Entre Laurent Gbagbo-reçu pourtant à l’Elysée en juin 2001 par Lionel Jospin, sous la cohabitation avec Jacques Chirac- et la France- ça n’a jamais été la parfaite entente. Le dernier coup de Nicolas Sarkozy vient enrichir la chronique ou l’héritage d’une relation politique jamais franche. De Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, la France a toujours porté Gbagbo, « ce rebelle antifrançais », dans le nez. « Depuis l’élection du président Gbagbo en octobre 2000, la France ne l`a jamais accepté, ni celle de Chirac, ni celle de Sarkozy où il avait cru, trop tôt pouvoir dormir… », avait fait remarquer, récemment, Laurent Dona Fologo, président du Conseil économique et social. Et le destin de celui-ci va basculer en septembre 2002, avec la tournure dramatique que prennent les choses, avec, un coup d’Etat qui se mue en rébellion et qui ceint le pays en deux. La France de Jacques Chirac, prétextant sa nouvelle politique de « ni ingérence, ni indifférence » refuse d’activer les accords de défense que Gbagbo était en droit d’attendre de l’ancienne puissance colonisatrice. La table ronde de Linas Marcoussis, où des masques sont tombés, achève de convaincre Gbagbo que le complot dont son régime est l’objet tire ses racines dans l’Hexagone. A Marcoussis, son pouvoir a été mis en pièces. Pour Gbagbo et les siens, l’ombre de la France est derrière le complot… piloté depuis l’Elysée et qui vise à le neutraliser. En France, notamment, le discours politique du nouveau dirigeant ivoirien, tourné vers « l’indépendance totale et la souveraineté », dérange. « C’est la France qui est derrière cette guerre », avait accusé Laurent Gbagbo. Va naitre alors une rhétorique contestataire contre l’ancienne puissance colonisatrice.
Qui est en passe de pervertir l’image et l’influence de la France dans son pré-carré en Afrique ! Il faut, au plus vite, lui clouer le bec, pour éviter un effet domino en Afrique. Depuis, tous les moyens sont mis en œuvre pour mettre hors d’état de nuire ce chef d’Etat africain « qui refuse d’être traité comme un sous-préfet de la France ». « Je ne suis pas un sous-préfet français nommé en Côte d’Ivoire. Je suis un chef d’Etat élu », avait lâché Laurent Gbagbo, face aux entrepreneurs français exerçant en Côte d`Ivoire, au sujet de ses relations tendues avec la France depuis son arrivée au pouvoir.
Point de non-retour
Aussi bien à Gauche, dans le camp de ses amis socialistes qu’à Droite, dans le camp de l’Ump, Laurent Gbagbo n’a toujours pas trouvé chaussure à son pied. Bien que divisés idéologiquement tous ont fait chorus pour l’abattre, notamment après le scrutin du 28 novembre dernier. Le Parti socialiste reconnaît, avec la communauté internationale, la victoire d`Alassane Ouattara, et demande au Président sortant de l`accepter. M. Jean-Christophe Cambadélis, l`un de ceux qui ont fait le voyage d`Abidjan pendant la campagne électorale pour soutenir Gbagbo, a déclaré ceci : « Il faut donc obtenir que Laurent Gbagbo reconnaisse le résultat favorable à son rival Ouattara, car je ne vois pas bien comment, la Côte d`Ivoire peut s`en sortir ». Jack Lang qui, lui aussi, avait fait campagne avec Laurent Gbagbo, a écrit une lettre à son « cher Laurent » pour qu`il accepte le résultat du vote cautionné par l`ONU et favorable à Ouattara. Nicolas Sarkozy avait mis en demeure Laurent Gbagbo « de quitter le pouvoir », le menaçant de sanctions. Le dernier coup du président français contre Laurent Gbagbo se présente, une fois de plus, comme le symbole achevé de la volonté de la France de « couler » le régime du « Woody » de Mama. Un voyage programmé de députés UMP en Côte d`Ivoire a avorté, au dernier moment, suite à une opposition de l`Elysée. Le patron des députés UMP, Christian Jacob, a confirmé mardi qu`il n`avait pas jugé « opportun » que des députés de son groupe se rendent à Abidjan. Sur place, les trois députés UMP devaient rencontrer le président Laurent Gbagbo. « Je m`en suis expliqué avec eux parce qu`il y avait un risque évident d`exploitation de leur déplacement », a dit Christian Jacob à la presse. Au fond, la tête de Gbagbo ne plait pas à la France, tout simplement parce qu’il est en train d’inculquer un nouvel esprit aux nouvelles générations africaines. La France, qui travaille à l’isolement total de Laurent Gbagbo au plan international, est en première ligne, notamment en ce qui concerne les sanctions financières, après avoir accrédité un Ambassadeur nommé par Alassane Ouattara. Elle remue ciel et terre à l’Onu pour faire partir Gbagbo. Pourtant, quoiqu’on dise, en dehors de son discours politique, Laurent Gbagbo n’a pas rompu les amarres avec le pays de Sarkozy. La France reste le premier partenaire économique de la Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo a attribué d’importants gisements de pétrole au groupe français Total, renouvelé les contrats de Bouygues ( Telecom, électricité et eau) cédé le terminal à conteneurs du port autonome d`Abidjan port à centenaires à Bolloré. Poussé à bout, il a dû, récemment, appliquer le principe de réciprocité, en retirant à l’Ambassadeur français en Côte d’Ivoire, son accréditation.
Mais celui-ci est toujours solidement à son poste à Abidjan. Laurent Gbagbo et ses partisans ne ratent aucune occasion pour fustiger l’ingérence de la France dans les affaires politiques ivoiriennes aux fins d’imposer « Alassane Ouattara ». En tout état de cause, entre la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo et la France de Sarkozy, l’on semble avoir franchi le rubicond. Qui aura le dernier mot ? Les prochaines semaines nous situeront.
Armand B. DEPEYLA (L’Inter)