John Dramani Mahama : « Le Ghana n’est pas la base arrière des pro-Gbagbo »

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 10 juin 2013 23 h 49 min

À l’issue de son tête-à-tête avec François Hollande, le chef de l’État s’est confié à J.A., abordant aussi bien les questions de sécurité régionale que les rapports avec son voisin ivoirien.
Loin de la rhétorique anticoloniale d’un Jerry Rawlings, l’ancien chef d’État et père du Congrès démocratique national, le nouveau président ghanéen se veut résolument moderne, pragmatique et ami des grandes puissances. Pour sa première visite officielle en Europe, John Dramani Mahama, 54 ans, a préféré la France à l’ancienne puissance coloniale britannique. Un déplacement de trois jours effectué entre le sommet de l’Union africaine d’Addis-Abeba et celui de la Ticad à Tokyo. Courtois, souriant, précis, il a souligné la nécessité pour les dirigeants africains de reprendre en main les questions de sécurité, parlé d’une relation nouvelle et prometteuse avec le voisin ivoirien et vendu le modèle démocratique et économique ghanéen. On en oublierait presque que son avenir politique est toujours suspendu à la décision de la Cour suprême, devant laquelle le candidat de l’opposition, Nana Akufo-Addo (Nouveau Parti patriotique), conteste avec ardeur les résultats de la présidentielle de décembre 2012.
Jeune Afrique : Vous avez applaudi l’intervention française au Mali. N’est-ce pas un aveu d’impuissance des États ouest-africains ?
John Dramani Mahama : Face à la menace de déstabilisation de toute la région, la Cedeao avait un plan d’intervention, mais nous n’avons pas été en mesure de nous mobiliser à temps. Ces dernières décennies, nos États ont négligé les questions sécuritaires, réduit leurs budgets militaires et n’ont pas renouvelé les équipements de l’armée. Nous avons salué l’intervention française qui a évité le pire et nous a offert un cadre pour nous y joindre. Le Mali a réveillé nos consciences. Les Africains doivent mettre en oeuvre rapidement la force africaine en attente. La sécurité est une question prioritaire. Sans elle, aucun développement économique n’est possible.
Quelle sera votre contribution à la future Minusma ?
Nous avons déjà une compagnie de 120 ingénieurs qui construit des ponts, fournit de la logistique… Nous avons une longue expérience du maintien de la paix. Notre contribution va monter en puissance.
Existe-t-il une menace islamiste au Ghana ?
Le Printemps arabe a modifié la situation sécuritaire au nord du Sahara. Certains groupes veulent se servir du Sud algérien et du Sud libyen comme base arrière pour conquérir le Sahel. Le Mali, le Tchad, le Niger… sont directement menacés. Pour l’instant, le Ghana n’est pas visé directement, mais nous gardons les yeux ouverts. Nous partageons nos renseignements avec nos voisins, particulièrement le Nigeria et la Côte d’Ivoire, et veillons à ce qu’il n’y ait pas d’infiltration de groupes terroristes ni de radicalisation de nos communautés. La meilleure façon de procéder est de continuer à décentraliser et à redistribuer le fruit de notre prospérité aux populations afin de ne pas créer les conditions de pauvreté propices au recrutement de jihadistes. Plus de 8 % de nos ressources sont redistribuées aux quelque 200 districts du pays pour qu’ils puissent assurer les services de base.
On expulse les ressortissants ivoiriens sur la base de preuves concrètes de leur implication dans des opérations de subversion.
L’année dernière, les autorités ivoiriennes dénonçaient la lenteur de la justice ghanéenne retardant l’extradition de pro-Gbagbo présents sur votre sol. Depuis votre élection, vous semblez coopérer pleinement avec Abidjan. Quelle est votre politique ?
Tout réfugié au Ghana est le bienvenu aussi longtemps qu’il vit en paix et respecte nos lois. Notre pays ne doit pas servir de base arrière pour la déstabilisation de nos voisins. Je suis en contact régulier avec le président Ouattara. Ma position est très claire. On expulse les ressortissants ivoiriens sur la base de preuves concrètes de leur implication dans des opérations de subversion. Ce fut le cas récemment pour deux d’entre eux [le commandant Jean-Noël Abéhi, ex-patron de l’escadron blindé de la gendarmerie, et Jean-Yves Dibopieu, ancien secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire]. Une vidéo, qui devait être diffusée à la télévision nationale, les montre en train de faire un discours de prise de pouvoir. Quant à Charles Blé Goudé, nous avons exécuté un mandat d’arrêt international qui nous a été remis.
Laurent Gbagbo comparaît devant la CPI. Est-ce une justice raciste ?
Le temps est venu de débattre de la CPI et de son rôle en Afrique. Certains considèrent que c’est une justice raciste. Ce n’est pas ma position, et le Ghana reconnaît cette juridiction. Son rôle est important pour lutter contre l’impunité de génocidaires et prévenir les crimes. Mais elle devrait davantage prendre en compte ce qui se passe dans nos pays. Prenons l’exemple du Kenya. Des personnalités [entre autres, le président Kenyatta] sont accusées. Cinq ans plus tard, il y a eu une élection libre et transparente qui a porté Kenyatta au pouvoir. Cela traduit le choix du peuple. Sur cette base, la CPI doit réexaminer son affaire.

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