Le professeur Mamadou Koulibaly était le samedi 18 février 2012 l’invité de l’Emission ‘‘La Semaine en revue’’ de l’Onuci. L’ex-président de l’Assemblée nationale a abordé plusieurs questions dont le transfèrement de l’ex-président Laurent Gbagbo et les affrontements récurrents entre Frci et populations. Ci-dessous un large extrait de cet entretien :
Les conflits entre les Frci et les populations sont récurrents. Quelle lecture faites-vous des événements qui se sont déroulés à Arrah ?
Pour aller vite, je dirais que je ne suis pas très à l’aise en réalité. Nous sommes sortis d’un long conflit avec les Frci créées par ordonnance présidentielle. Malheureusement, il faut admettre que c’est l’armée régulière elle-même qui chaque fois est prise en flagrant délit de trouble de l’ordre public. Si nous sommes revenus à l’état normal, cette armée là devait quitter complètement les villes, les campagnes et se retrouver dans les casernes comme cela se fait dans un Etat de droit. Mais retrouver l’armée en train de mettre de l’ordre avec des fusils dans les villages lointains en bordure de rue, voir cette armée en train de racketter les gens qui vont au champ, au marché, ce n’est pas tellement un Etat de droit encore. Nous sommes toujours dans un Etat d’exception.
Est-ce que ce n’est pas parce qu’on sort d’une situation où la situation sécuritaire n’est pas très stable ?
Oui, sauf que ce qu’on constate c’est que l’insécurité ne vient pas d’opposant au régime de Ouattara. Elle ne vient pas des pro-Gbagbo ou de n’importe quel rebelle installé en Côte d’Ivoire. L’insécurité vient des troupes pro-Ouattara elles mêmes. C’est ce qui est gênant.
Est-ce qu’ils ne sont pas vraiment sous-contrôle parce que le président Ouattara il y a quelques mois avait donné des instructions fermes afin que ces genres de dérapages ne se reproduisent plus.
C’est là que mon second malaise se présente. Lorsque le même scenario a eu lieu à Vavoua, on a vu le président Ouattara monter au créneau, taper sur la table et dire qu’il faut que ça cesse. La chose reprend à Sikensi et elle se répète à Arrah, à Kotobi. On voit le gouvernement par la voix de son porte-parole nous dire ceci : «Respectez les Frci. Ce sont les Institutions de l’armée républicaine ; il ne faut pas les embêter, il faut les laisser tranquilles».
Des gens disent que ces soulèvements sont suscités par l’opposition ?
A supposer que ce soit vrai. Dans ce cas, cela veut dire que le président Ouattara ne discute pas suffisamment avec son opposition et ne donne aucun statut à cette opposition. Si vous êtes président de la République dans un pays et que vous savez qu’il y a une opposition, mais ouvrez les discussions avec cette opposition.
Le procureur de la Cpi, Luis Moréno Ocampo, a séjourné à plusieurs reprises en Côte d’Ivoire, après la crise post électorale ? Comment expliquez-vous qu’il vienne lancer un nouvel appel à témoins ?
Je ne sais pas comment expliquer cela. Peut-être qu’on attend que les témoins accusent avant d’arrêter les coupables. Peut-être que c’est la procédure choisie par la Cour pénale internationale. Mais dans ce cas, peut-être qu’il va falloir bien mettre le président Gbagbo en liberté en attendant que les témoins ne l’accusent formellement. Ou bien alors, il faut arrêter tous ceux qui sont soupçonnés de crime ici, les transférer à la Haye, en attendant que les coupables aillent les reconnaître. Je ne sais pas quelle est la procédure normale.
Lors des différents voyages du Procureur Moreno Ocampo en Côte d’Ivoire, il a relevé certains éléments de preuves liés au transfèrement de l’ex-président Laurent Gbagbo à la Haye ?
Si on suit son raisonnement, il dit que la Cour pénale internationale n’a pas les moyens nécessaires pour poursuivre tous les criminels. Donc, on ne prend que les principaux responsables. Le président Gbagbo était président de la République au moment où les Forces de défense et de sécurité et les patriotes d’alors ont commis des crimes. Et donc, lui est responsable de tous ces crimes. On le prend et il va payer pour tous. Ça c’est le raisonnement tenu par la Cour pénale internationale. Mais si ce raisonnement est vrai, ça veut donc dire que tous les crimes commis par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, répertoriés et reconnus par les Nations Unies, les grandes Ong internationales et par le gouvernement lui-même, devaient également être payés par les principaux responsables.
Pour l’instant, ils n’ont pas encore établi les crimes commis par les Frci ?
