Encore une folle journée, hier mardi 22 février, pour le panel de médiateurs envoyé par l’Union africaine (UA) pour trouver une solution à la crise ivoirienne. Les 4 chefs d’Etat arrivés à Abidjan le lundi, ont foulé le »Palais » du Golf hôtel où sont retranchés Alassane Ouattara et son gouvernement. Déclaré élu par la commission électorale indépendante (CEI) et soutenu par une grande partie de la communauté internationale, Alassane Ouattara a reçu le panel des chefs d’État conduit par le président du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. La journée débute à l’hôtel Pullman du Plateau, où logent les présidents tanzanien et tchadien, Jakaya Kikweté et Idriss Deby Itno. Ces deux chefs d’Etat sont rejoints par leurs homologues mauritanien et sud-africain, Mohamed Ould Abdel Aziz et Jacob Zuma, qui logent respectivement à l’hôtel Novotel et à l’ambassade de l’Afrique du Sud. A quatre, avec bien sûr, les représentants de l’Union africaine, ils s’enferment dans une salle de l’hôtel transformé en résidence pour, sans doute, définir le programme de la journée. Le responsable du service du protocole d’État annonce le départ pour le Golf hôtel à 16h. Le panel devant recevoir, au préalable, successivement le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, Choi Young-Jin, des représentants du Conseil constitutionnel et d’autres de la CEI proches de Laurent Gbagbo. L’on aperçoit, du reste, M Choi attendant d’être reçu dans une salle. Aux environs de 10h40, un membre du service du protocole sort de la salle de la rencontre du panel pour annoncer le départ des chefs d’Etat pour le Golf hôtel. Chamboulement dans le programme. La rencontre entre le panel, l’ONUCI, le Conseil constitutionnel et ces membres de la CEI est ajournée. Le protocole d’État, pris de court, accélère les instructions. C’est le branle-bas. On s’active pour positionner les véhicules.
Des rencontres ajournées
Le cortège des présidents, avec en tête celui du président sud-africain Jacob Zuma, constitué d’un impressionnant dispositif sécuritaire, s’ébranle en direction de l’hôtel du Golf aux environs de 11h30. A 11h35, le président de l’Afrique du Sud est reçu par Alassane Ouattara, sous les acclamations d’une centaine de jeunes du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui ont dressé une haie d’honneur pour la circonstance. Au pas de course, M. Ouattara installe M. Zuma dans une salle d’audience qu’il a fait aménager au Golf hôtel pour recevoir ces hôtes de marque. Il remonte rapidement dans le hall pour accueillir, à 11h43, le président tanzanien. Accolade suivie de chuchotements de Ouattara à l’oreille de Jakaya Kikweté. Celui-ci est accompagné, comme Zuma, dans la salle d’audience. Deux minutes plus tard, c’est le tour du tchadien Idriss Deby de fouler le perron du Golf hôtel, accueilli toujours par Alassane Ouattara, qui s’excuse, entre deux accolades, pour le couac de la veille lundi 21 février quand il a refusé de recevoir le panel au motif qu’il n’était pas complet. «Je n’ai pas été informé de ce qui s’est passé dehors. Je vous remercie d’être venu», chuchote M Ouattara, qui conduit aussitôt son hôte auprès des autres présidents, avant de revenir rapidement accueillir le président mauritanien et porte-parole du panel, à 11h47. Le panel est maintenant au complet dans la salle d’audience.
Avec ses hôtes, Alassane Ouattara va d’abord avoir un entretien d’une trentaine de minutes, avant d’accéder à une salle plus grande où attendaient les délégations qui accompagnaient les chefs d’État. Une fois tous ces hôtes installés autour de la table affrétée pour la circonstance, M. Ouattara ouvre le débat, en compagnie de son Premier ministre Guillaume Soro. Il se dit d’abord satisfait, honoré et impressionné par le travail des experts de l’UA qui n’ont ménagé, selon lui, aucun effort pour la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Pour lui, cela traduit l’expression de la solidarité de l’Afrique et de la CEDEAO qui a pris à bras-le-corps le dossier ivoirien. «Le pays traverse une grande crise et toutes les missions qui se sont succédé en Côte d’Ivoire se sont soldées par des échecs», a introduit le champion du RHDP. « Ils voulaient manifester les mains nues pour protester contre la confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo. Ces manifestations réprimées ont fait 12 morts», indiquait M. Ouattara, allusion faite à la répression des manifestations du Rhdp hier, quand il est coupé tout net par le président sud-africain Jacob Zuma.
