La main sur le cœur, la tête dans les étoiles, la poitrine bombée, les yeux embués, le regard plongé dans l’éternité, les lèvres livides, le tremolo dans la voix, les ivoiriens, sur toute l’étendue du territoire national, avaient chanté, en chœur, sur un air emporté et enfiévré, comme dans un concerto géant, dont les mesures étaient données par un invisible chef d’orchestre inspiré, «Salut, ô terre d’espérance ! Pays de l’hospitalité (…)». C’était avant le démarrage des travaux de la Commission Consultative Constitutionnelle et Electorale, en abrégé «CCCE», chargée de proposer au pays un nouveau «pacte social consensuel» sous la forme d’un projet de Constitution conforme à notre Histoire commune et au service de notre Ambition partagée, après que nous ayons trébuché ensemble, un certain 24 décembre 1999. Avaient-ils seulement conscience, alors, qu’ils prenaient un nouveau rendez-vous avec leur Destin ? Il était permis de le penser. Savaient-ils qu’ils avaient une revanche à prendre sur le sort ? On pouvait le croire. Et pourtant, très vite, la béatitude avait fait place à la bêtise, l’émotion à l’émoi, la mission à la démission singulièrement celle des intellectuels, le sauvetage au naufrage, la solennité au folklore, avant que le rêve partagé ne devienne un terrible cauchemar éveillé. La Constitution adoptée par les ivoiriens, le fusil sous la tempe, le 23 juillet 2000, à l’issue du guet-apens qu’aura été le scrutin référendaire, a précipité le pays dans le deuil et l’horreur, de cette date jusqu’au 11 avril 2011, du fait de ses dispositions, dont certaines perpétuent le souvenir douloureux du coup de force du 24 décembre 1999 et d’autres constituent une menace perpétuelle pour l’unité nationale et la cohésion sociale. Au-delà, l’idée de la création d’un poste de Vice-Président, qui plane dans l’air, devrait se traduire par une ultime retouche à apporter à la Constitution. En somme, la révision de la Constitution annoncée par le Chef de l’Etat, au titre des importants chantiers qu’il compte engager, sous son second mandat, apparait comme la promesse d’une nouvelle espérance, dont la réalisation doit rassembler tous les ivoiriens.
Commençons par les dispositions faisant référence, ouvertement ou implicitement, aux événements du 24 décembre 1999. Est-il besoin d’épiloguer sur leur maintien ou non dans notre Loi fondamentale ? Rien n’est moins certain, sauf à s’engager, délibérément, tous en même temps, comme lors des travaux de la CCCE, dans une voie de perdition.
En effet, la rédaction des articles 129, 130, 131, 132 et 133, qui contiennent ces dispositions, ne s’imposait pas, nécessairement, dans la Constitution, au moment de son élaboration. En tout état de cause, à présent où la Côte d’Ivoire réconciliée avec elle-même et avec le reste du monde a repris sa marche altière sur le chemin de son développement, les articles concernés apparaissent comme de grosses balafres hideuses et honteuses sur le visage de la République. C’est pourquoi, il convient de les abroger, purement et simplement.
La nécessité, sinon l’exigence de l’abrogation des articles concernés ne saurait, sérieusement, être subordonnée à la sentence d’un quelconque jugement sur la justesse ou non, la légitimité ou non du coup de force. De même, il serait vain d’y percevoir une basse manœuvre clandestine de remise en cause du pardon de la Nation, aux putschistes pour certains et aux rédempteurs pour d’autres. Pour cause ! Sans doute, les auteurs du coup de force pouvaient avoir des raisons de craindre d’être rattrapés un jour ou l’autre par le Tribunal de l’Histoire. Mais, le besoin de protection contre d’éventuels poursuivants qu’ils ont certainement pu ressentir alors pouvait être satisfait autrement, notamment par un texte transitoire, de même valeur que la loi portant Constitution, en l’occurrence une loi d’amnistie. Enfin, la mémoire de ces événements douloureux, qu’on peut interpréter comme une interpellation de l’Histoire, n’a pas ou plus sa place dans notre Constitution. Les grandes Nations se souviennent à travers des œuvres culturelles, notamment des monuments et des ouvrages. La Côte d’Ivoire peut en faire autant.