A Duékoué, c’est documenté et clairement reconnu et établi. Il en est de même à Yopougon, à Vavoua . Mais je ne sais pas pourquoi la justice internationale est en train de se présenter comme une justice à deux niveaux. Ceux qui ont gagné comme à Nuremberg ont raison et ceux qui ont perdu comme à Nuremberg seront jugés. Sauf que là on n’est plus en 1945. Ce n’est pas une guerre mondiale qu’il y a eue. Et les victimes sont dans les deux camps. Lorsqu’on veut aller à la réconciliation et qu’un camp a le sentiment de subir des frustrations, cela nous éloigne des possibilités de réconciliation. Le seul but, ce n’est pas de la vengeance, mais la réconciliation. Si on veut aller à la réconciliation, il faut tout laisser tomber. Dans ce cas, les victimes sont mortes pour rien…
A ce stade, ce n’est plus possible puisqu’Il y a une procédure internationale qui est en cours ?
Oui, mais même là je suis encore gêné puisque la procédure internationale a commencé. On a tous pensé que les principaux coupables des crimes postélectoraux seront jugés à la Haye . J’ai entendu le président Ouattara il n’y a pas longtemps à Paris dire qu’il avait créé une Commission nationale d’enquête qui va se charger des criminels d’ici. Ceux qui sont de son camp vont être jugés par des tribunaux locaux.
Ce n’est pas seulement ceux de son camp. Le substitut du procureur de la République était cette semaine sur Onuci-Fm. Il a parlé de juger les autres accusés en Côte d’Ivoire.
Mais dans ce cas, pourquoi une commission nationale d’enquête. Pendant que M. Ouattara était dans l’opposition, il avait toujours mis en doute la compétence des commissions nationales d’enquête pour demander des commissions internationales d’enquête. Où les règles sont claires et on les applique à tout le monde de la même façon et que les Ivoiriens aient le sentiment que la justice est en cours. Pour moi, une vie humaine est une vie humaine. Quelqu’un a tué, il faut qu’il paye. Il n’est pas question de l’impunité pour qui que ce soit.
Les juridictions internationales sont plus crédibles que les juridictions nationales ?
Non pour moi, un pays souverain doit pouvoir juger localement ses criminels. Le fait d’avoir recours à une juridiction internationale montre déjà la défaillance de l’Etat et de son système. C’est déjà une première difficulté pour moi. Maintenant, si on n’a pas le choix et qu’on doit aller à la justice internationale, faisons en sorte qu’elle soit très juste et que les gens n’aient pas le sentiment qu’elle navigue pour les vainqueurs et sanctionne les vaincus. Ça crée des frustrations énormes et ça crée les germes de nouvelles haines qui vont venir s’ajouter aux anciennes, je ne suis pas sûr que cela nous rapproche de la réconciliation si tel est le but effectivement.
Votre parti le Lider ne sera pas à l’Assemblée. Comment comptez-vous exprimer les aspirations de vos partisans étant donné que le parlement est le lieu par excellence de débats contradictoires ?
Lider ne sera pas à l’Assemblée. Mais je suis sur un plateau ce matin. Tout ce que je suis en train de dire représente les aspirations de Lider J’aurai les occasions de parler à la société civile, aux populations. Je prendrai ma plume et j’écrirai des articles. Nous créerons un journal. Nous allons occuper le terrain avec les moyens de bord.
Est-ce que Lider sera aux autres rendez-vous. Je veux parler des municipales et des régionales ? Et que ferez-vous pour éviter la déconvenue des législatives ?
La déconvenue des législatives ? C’est ce que les gens perçoivent, mais pour Lider comme je l’ai dit tout à l’heure c’est un grand succès. Est-ce que Lider sera aux Municipales ? Je n’en sais rien pour le moment. Si M. Ouattara, le président de la République arrêtait de séquestrer les revenus des députés ; s’il payait à Koulibaly ce qu’il lui doit depuis 10 mois, Koulibaly aurait de l’argent et mettrait des candidats partout sur le territoire. Koulibaly amplifierait même les occasions d’activités politiques au Lider.
Ce sont des moyens qui vous font défaut ?
Ce sont les moyens qui manquent à Lider. Moi je ne suis pas un homme riche. Je n’ai pas planqué des milliards à côté pour fonctionner. Je me bats avec mes salaires et mes revenus. De nombreux militants de Lider font des contributions pour se battre avec nous. Mais c’est très peu suffisant.
Le président Alassane Ouattara a pris la tête de la CDEAO. Cela représente-t-il beaucoup de choses pour vous ?
Je pense que c’est une présidence tournante. J’espère que cela le rassurera plus qu’il est président de la Côte d’Ivoire et l’obligerait à regarder de plus près les questions qui nous préoccupent. Depuis qu’il est élu, il a peut-être fait 10 ou 11 voyages à Paris, mais pas un seul sur Abobo-gare et sur Bouaké. C’est quand même curieux.