La recherche de solution aux attaques répétées contre les positions des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ces dernières semaines est en train de révéler un véritable imbroglio dans le fonctionnement des institutions nationales.
Deux faits successifs n’ont pas manqué d’attirer l’attention des populations, durant la semaine écoulée et celle en cours. Le vendredi 10 août dernier, c’est avec surprise que l’on a enregistré la visite du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur au président de l’Assemblée nationale, pour selon ses propres mots, ‘’lui faire un point de la situation sécuritaire, lui donner toutes les informations’’ en tant que chef du Parlement et ‘’recueillir ses avis et conseils pour la gestion de ce dossier important’’. Lui, ayant été ministre. Si cette rencontre médiatisée est passée sous silence, sans trop de commentaires, la suite des événements ne peut laisser indifférent.
Après le ministre Hamed Bakayoko, le lundi 13 août, c’est au tour de son homologue des affaires présidentielles de se retrouver au cabinet du chef du Parlement ivoirien. M. Ibrahim Téné Ouattara s’est rendu à l’Assemblée nationale pour écouter, ensemble avec le président Guillaume Soro, le rapport de deux officiers des FRCI, les commandants Chérif Ousmane, commandant adjoint du Groupement de la sécurité présidentielle (GSPR) et Losseni Fofana, chef de Bataillon, commandant du groupement de sécurité de l’Ouest, sur la situation sécuritaire dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, cible d’une nouvelle attaque ce même lundi, au poste frontière de Pekan Huambly. Selon le communiqué émanant de cette rencontre et signé du responsable de la communication du Parlement, M. Touré Moussa, «le président de l’Assemblée nationale et le ministre Ibrahim Ouattara ont écouté attentivement les deux chefs de bataillon et donné leurs points de vue sur le dispositif militaire déployé dans cette région pour éradiquer définitivement ce terrorisme». Le lendemain mardi 14, cette fois, c’est toute la hiérarchie militaire, avec à sa tête le chef d’Etat-major, le Général de Corps d’armée Soumaïla Bakayoko, qui a déferlé chez le patron de la 10ème Législature. Pourquoi ce ballet auprès du chef du Parlement ivoirien ?
A quoi répond ce déplacement de toute la République à l’Assemblée nationale ? A y regarder de près en effet, c’est comme si l’ex-premier ministre ivoirien demeurait dans ses fonctions de ministre de la Défense. Ce qui n’est pas le cas. On ne devrait pas s’étonner que les différents commandements de l’armée, y compris les ministres en charge de la Défense et de la Sécurité, se déplacent pour faire le point de la situation au chef de l’Etat, Chef suprême des Armées dont c’est la fonction. En situation exceptionnelle de crise comme celle que traverse le pays en ce moment, il est du devoir de tous ces hauts responsables de l’Etat de rendre compte régulièrement au président de la République afin de lui permettre de prendre les mesures et les décisions qui s’imposent. Il est vrai, le président de l’Assemblée nationale est le dauphin constitutionnel du chef de l’Etat en cas de vacance du pouvoir. Mais, en l’état actuel de la situation, ce n’est pas le cas. Le pouvoir n’est pas encore vacant. Le chef de l’Etat est juste en déplacement, et en pareille situation, la République reste gouvernée par ordre de délégation. A commencer par le Premier ministre, qui est bel et bien à son poste. A quoi sert-il alors si ses propres collaborateurs doivent aller s’adresser au président de l’Assemblée pour la gestion des affaires de l’Exécutif? Où est donc le principe de la séparation des pouvoirs? En tout cas, il y a une grave confusion dans le jeu des rôles, au regard de ces ‘’consultations’’, qui ont lieu ces jours-ci auprès du chef du Parlement ivoirien.
Dans la République, faut-il le rappeler, c’est le principe de la séparation des pouvoirs. L’Exécutif travaille, le Parlement contrôle, le Judiciaire juge. Ce sont des principes de bonne gouvernance sans ambigüité. A ne pas confondre avec les pratiques qui ont cours ces deux jours, et qui ont tout l’air d’une cacophonie au sommet de l’Etat. C’est vrai que l’Assemblée nationale est en vacances depuis quelques semaines. Mais, son président peut juger nécessaire de convoquer de façon expresse une session extraordinaire, s’il pense qu’il y a urgence, pour que le Parlement, dans son ensemble, entende les ministres en charge des dossiers et statue pour donner pleinement et souverainement son avis. Maintenant, est-ce l’individu Guillaume Soro, ancien leader des Forces nouvelles, ancien Premier ministre et ministre de la Défense, en homme d’expérience, que des dignitaires du régime ont approché pour requérir en privé des conseils dans la gestion d’une situation ? Cela se fait partout ailleurs et dans tous les régimes. Mais, dans ce cas, ce sont des consultations bien en privé, qui n’ont pas besoin d’être médiatisées. Or, pour ce qui est donné de voir ces derniers jours, c’est bel et bien le président de l’Assemblée qui se trouve propulsé au-devant d’une scène qui ne devait pas être la sienne.
Le président de la République étant bien en poste avec son gouvernement. C’est vrai, quand la nation est en danger, tous les fils doivent faire front commun pour éradiquer le mal, mais pas dans la confusion. Car, à cette allure, l’on perçoit difficilement le cloisonnement entre l’Exécutif, qui doit agir et le Parlement qui doit jouer son rôle de contrôle et de contre-pouvoir. A moins qu’en Côte d’Ivoire, le principe de la séparation des pouvoirs n’ait plus son sens. Alors, bonjour les dégâts !
Félix D.BONY