Ainsi, sur la forme, l’abrogation de toutes les dispositions qui rappellent les événements du 24 décembre 1999 doit être regardée comme un simple acte matériel de toilettage de la Constitution. Sur le fond, elle vise à faire tendre celle-ci vers l’Eternité, en la mettant à l’abri des bégaiements et des caprices de l’Histoire, et, plus prosaïquement, à la rendre conforme, en toutes ses dispositions, à l’attachement du Peuple de Côte d’Ivoire «(…) aux valeurs démocratiques reconnues à tous les peuples libres (…)», tel que gravé dans son Préambule.
S’agissant, à présent, des dispositions qui jurent avec l’unité nationale et la cohésion sociale, leur examen impose à chacun et à tous humilité, intégrité intellectuelle, droiture morale et dépassement de soi. Essentiellement, l’article 35 et, dans une moindre mesure, l’article 54 sont concernés.
L’article 35 est de loin la disposition de la Constitution qui a le plus mobilisé la classe politique dans son ensemble et les ivoiriens, en général. Ceci explique qu’il ait été rédigé dans une ambiance et un environnement marqués par la fureur féroce, la haine cannibalesque, l’instinct bestial, la méfiance réflexe, la passion à l’état pathologique, la tension à trancher au cordeau et la transe collective. On comprend, dès lors, que les gens ordinaires en situation extraordinaire qui l’ont rédigé ne se soient pas embarrassés de vaines précautions, pour cerner tous les contours de la limitation de la durée du mandat présidentiel, faute de lucidité et de sérénité. De même, si l’article n’avait pas été rédigé à la va-vite, sous la pression, son objet aurait dû être limité à la durée du mandat présidentiel, les conditions d’éligibilité devant faire l’objet d’un article séparé.
Qu’importe ! En limitant la durée du mandat présidentiel à dix (10) ans, suivant un modèle standard sans originalité en vigueur globalement sous les tropiques, l’alinéa 1er peut être contre-productif pour la promotion de la démocratie, voire s’avérer mortifère, dans son application stricte.
Certes, dans un contexte de démocratie factice, comme dans de nombreux pays, particulièrement d’Afrique, où les Chefs d’Etat sont enclins à se maintenir au pouvoir, ad vitam aeternam, généralement au moyen d’artifices électoraux, la limitation du mandat présidentiel dans la constitution peut être considéré comme un compromis salutaire entre le règne de la dictature déguisée et l’alternance au moyen des armes. Telle est, en tout cas, la perception qu’en ont les oppositions africaines, globalement, les puissances occidentales qui les soutiennent dans leur quête de démocratie et les Organisations Non-Gouvernementales de promotion de la démocratie
En Côte d’Ivoire, elle a été proposée, puis approuvée dans le cadre des travaux de la CCCE, par la quasi-totalité de la classe politique. En ce qui le concerne, l’actuel Président de la République a milité, fermement, à la stupéfaction des membres de la Direction de son Parti, en faveur d’un mandat de sept (7) ans non renouvelable, avant de céder devant l’argument consistant dans la nécessité, en démocratie, de soumettre le bilan de la gestion de l’Etat, au cours d’un mandat, au quitus du peuple, en briguant un nouveau mandat.
Il n’empêche, la disposition porte en germe deux conséquences fâcheuses. Premièrement, en l’absence de cadres politiques charismatiques, compétents, crédibles et intègres, pouvant assurer la relève, le peuple peut se trouver comme contraint d’élire un Président de la République par défaut, dont la gestion peut le conduire à un désastre, sur tous les plans. Alors que, dans le même temps, le Président sortant est exclu, d’emblée, de la course, après ses deux mandats, bien qu’il remplisse, notamment, les conditions d’âge, de moralité et de nationalité et malgré son charisme imposant, sa gestion irréprochable, sa gouvernance impeccable, son leadership reconnu et le soutien dont il bénéficie auprès de l’ensemble de la classe politique et des populations. Deuxièmement, elle peut déboucher sur des crises résurgentes encore plus graves que celles qu’elle est sensée résoudre, comme on a pu le constater dans de nombreux pays d’Afrique qui l’ont adoptée, puis l’ont remise en cause, avec plus ou moins de réussite. Le Burkina-Faso, le Burundi, le Congo-Brazaville, le Rwanda, le Sénégal, le Togo en sont des illustrations.
