est crée au Burkina Faso à cet effet.

DECEMBRE 2010, après plusieurs accords de paix, le Président Laurent GBAGBO réélu, est investi Président de la République de Côte d’Ivoire par le Conseil Constitutionnel à l’issue du deuxième tour de l’élection présidentielle. Son adversaire Alassane OUATTARA est proclamé vainqueur des élections présidentielles par la communauté internationale sous la direction de Nicolas SARKOZY DE NAGY BOSCA. Une crise postélectorale s’ouvre. L’Union européenne décide du blocus du port d’Abidjan et gèle ainsi les exportations du cacao. Elle décide de la fermeture des banques européennes en Côte d’Ivoire et de la banque centrale (BCEAO) pour empêcher tout achat intérieur du cacao après avoir fait constituer un stock de 240 000 tonnes à l’extérieur par le groupe Armajaro. Le but de la manœuvre est d’étrangler le marché du cacao pour provoquer la pénurie sur le marché mondial et vendre le stock de 240 000 tonnes pour financer une nouvelle attaque armée de la Côte d’Ivoire.

En réponse, le gouvernement réquisitionne la Banque Centrale, monopolise la commercialisation du cacao, prend le contrôle des banques européennes fermées et entre en négociation avec des partenaires stratégiques des pays émergeants. Une course de vitesse s’installe donc entre le gouvernement et les multinationales européennes pour le contrôle interne et externe du cacao.

Le 28 mars 2011, l’armée onusienne et une cohorte de mercenaires de la CEDEAO enrôlés par la France, violent le cessez-le-feu instauré depuis 2003 sous la surveillance supposée de l’ONU. Ils détruisent tous les acquis de la période postcoloniale : école, administration, centre de santé, biens publics et souvent privés jusqu’à Abidjan. Dans l’impossibilité de prendre Abidjan, la France de SARKOZY braque l’aéroport d’Abidjan et fait débarquer un contingent de la Légion étrangère de l’armée française et des forces spéciales. Un déluge de bombes s’abat sur la résidence du Chef de l’État et les derniers symboles de la Côte d’Ivoire indépendante et souveraine : la télévision, les camps militaires, l’université.

Le Chef de l’État, élu par les ivoiriens et constitutionnellement investi, est arrêté le 11 avril 2011 par les forces françaises et déporté en Europe pour faire place à l’élu de la communauté internationale déchirant ainsi le symbole des symboles d’un État souverain : la Constitution.

Un gouvernement officieux composé de retraités français est mise en place à côté d’un gouvernement officiel sans gouvernail servant de masque au vrai gouvernement. L’armée française n’a pas besoin de masque et le nouveau Chef de l’État ne porte qu’en elle sa confiance pour assurer sa sécurité à la place de son armée de rebelles illettrés. L’armée officielle est désarmée, les ivoiriens sont livrés à une armée de mercenaires et de chasseurs traditionnels DOZOS sans salaire qui vit de vols, de viols, d’expropriation des citoyens avec la protection d’un Etat tribal qui enferme aujourd’hui tous les responsables politiques locaux de l’opposition (750) et contraint en exil plusieurs militants. Les exécutions sommaires dominent l’actualité.

Une nouvelle réforme de la filière cacao-café est élaborée faisant une large place au contrôle interne et externe du cacao par les multinationales du négoce qui ont déjà pris pieds dans la production en rachetant tous les complexes agro-industriels dans le cadre des privatisations.

Selon le rapport semestriel d’exécution au 31 décembre 2012 de la surveillance multilatérale au sein de l’UEMOA, la croissance économique de la Côte d’Ivoire ressortirait à 8.6% en 2012 après un repli de 4.7% en 2011.
Le secteur primaire afficherait une progression de 0.7%. Il serait tiré par l’agriculture vivrière avec une croissance de 3% due à la bonne pluviométrie. L’agriculture d’exportation ressortirait en baisse de 3.5% du fait principalement de la diminution de cacao de 10.7% en raison du repos végétatif.

Au niveau de l’extraction minière, l’activité économique se contracterait de 6.5% en liaison avec la baisse des productions de pétrole (-22.3%) et de gaz (-3.7%)

Dans le secteur secondaire, la production progresserait de 14.8% avec 30% au niveau du BTP tiré par le 3ème pont, le pont de Jacqueville et la réhabilitation des secteurs sociaux

Ce rapport montre que la croissance ne concerne pas les secteurs de création de richesse comme le secteur primaire qui affiche une progression de seulement 0.7% mais le BTP qui affiche une croissance de 30%. Or le secteur BTP est entièrement financé par l’aide au développement et l’emprunt au profit exclusif des multinationales du BTP ; pendant que les secteurs qui devaient créer de la richesse pour rembourser ces emprunts et de l’emploi sont en décroissance de 10.7% pour le cacao et de 22.3% pour le pétrole.