Ouattara interrompu par Zuma
«Stop, stop, stop, cela fait partie de la politique intérieure de la Côte d’Ivoire et ça ne nous intéresse pas!Vous êtes déjà dans le vif du sujet et nous aurons l’occasion d’en reparler plus tard», a tranché sans sourciller le président Zoulou. Quand il reprend la parole, Alassane Ouattara poursuit son intervention sur les difficultés endurées dans la crise. Le président mauritanien lui emboîte le pas pour lui expliquer que le panel ne détient pas de solution miracle et que c’est la conjugaison des efforts de tout le monde qui donnera une solution qui va sauver l’Afrique. «Nous ne sommes pas au bout de nos peines. On ne se fatiguera pas et on ne se fâchera pas», notifiait-il quand le protocole évacue de la salle les journalistes accourus pour capter les moindres gestes et mots des personnalités en conclave. Les membres du panel ne resteront dans la salle qu’avec seulement deux de leurs collaborateurs. Les discussions durent près de 2h30mn. Pendant ce temps, dans le hall, les commentaires vont bon train jusqu’à ce qu’apparaisse en boucle sur la chaîne de télévision française »France 24 » une information faisant état du partage du pouvoir entre Ouattara et Gbagbo. Il n’en fallait pas plus pour surchauffer les esprits des jeunes du RHDP massés devant l’entrée du hall du Golf hôtel, qui ont vite fait d’accuser Jacob Zuma d’être à la base de cette proposition. L’auteur de la fuite étant signé le ministre des Affaires étrangères sud-africain. Les militants RHDP vont spontanément confectionner des pancartes en carton, portant des slogans hostiles au président sud-africain, et qu’ils brandissent en scandant: »Zuma corrompu, pas de partage du pouvoir », ou encore »Zuma voleur, Alassane président ». Cette huée va très vite frôler des échauffourées entre les manifestants et des agents de la sécurité sud-africaine, qui usent de la baraka pour éviter le débordement, très vite circonscrit par la garde de M. Ouattara. Dans les couloirs du Golf hôtel, on annonce l’arrivée, à Abidjan, du président de la Commission de la CEDEAO, James Victor Gbeho. Dans la salle, les discussions se poursuivent jusqu’à 15h où l’on aperçoit Alassane Ouattara, Idriss Deby Itno, Jakaya Kikweté, Mohamed Ould Abdel Aziz sans Jacob Zuma. Ceux-ci sortent du hall du Golf hôtel sous les acclamations des jeunes du RHDP, qui redoublent d’ardeur en criant leur colère face aux propositions de partage du pouvoir relayées par France24. Ouattara et les trois présidents sus-cités affichent des sourires crispés devant les caméras et les micros des journalistes qui espéraient leur arracher une déclaration. Pendant ce temps, Jacob Zuma que les jeunes ne cessaient de conspuer, est »exfiltré » par sa garde puis conduit à son véhicule qui dégage aussitôt des lieux. Si Jakaya Kikweté et Idriss Deby continuaient de sourire, n’était pas le cas pour leur homologue Mohamed Ould Abdel Aziz et Alassane Ouattara qui affichaient des mines graves, sans dire le moindre mot à la presse. Les véhicules de commandement des trois présidents se positionnent et quittent les lieux en direction de l’hôtel Pullman. La rencontre du panel avec Alassane Ouattara venait ainsi de prendre fin, avec un air de symphonie inachevée. Ce qui n’a pas étonné outre mesure des éléments des Forces nouvelles présents dans le hall qui disent avoir prévenu que rien de bon ne sortirait d’une telle médiation. Une fois retournés à l’hôtel Pullman, le Panel a reçu, dans la soirée, Choi Young-Jin et les commissaires pro-Gbagbo de la CEI. Tard dans la soirée, l’on apprend le départ du président Zuma, dont le cortège a été aperçu en direction de l’aéroport. Que peut-on retenir de cette médiation annoncée pour être l’ultime de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire? Il faut attendre encore les heures et les jours à venir pour le savoir.
Y.DOUMBIA