Au demeurant, dans les grandes démocraties où elle est inscrite dans la constitution, la limitation du mandat présidentiel peut trouver une justification dans le fait que la classe politique regorge de cadres compétents, expérimentés et jouissant d’une légitimité nationale, qui attendent longtemps, avant d’accéder au pouvoir. D’ailleurs, certaines de ces démocraties n’ont adopté la limitation dans leur constitution que récemment, comparativement à leur longue histoire politique : les USA, conformément au XXIIème Amendement ratifié le 27 février 1957 ; la France, avec la Loi n°2008-724 du 23 juillet 2008.
Il convient donc d’abroger la limitation de la durée du mandat présidentiel et de revenir à l’ancienne rédaction de la disposition traitant cette question dans la Constitution de 1960. On a bien conscience du risque de polémique attaché à cette proposition. Elle pourrait apparaitre comme une tentative, de la part du Président de la République, de se maintenir au pouvoir, à l’issue de son second mandat, malgré toutes les assurances qu’il a données en ce sens. Mais, l’auteur assume ce risque. Si la proposition est retenue, elle devrait s’accompagner, entre autres initiatives, de l’éducation et la sensibilisation des populations à travers les Associations et ONG de la Société Civile et les Partis Politiques, du renforcement de tout le processus électoral par la crédibilisation des organes et structures de gestion, la transparence dans les procédures, le respect des règles d’égalité et d’équité.
Par ailleurs, l’article 35 prévoit, en son alinéa 3, que le candidat «(…) doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine». Il n’est point besoin de s’attarder sur les arguties tenant lieu d’arguments entendues lors de la rédaction de cet alinéa et la piteuse tragi-comédie organisée en vue de son adoption, que le Président du Conseil Constitutionnel a qualifiée, dans son allocution lors de la cérémonie de prestation de serment du Président de la République, avec justesse et verve, de «grand quiproquo» et de «(…) tango mortel de deux conjonctions de coordination qui n’auront jamais autant failli à leur vocation de coordination». De même, il serait vain de revenir sur les «(…) tueries massives de populations civiles mieux connues sous l’appellation de charnier de Yopougon (…)» et «les conditions calamiteuses» (sic) dans lesquelles l’élection présidentielle de 2000 s’est déroulée, du fait de l’application de la disposition. Au-delà, cette condition d’éligibilité posait et continue de poser deux problèmes, qui justifient l’urgence de sa révision.
Premier problème, l’impossible nationalité ivoirienne d’origine des père et mère du candidat. Le candidat qui a eu quarante ans en 2000 est né en 1960. Quant à ses parents, leur date de naissance ne peut être que postérieure, au minimum de quinze à vingt ans, à 1960, et se situer à un moment où la nationalité ivoirienne n’existait pas encore. La raison a été exposée et débattue, en quinze ans de dialogue de sourds, par presse interposée, à savoir que l’Etat souverain de Côte d’Ivoire auquel la nationalité est rattachée n’existait pas avant 1960. En conséquence, en août 2000, date d’entrée en vigueur de la Constitution, les parents du candidat «(…) de quarante ans au moins (…)» ne pouvaient pas être des ivoiriens d’origine, étant précisé que l’ethnie (abbè, agni, attié, baoulé, dida, dyula, guéré, sénoufo, yacouba, tagbana, wébè, etc) et la race (blanche, jaune, rouge ou noire) ne confèrent pas la nationalité.