Il n’est donc pas étonnant que la croissance économique s’accompagne de la croissance de la pauvreté et de l’endettement public (L’encours de la dette publique interne et externe se situerait à 6367.9 milliards c’est-à-dire le niveau de la dette extérieure avant la réduction de celle-ci par le processus PPTE). L’émergence tant convoitée risque d’immerger la Cote d’Ivoire dans l’endettement et la pauvreté.

1932-2012, un cycle de 80 ans d’expériences de développement de la Côte d’Ivoire prend fin avec un retour à la case départ. La leçon fondamentale que l’on peut tirer de l’expérience ivoirienne est qu’Il ne peut avoir de démocratie et de développement durables dans un pays sans souveraineté économique et militaire.

 

III- L’IMPACT DE L’INSECURITE ET DES CONFLITS SUR LE DEVELOPPEMENT

 

S’il existe des conflits salutaires comme ceux qui ont conduit Kadhafi ou Thomas SANKARA au pouvoir, il existe des conflits destructeurs comme ceux orchestrés par la françafrique à travers ses réseaux pour le maintient des accords de coopération asymétriques pour le contrôle des ressources de l’Afrique.

La démocratisation et le développement durables de l’Afrique passe donc par le contrôle interne et externe de ses matières premières et le développement d’une force armée de dissuasion. Les énormes profits engrangés par les multinationales du négoce avec la complicité de certains dirigeants africains sont de loin supérieurs à toutes les formes d’aides et de besoins en investissement de l’Afrique. Ces énormes profits échappent aux africains  et à leurs États contraints à la politique de la main tendue. Ces énormes profits entre les mains de quelques multinationales, constituent une arme de destruction massive contre tout développement du peuple par le peuple et pour le peuple. Des réseaux Foccart aux réseaux des prédateurs de matières premières et des trafiquants d’armes, l’insécurité permanente et la déstabilisation des régimes et des hommes politiques au service de l’Afrique ont constitué des obstacles au développement du continent.

Cette insécurité a frappé tous les chefs d’Etat au début des indépendances qui étaient déterminés à assumer leur responsabilité vis-à-vis de leur peuple et la logique s’est perpétuée contre les chefs d’Etat insoumis avec comme point culminant la déportation de Laurent GBAGBO et l’assassinat de Kadhafi, rappelant la triste période  coloniale avec des déclaration qui vont dans le sens d’une véritable recolonisation du genre : « l’Afrique est l’avenir de la France ». Cette profession de foi des responsables politiques français nous rappelle un passé douloureux et les bruits de bottes de l’OTAN sous le masque de la lutte contre le terrorisme sont des signes annonciateurs d’une nouvelle tentative de recolonisation du continent.

S’approprier toutes les matières premières africaines dans l’intérêt exclusif des peuples africains comme le suggère la déclaration des droits de l’homme et des peuples de l’UA, bâtir une politique commune de contrôle interne et externe et de fixation de prix à l’instar de l’OPEP, constituent les facteurs décisifs du développement de l’Afrique. Cela suppose des dirigeants africains n’ayant de compte à rendre qu’à leur peuple et imprégné d’une conscience continentale intègre. Seuls des Africains nouveaux débarrassés de tout complexe vis-à-vis de l’occident, de tout afro-pessimisme, fortement engagé pour une nouvelle Afrique et restant sourd à toute tentative de manipulation de l’impérialisme occidental, peuvent servir de cheville ouvrière  pour l’indépendance économique et la souveraineté des États africains.

Il est tant que naissent en occidents des hommes nouveaux débarrasser du complexe de supériorité et qui puissent engager le débat dans un esprit constructif avec l’Afrique pour que naisse un nouvel ordre mondial au profit de tous.

La conquête durable de l’indépendance économique et de la souveraineté de l’Afrique ne peut être que l’œuvre des Africains dignes et décomplexés. L’instauration d’un nouvel ordre mondial au profit de tous exige aussi des hommes nouveaux en occident. Il revient donc de tirer toutes les leçons  de notre histoire pour éviter de nouveaux échecs.

 

Par le Dr. DON MELLO Ahoua 

Colloque régional du 4 au 5 avril 2014,

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