Par Tiburce Koffi
A Henri N’Koumo, poète discret, ce logos sur la poésie exhibitionniste de Josué Guébo
De tous les arts de la parole, la poésie semble celui qui affiche le plus et le mieux des penchants étranges à l’hermétisme. Etrange posture en effet que celle qu’exhibe le texte poétique fermé : le bon sens veut que l’acte de parler soit fondé sur le désir de communiquer, de transmettre un message, une expérience. A quoi sert une parole que l’on ne comprend pas, que l’on ne peut même pas parfois, comprendre ou que l’on a du mal à comprendre ?
Telles sont les interrogations que l’on est en droit de se poser, à la lecture de certains textes poétiques surprenants dans leur entêtement à ne pas se laisser dé-voiler. Que je cite donc, Josué Guébo, poète au prénom de prophète hébreu : Ce fut ici/ La phonation délétère/On nous l’avait mise en paquets d’anaphores / Que le pollen était de gyromitre. La suite donne dans des obscurités stupéfiantes. Lisez avec moi : Et par-delà les mers la méduse urticante/ Disait à l’aurore d’incarnat la turbulence/ Des ondines primipares. (L’or n’a jamais été un métal, Abidjan, Edit. Vallesse, 2009. P 49.
Il ne se contente pas de cette heureuse torture qu’il inflige au lecteur, Guébo le poète lacustre. Entre sadisme et pédantisme savant, il nous obstrue, autant méchamment que gaiement, les portes de son univers de mots. Souffrez (dans son sens premier) de lire les vers suivants : A calibre d’humain dans le bois/ Charançonné/ A calibre d’homme dans la rapine quadrumane / Couver l’homme aux flancs/ Des fillettes à hauteur d’homme dans l’empan des viols, la gouaille salace/ La suie de l’édit, la verve sanieuse (P.53). Ah Guébo ! Où nous mènes-tu ?
Le corpus poétique chez Guébo est secoué de mots rares et recherchés ; ces mots que l’on rangerait sans mal dans le casier sélectif que Stéphane Mallarmé appelle avec bonheur, « les mots de la tribu » – celle des poètes, ces princes du verbe enchanté. En voilà quelques-uns, au détour de quelques pages : fève mellifère, gerbe incoercible, trichophyton, érubescente, Ithyphallique (P. 11, 13, 47, 54, 57). A quoi obéit une telle production et profusion de mots singuliers et au sens peu à la portée du lecteur moyen, et même du lecteur averti ? Certainement pas au besoin de communiquer. Ici, nous avons manifestement affaire à un texte de type démonstratif, exhibitionniste même, qui se donne de proférer la parole sans visée utilitariste – rien d’autre ne semble intéresser son émetteur que l’envie jubilatoire de copuler avec les signes, de jouer sur des sonorités non signifiantes, quoique suggestives.
Soyez cependant rassurés, bonnes gens. Guébo sait dire aussi des mots tendres et veloutés ; des mots qui susurrent joliment sur des pages amicales, dans une sorte de douce mystique du verbe : Les mots s’en vont/ Comme ils viennent /Comme quittent/ Les planches /Les comédiennes/ Les mots/ Ne sont/ Que carcasses/ Simples calebasses/ Bouillonnant/ De sens/ Quand on leur en donne/ La chance/ Le pédagogue/ Et le démagogue/ Echangent des mots /Quand ils dialoguent/ L’un en use/ L’autre en abuse/ Et moi cela m’amuse. Ah ! Josué Guébo, le poète aux vers aussi étranges qu’hermétiques et lumineux !
Tiburce Koffi
Frat-Mag N°55 du samedi 24 août 2013