Deuxième problème, l’exigence arbitraire et inique de la nationalité d’origine des père et mère du candidat. Qu’il soit exigé que le candidat soit ivoirien d’origine, cela se comprend aisément. Il suffit, alors, que l’un ou l’autre de ses deux parents soit ivoirien, d’origine ou par naturalisation. Au-delà, on peut se poser, légitimement, la question de savoir en quoi la nationalité d’origine des père et mère d’un candidat le prédestine-t-il à être un bon Président de la République. En quoi le candidat né de père et/ou de mère naturalisés, qui n’a pas un autre ailleurs, ni d’attache avec un autre pays, est-il moins apte que celui dont les deux parents sont ivoiriens d’origine à diriger la Côte d’Ivoire ? C’est désormais un lieu commun de citer le cas du Président Américain, Barack Obama. Viendrait-il à l’esprit du plus ségrégationniste des américains de s’offusquer de l’origine kenyane du père de ce dernier ou de juger le bilan de ses deux mandats à la tête de la première puissance du monde au regard de cette origine ? Bien sûr que non !
Ainsi, il n’existe aucune raison sérieuse qui puisse justifier cette exigence de la nationalité d’origine des père et mère du candidat, impossible à mettre en œuvre pour le candidat de quarante ans né en 1960, dont l’arbitraire le dispute à l’iniquité et qui, en réalité, a été taillée sur mesure. Il convient donc de la supprimer, purement et simplement, parce qu’elle constitue «(…) un caillou dans le soulier de l’Etat (…), un point sur le côté de la République (…)», selon les formules heureuses du Président du Conseil Constitutionnel, Koné Mamadou.
A présent, l’alinéa 5 du même article 35, qui dispose que le candidat «ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité». Alinéa de la honte pour notre pays, alinéa de l’opprobre sur la Nation, alinéa de l’injure au Droit et aux juristes ivoiriens, comme l’a relevé, avec quelle classe et quelle élégance, Pierre Mazeaud, lors de la Table Ronde de Linas-Marcoussis, en s’interrogeant, la salle avec lui, la question appuyée par un regard circulaire, sur ce que cette condition pouvait vouloir dire, en DROIT. Réponse cinglante et sans appel de la salle, un silence assourdissant assorti de gestes de contrariété et de mines de solitude intérieure des grands moments de défaite.
Il ne pouvait pas en être autrement. Un juriste dont l’âme a été rappelée à Dieu, marquant un certain agacement face à un contradictoire pour cette condition d’éligibilité ne voulait rien dire, a cru pouvoir lui rétorquer que «lorsqu’un mot existe en français, il a forcément une signification en droit». Chiche ! S’il avait été encore de ce monde, on lui aurait posé, à nouveau, la question de savoir ce que veut dire, en DROIT, «danser, grimper, pleurer, rire ou sauter».
Que dire de plus, si ce n’est de réaffirmer que la nationalité s’acquiert et se perd dans des conditions et selon des modalités précises, définies par le Code de la nationalité. L’apparence ne fait partie de ces conditions et modalités : on ne peut pas se faire passer pour un Américain ou un Français, pour être déchu de sa nationalité ivoirienne et des droits qu’elle confère. C’est dire qu’on ne peut pas se prévaloir d’une nationalité qu’on n’a pas. En conséquence, la Constitution doit être expurgée de cette condition d’éligibilité totalement absurde.
Reste la dernière condition, la résidence du candidat, prévue dans les alinéas 6 et 7 de l’article 35. L’aliéna 6 dispose que le candidat «(…) doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective».
Le caractère abusivement discriminatoire de cette condition est manifeste. Sinon, il faudrait rechercher la logique qui sous-tend l’exception dont elle assortie par l’alinéa 7, concernant :
• les membres des représentations diplomatiques et consulaires ;
• les personnes désignées par l’Etat pour occuper un poste ou accomplir une mission à l’étranger ;
• les fonctionnaires internationaux et les exilés politiques.
Sans doute, les membres des représentations diplomatiques et consulaires sont considérés comme étant sur le territoire national, conformément à la fiction juridique de l’extra-territorialité de ces représentations. Mais, les personnes désignées par l’Etat pour occuper un poste ou accomplir une mission à l’étranger, des fonctionnaires internationaux et des exilés politiques ne bénéficient pas de ce statut. Il en est de même, a fortiori, des ivoiriens qui résident à l’étranger, de leur propre chef.
