Ces dernières semaines de novembre 2012, par un de ces renversements de mémoire digne de malades d’amnésie chronique, le FPI s’est remis à considérer la France comme l’une des sources possibles de la paix, de sa paix en Côte d’Ivoire. Tandis que certains volent des uniformes de l’armée légale et légitime de Côte d’Ivoire pour l’attaquer ensuite au grand bonheur des « libérateurs de l’Afrique » qui braillent régulièrement autour de la CPI à La Haye, d’autres comme Sylvain Miaka Oureto, le président intérimaire du FPI, troquent le treillis de leurs alliés en échange d’un attaché-case où somnole un bien étrange ordre de mission : aller chercher la paix en France. On aurait aimé que cette quête de paix exprimât une véritable tranquillité intérieure, une bonne conscience. Hélas ! Il faut sérieusement interroger ce parti malade de sa mémoire, incapable de se reconnaître dans son passé et donc de se projeter dans un avenir autre qu’imaginaire. N’est-ce pas la France, la source de tous les malheurs de Gbagbo ? N’est-ce pas elle, le gouvernorat permanent de l’Afrique francophone que les jeunes patriotes pourfendirent en hurlant le doigt tranchant sous la gorge « A chacun son Français » ? N’est-ce pas la maudite France, dont Charles Onana clame, soutenant en cela les mêmes thèses que la nébuleuse des Refondateurs répand à l’encan à travers le monde, qui est l’origine, la machine, la perspective et le point de chute de tous les malheurs de la Côte d’Ivoire ? N’est-ce pas contre cette satanée France que la Russie, la Chine, l’Angola, l’Afrique du Sud, et l’Eternel des Armées devaient soutenir le Woody de Mama ? La présente tribune est consacrée à la difficile tâche de comprendre les dernières contorsions diplomatiques du FPI à Paris, afin d’en dégager quelques hypothèses que nous espérons éclairantes pour les jours, semaines et mois à venir.
Un petit rappel historique…
Comme le dit le dicton, qui vivra verra. L’observateur de la Côte d’Ivoire contemporaine ne peut manquer de vérifier cet adage à tous les coins et recoins de l’histoire événementielle. Voici un parti politique, le FPI, mis sur les fonts baptismaux dans les années 80 avec la noble mission d’obtenir le retour de la démocratie pluraliste en Côte d’Ivoire, porté pendant de longues années par une jeunesse nationale et continentale avide d’idéaux nouveaux, sentant venir le craquement fatal du monde de la Guerre Froide. Voici donc le FPI, porté au pouvoir en octobre 2000 au terme d’une élection étriquée et calamiteuse, reprenant le thème exclusiviste de l’ivoirité et inaugurant les chrysanthèmes de la déchéance par le charnier impuni de Yopougon. Voici encore ce FPI, caracolant au sommet de l’Etat de 2000 à 2010, malgré la farouche résistance des exclus et des réprimés de l’idéologie extrémiste en vogue, pendant dix années durant lesquelles la boulangerie politique, la roublardise, le chauvinisme échevelé et le mépris de la dignité humaine furent au menu quotidien de l’amertume ivoirienne. C’est bien ce même parti qui, adhérant du bout des lèvres au processus de paix, véritable amorce effective et consensuelle de la jeune démocratie ivoirienne, signe des deux mains en 2007 l’Accord de Paix de Ouagadougou et s’efforce de le saborder définitivement le 3 décembre 2010, quand il s’avère que la coalition du RHDP est gagnante de l’élection présidentielle et que le Docteur Alassane Ouattara, « la pierre angulaire que les bâtisseurs ont rejetée »[1], devient le premier président démocratiquement élu de la Côte d’Ivoire après Houphouët-Boigny. C’est précisément cette apothéose de la jeune démocratie ivoirienne – que le débat télévisé du second tour entre Gbagbo et Ouattara avait laissé entrevoir – que le FPI va gâcher en entrant en guerre contre la souveraineté démocratique du peuple de Côte d’Ivoire, excluant du corps électoral sept régions du pays, traumatisant les populations des quartiers acquis à la nouvelle majorité, sevrant d’eau et de lumières raisons entières comme pour célébrer sa passion exacerbée des ténèbres, coupant à l’encan les têtes qui débordent de la foule pour dire « NON ». Telle est l’histoire qui conduira le FPI de parti de gouvernement à parti de marginalité, de parti de marginalité à parti de va-t-en-guerre, de parti de va-t-en-guerre à parti nocturne et de parti nocturne à aile visible d’une rébellion armée qui a contre elle les origines, les modalités et les orientations du conflit politique ivoirien vers la question centrale de la citoyenneté. Non pas celle que la vulgate anti-impérialiste des anticolonialistes dogmatiques, véritables ennemis internes de la démocratie en Afrique, préfèrent saupoudrer sur les masses tétanisées par des siècles de ressentiments compréhensibles et parfois légitimes. Toujours est-il que par cette série d’impostures, nos Refondateurs auront fini par ne plus avoir ou donner de la tête, avançant et reculant en même temps, s’écartant à gauche et à droite à la fois, au point de battre le record extraordinaire d’être le parti le plus agité de Côte d’Ivoire, tout en étant malgré tout aussi le parti dont l’addition des mouvements est une opération à somme nulle…
La gibecière du FPI et ses animaux symboliques
Dans la gibecière de cette organisation politique fort singulière, il est clair qu’il y a toujours eu au moins un lièvre, un loup, une hyène et un agneau. Lièvre, le FPI l’est puisqu’il excelle dans l’art de courir en zigzag et se targue d’avoir la ruse infuse. Gbagbo tira gloire d’avoir été surnommé par le Général Guéi « le boulanger d’Abidjan qui roule tout le monde dans la farine ». La stratégie du recomptage, élaborée par Gbagbo et les siens au cœur de la crise postélectorale 2010-2011 pour traîner les choses en longueur et légitimer leur hold up électoral a fini par faire long feu. On a vite compris qu’en voulant gagner du temps, Gbagbo voulait s’incruster pour cinq années atroces supplémentaires à la tête de l’Etat de Côte d’Ivoire. Délogé manu militari, le FPI aura auparavant tenté de jouer la stratégie du loup, celle qui a fini avec le triste éventrement de la république du Bunkerland. Obus tirés sur les quartiers, enlèvements, séquestrations et assassinats, tentatives d’alliances gauchistes superficielles avec l’Angola et l’Afrique du Sud qui s’en sont tirés sur la pointe des pieds, chantage au génocide des populations étrangères vivant sur le sol ivoirien, imprécations saignantes accompagnées de macchabées et de zombies à la télévision nationale et dans les chaînes internationales cornaquées à cet effet, le loup-FPI à hurler jusqu’au 11 avril 2011, puis depuis lors, à travers les attaques terroristes des groupes armés qui s’en réclament et qui par près de 70 fois ont tué ces derniers mois des Ivoiriens.
