PRIERE VOLTAIRIENNE D’UN PATRIARCHE D’ASSINIE (Asseyons-nous et discutons)

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 17 septembre 2012 13 h 10 min

Seigneur, sur cette immensité appelée Terre, tu nous as donné une parcelle de boue. Cette portion boueuse est dénommée Côte d’Ivoire. On ne sait trop pour quelle raison d’ailleurs. Aujourd’hui plus que jamais les habitants y pataugent désespérément. Les consciences y sont de plus en plus sciemment pourries, les langues y sont de plus en plus fourchues, les perspectives rétrécies, les familles démembrées. On y jette chaque jour la peur dans les cœurs en enfermant des pères de famille, des mères de famille et de jeunes gens dans la fleur de l’âge dans des geôles sordides et déshumanisantes. L’homme y est à longueur de journée usiné, rodé, reconditionné pour le contraindre à jouer un rôle dans le théâtre des horreurs qu’est notre pays devenu.
Seigneur, nous nous sommes longuement adressé en toutes langues et sous tous les horizons aux hommes de cette immensité. Nous nous sommes longuement questionné aussi.
Quelle place occupe l’homme dans le système en cours dans cette immensité ?
Que peut être l’avenir de l’homme dans un tel milieu ?
Quelle possibilité d’épanouissement lui offre-t-on ?
Peut-il être autre chose qu’un membre d’un troupeau de soldats dressés pour monter la garde autour d’une citadelle corrompue ?
Seigneur, toutes ces questions à ce jour restent sans réponse. Notre voix semble comme se perdant dans un désert.
Aussi, nous nous demandons s’il est encore nécessaire de nous adresser aux hommes ? Sans doute le faut-il.
Mais ici, ce n’est plus aux hommes que nous nous adressons.
Permets-nous donc Dieu, Dieu de tous les êtres, Dieu de tout le monde et de tous les temps de nous adresser à toi. N’as-tu pas dit, Seigneur, qu’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose. Eternel, daigne regarder aujourd’hui en pitié les erreurs attachées à notre nature d’atomes boueux de cette terre d’Eburnie. Que ces erreurs ne fassent point nos calamités.
Nous as-tu donné un cœur pour nous haïr, Seigneur ?
Nous as-tu donné des mains pour nous égorger, Seigneur ?
Alors, Seigneur, fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère. Fais en sorte que les petites différences entre tous nos insuffisances, les petites différences entre tous nos ridicules usages, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées mais égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui font nos singularités ne soient pas des signaux de haine et de persécution.
Pourquoi faut-il qu’un atome boueux appelé Mandé ne puisse supporter un atome boueux appelé Krou sous ce cuisant soleil d’Afrique.
Pourquoi faut-il que le voltaïque bouseux qui se déchausse pour dire qu’il faut t’aimer déteste l’Akan bouseux qui dit la même chose en s’aspergeant d’eau.
Pourquoi ne peut-il pas être égal de t’adorer les pieds nus ou le corps trempé ?
Que toute personne qui possède quelques fragments arrondis d’un certain métal appelé Argent sur cette parcelle de terre, jouisse sans orgueil de ce qui lui semble signe de grandeur et richesse.
Que celui qui n’en possède pas de son côté le voit sans envie car tu sais, mon Dieu, qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les êtres sur cette parcelle de terre d’Eburnie se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit aujourd’hui plus que jamais par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible !
Si les fléaux de la guerre qui dévore notre terre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence passagère à bénir également en mille langages divers, de mille façons depuis Korhogo jusqu’à Abidjan, depuis Duékoué jusqu’à Abengourou ta bonté qui nous a donné cet instant.

Par Modeste Dadie Attebi

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