Alors, question : la condition de résidence vise-t-elle à s’assurer que le candidat ait une bonne connaissance des réalités du pays et des préoccupations des populations, pour être apte à prétendre à la magistrature suprême ? Si oui, alors tous les ivoiriens résidant, physiquement, hors du pays devaient être disqualifiés au même titre. Sinon, en quoi certains ivoiriens, fussent-ils diplomates, fonctionnaires internationaux ou exilés politiques, résidant hors de la Côte d’Ivoire, de façon continue, pendant les cinq années précédant les élections et ne totalisant pas dix ans de présence effective sur le territoire ivoirien seraient-ils plus aptes à diriger le pays que les autres qui résident à l’étranger, de leur propre chef ?
Est-ce l’amour du pays qui permet de départager les uns et les autres ? Si oui, on doit convenir que la qualité de diplomates, de fonctionnaires internationaux ou d’exilés politiques, notamment, ne saurait suffire pour jauger cet amour, pas plus que celle d’expatrié volontaire ne peut convaincre d’une quelconque traitrise à l’égard de la mère patrie. D’une part, les Ambassadeurs de Côte d’Ivoire en France, à Paris, et en Israël, en 2011, ont sali l’image de la Côte d’Ivoire, le premier en faisant badigeonner les murs de sa résidence officielle de matières fécales en guise de représailles contre son successeur, avant de prendre la fuite, le second en détournant les deniers de l’Ambassade (entre 150 et 300 millions de FCFA), pour ensuite se réfugier en Turquie, après la crise post-électorale. D’autre part, en sens inverse, tous ces jeunes cadres, qui sont rentrés pour se mettre au service du pays, à l’appel du Chef de l’Etat, en abandonnant des positions plus que confortables. Ces compatriotes, auxquels donnent un visage le Secrétaire Général Adjoint de la Présidence de la République Thierry Tanoh, l’actuel Ministre du Budget, les DG du BNTD, du CNTIG, du CEPICI, de la RTI, de la SNDI, tous ces Conseillers à la Présidence de la République, ont fait preuve d’un patriotisme à toute épreuve et méritent de la Nation.
Ainsi, faute de justification plausible, la condition de résidence doit être abrogée, purement et simplement, ou ramenée au seul alinéa 6 de l’article 35.
Enfin, l’article 54. Il dispose que : «les fonctions de Président de la République sont incompatibles avec l’exercice (…) de toute fonction de dirigeant de Parti Politique».
A priori, cette disposition vise à mettre des balises entre les rôles des différents acteurs, dans un système de parti unique, où les risques de confusion sont réels entre la gestion de l’Etat et celle du parti au pouvoir, au point où on a pu parler parfois de Parti-Etat. De même, elle contribue, dans un système de pluralité de partis politiques, à placer le Président de la République au-dessus de toutes les chapelles politiques et à faire de lui le Président de tous les ivoiriens, aussi bien ses partisans que ses adversaires, ceux qui l’ont élu comme ceux qui lui ont préféré un autre candidat. Il reste que partout où elle existe, cette incompatibilité repose sur une arnaque et une hypocrisie politiques.
En effet, bien qu’il «(…) incarne l’unité nationale», conformément à l’article 34 de la Constitution, il n’en demeure pas moins que le Président de la République est issu des rangs d’une formation ou d’un groupement de formations politiques, dont il aura besoin du soutien, tout le long de son mandat, pour l’accompagner dans la mise en œuvre de sa politique au plan national. En revanche, la raison d’être des partis de l’opposition est de s’opposer, à travers leurs militants et sympathisants, à la politique conduite par le pouvoir en place. Comment, dans ces conditions, le Président de la République pourrait-il être assuré du soutien à toute épreuve de sa formation ou son groupement de formations politiques de base, s’il n’a pas une mainmise sur celui-ci ou n’en a pas le contrôle, directement ou par personne interposée.
Aussi, apparaît-il comme une arnaque politique de prétendre «couper» le Président de la République de sa formation ou son groupement de formations politiques de base ou d’origine, qui constitue(nt) pour lui une soupape de sécurité, sinon son premier soutien politique.