Déterminé à saboter le processus démocratique entamé par les élections présidentielles et législatives qu’il a boycottées, le FPI s’est rendu compte de sa marginalisation politique évidente. Alors a commencé la stratégie de L’hyène. Hurler sans cesse ses imprécations moralisantes contre le gouvernement ivoirien, tout en demeurant malgré tout lièvre et loup, comme pour se battre sur tous les fronts à la fois. Rôdeuse et ricaneuse, pleine de sarcasmes, l’hyène n’aime pas le bonheur de ses voisines. Amatrice de charogne, elle tient à remuer sans cesse l’infect. Nourrir la pourriture, telle est sa devise. La stratégie de l’hyène, ce fut aussi pour le FPI, quand les nébuleuses terroristes qui le soutiennent se sont mises à essuyer de sérieux revers militaires, la mobilisation en sous-main des ONG des droits de l’Homme, dans le vain espoir de présenter l’administration Ouattara comme le diable en personne. L’accueil en Côte d’Ivoire pendant un mois de la mission d’Amnesty Internationalen 2012 et malgré le rapport partial produit par cette ONG, l’attitude constructive du gouvernement ivoirien devant les analyses critiques de Human Rights Watch, prouvent l’évidence de l’audace démocratique ivoirienne que j’analysais dans une tribune précédente. Devant cette souplesse du pouvoir qui jamais n’a viré à la mollesse, le FPI a lors viré vers la politique de l’Agneau. Voyons !
Les doux agneaux du FPI à la douce France…
C’est parce que les stratégies du Lièvre, du Loup, de l’Hyène ont donné de bien maigres résultats que le FPI s’est intéressé à sa dernière roue de carrosse : la stratégie de l’Agneau. Abusant de la rengaine victimaire, présentant sous des accents christiques le prisonnier de la Haye qui disait pourtant « mille tomberont à ma droite, dix mille à ma gauche, mais moi j’avancerai », la propagande FPI s’est souvenue qu’il existe encore en France des oreilles qui peuvent écouter ceux qui se sont improvisés ennemis de la France pour entasser de la chair à canon naïve autour de leurs résidences et cortèges. Soudain, le FPI de Pascal Miaka Oureto cherche la paix en France. Qu’est-ce donc à dire ? D’abord un aveu. Il avait auparavant tenté de faire la guerre à la France pour de fausses raisons. Cette France, première puissance à avoir reconnu la légalité du régime Gbagbo en octobre 2000. Cette France, premier pays à voler militairement et logistiquement au secours du régime Gbagbo confronté à la rebéllion du MPCI en 2002. Cette France, longtemps pays d’accueil des élites politiques ivoiriennes de tous les bords, présente par-delà les alternances politiques dans l’économie ivoirienne comme partenaire de premier plan. Cette France si ivoirienne, le FPI avait oublié que l’ordre du monde issu de la seconde guerre mondiale en faisait un partenaire incontournable dans le Golfe de Guinée et qu’au lieu de vitupérer en vain contre elle, c’est par l’exemplarité de nos démocraties que les Africains renégocieraient de nouveaux seuils d’autonomie envers elle et toutes les autres puissances. Et voici donc que les choses se remettent à l’endroit après avoir été mises à l’envers par les délires de la Refondation : le FPI a encore besoin de la France et il le crie fièrement sur tous les toits. Le quai d’Orsay et l’Elysée s’en laisseront-ils conter par la légion du roublard qui leur a servi frayeurs sur frayeurs depuis octobre 2000 ? Il y a fort à parier que les Français ont aussi une bonne mémoire. A moins que le FPI ne les croient aveuglément épris de la chanson de Charles Trenet, « Douce France, ô toi pays de mon enfance… ».
Par Franklin Nyamsi, Professeur agrégé de philosophie, Paris, France
[1] Le professeur Augustin Dibi Kouadio eut cette formule forte pour saisir le cœur de l’événement du second tour de la présidentielle ivoirienne 2010.
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