Pour le reste, le précédent régime national-socialiste de Laurent Gbagbo, qui a œuvré en faveur de l’adoption de cette disposition, a été le premier à l’expérimenter. Le moins qu’on puisse dire est que la disposition ne sera jamais autant malmenée qu’elle l’a été. Les décisions et grandes orientations du Parti étaient prises sous la présidence du Président reconnu comme tel par les militants et sympathisants et l’ensemble de l’opinion publique, Laurent Gbagbo, autant que les réunions du Parti se tenaient sous la même présidence, Pascal Affi N’Guessan n’étant qu’un simple «vaguemestre», un Président par procuration. Quelle hypocrisie insultante pour la conscience collective des ivoiriens !
Il convient donc d’abroger cette incompatibilité, qui relève plus de l’effet d’annonce et de la propagande, que d’une réelle volonté de promotion de la démocratie, contrairement aux proclamations de belles intentions de ses auteurs.
Enfin, l’idée de la création d’un poste de Vice-Président de la République, qui revient de plus en plus dans les discours politiques, devrait se traduire par une dernière retouche à apporter à la Constitution. D’emblée, précisons que dans les régimes où ce poste existe, notamment le régime américain, le Président de la République et le Vice-Président sont issus de la même formation politique. Ils sont élus sous forme d’un ticket, le premier en tant que véritable chef de l’exécutif, quand le second n’assume que des fonctions de représentation et l’intérim de ce dernier, en cas de vacance.
La révision de la Constitution, en l’occurrence, va nécessiter, au préalable, une prise de position sur la problématique de la coexistence entre les postes de Vice-Président et de Premier Ministre. Au cas où l’option est prise de faire coexister ces deux postes, la révision va consister dans la modification des articles suivants :
• L’article 40, qui organise l’intérim du Président de la République assuré par Président de l’Assemblée Nationale, en cas de vacance de la Présidence de la République ;
• Les articles 41 et 53 traitent, respectivement, des attributions générales du Premier Ministre et de la suppléance du Président de la République qu’il assure, en cas d’absence de ce dernier hors du territoire national.
Dans ce cas, il y aurait lieu de craindre que la multiplication des institutions ne soit un facteur d’adultération de la nature du régime et une source de complexification de son fonctionnement d’ensemble.
Pour conclure, disons, avec le Président du Conseil Constitutionnel, que «(…) la Côte d’Ivoire, avec cette Constitution confligène, est mal entrée dans sa deuxième République (…). Des ajustements sont (…) nécessaires, pour éviter d’autres bégaiements de notre démocratie (…). L’engagement pris par L’émergence d’un ivoirien nouveau (ne saurait) s’accommoder d’une Constitution consacrant la division des ivoiriens (…)».
Dès lors, la révision de la Constitution s’imposait, avec urgence, déjà depuis le changement de pouvoir intervenu en 2011. Mais, on comprend aisément que l’état de détresse dans lequel les ivoiriens se trouvaient avant, pendant et après la crise post-électorale nécessitait que toutes les énergies soient concentrées sur les actions visant à améliorer leurs conditions de vie et de travail. Au demeurant, l’opposition aurait trouvé noise au Président de la République de chercher à se tailler une Constitution sur mesure.
La réalisation de cette importante réforme, au moment où le Président de la République entame son second mandat, après avoir annoncé, à maintes reprises, son départ du pouvoir à la fin de ce mandat, au plus tard en 2020, est une interpellation à l’ensemble des ivoiriennes et des ivoiriens, afin que tous se mobilisent pour «(…) relever la dignité (…)» de la mère-patrie.
Ainsi, la révision de la Constitution, par l’abrogation ou la modification des dispositions examinées et toutes les autres qui auraient pu l’être, vise à renouer, entre les ivoiriens, le contrat social rompu depuis 1999, à réconcilier la Côte d’Ivoire avec sa devise «Union-Discipline-Travail» et lui permettre de réaliser son rêve d’être «(…) une terre d’espérance (…), un modèle de l’espérance promise à l’humanité (…), la patrie de la vraie fraternité».
Bonne et heureuse année 2016, à toutes et tous.
CISSE Ibrahim Bacongo