(Le point ) • Ansar Dine, un mouvement d’obédience salafiste, s’est emparé du nord du Mali en s’alliant d’abord avec les indépendantistes touareg, puis avec des mouvements de la mouvance d’al-Qaida. Les islamistes se sont rendus coupables de nombreuses exactions et également de la destruction de lieux de culte musulmans, impurs à leurs yeux. Alors que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’active en ce moment même pour tenter d’intervenir dans la région, Sanda Ould Boumama, le représentant d’Ansar Dine à Tombouctou, a répondu aux questions du Point.fr. Il accuse les pays voisins de s’opposer à la recherche d’une solution négociée avec Bamako et rappelle ses objectifs : l’instauration de la charia dans le nord du Mali, voire au-delà.
•
Le Point.fr : Bamako et les pays ouest-africains de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) s’activent auprès des Nations unies pour lancer au plus vite une opération militaire de reconquête. Est-ce que, de votre côté, vous vous préparez aux combats ?
Sanda Ould Boumama : Nous sommes prêts, nous n’avons jamais laissé les armes. Mais nous pensons que la solution ne doit pas être militaire. Notre vision, c’est qu’il doit y avoir une autre méthode pour régler ce conflit.
Vous voudriez négocier avec Bamako ?
Je pense que l’État malien est favorable à des négociations, et que ce sont d’autres États qui veulent faire la guerre. Le président Dioncounda Traoré, dans son discours de célébration de l’indépendance, l’a répété. Et à Bamako, beaucoup de gens sont opposés à toute intervention extérieure.
Donc, selon vous, ce sont les pays de la Cedeao qui essaieraient d’imposer cette opération militaire ?
C’est ce que nous voyons ! Certains présidents veulent envoyer leurs officiers hors de chez eux, au Mali, pour éviter d’avoir eux-mêmes des problèmes. La Côte d’Ivoire, par exemple, a des problèmes intérieurs, et c’est une manière de s’en débarrasser.
Selon diverses sources, Ansar Dine aurait commencé à discuter avec d’autres pays que le Mali pour une sortie de crise pacifique, notamment avec l’Algérie… Vous confirmez ?
Le Burkina Faso, l’Algérie ou la Mauritanie ne veulent pas d’intervention militaire, parce qu’ils savent que cela ne va pas résoudre les problèmes. Cela va les aggraver, surtout sur le plan sécuritaire, pour les populations.
Aujourd’hui, existe-t-il des contacts entre vous et Bamako ?
Nous avons toujours eu de nombreux contacts avec les Maliens, cela n’a jamais cessé. Il y a notamment l’imam Mahmoud Dicko (président du Haut Conseil islamique malien, NDLR). Pour nous, c’est une personnalité de poids. Nous avons aussi des contacts avec des hommes politiques et des organisations de la société civile, qui sont venues dans le Nord nous rencontrer. Le problème, ce n’est pas le contact avec le Mali, c’est l’agenda guerrier d’autres pays.
Quelles sont vos revendications ?
Nous voulons l’application de la charia, c’est notre premier objectif. Par ailleurs, les populations du Nord ont toujours été tenues à l’écart du développement, sur le plan social comme sur le plan économique : nous voulons retrouver tous nos droits.
Dans le cadre d’un État indépendant au Nord ? D’un État islamique dans tout le Mali ? D’une autonomie des régions du Nord pour y appliquer la charia ?
C’est à discuter. Dans notre conquête, nous n’avons pas dépassé les régions du Nord. Si les autres régions veulent nous rejoindre pour l’application de la charia, nous y sommes favorables : l’application de la charia est de notre responsabilité à tous, dans le Sud comme dans le Nord. Mais, en ce qui nous concerne, nos revendications s’arrêtent aux trois régions du Nord, auxquelles nous nous sommes limités depuis plusieurs mois.
Vous prônez une application de la charia que des leaders religieux du monde entier dénoncent, à commencer par les imams maliens du Haut Conseil islamique. Est-ce que cela ne vous semble pas un problème de parler au nom de l’islam, alors que de grands imams récusent votre vision de l’islam ?
Nous sommes prêts à discuter. S’ils pensent que nous nous trompons, ils peuvent venir ici nous montrer ce qui ne va pas, nous sommes ouverts. Si les imams ont une autre vision qui ne correspond pas à ce qu’on dit, ils n’ont qu’à venir discuter avec nous.
Le fondateur d’Ansar Dine, Iyad ag Ghali, est un Touareg issu du mouvement indépendantiste. Est-ce qu’une réconciliation d’Ansar Dine et du MNLA est envisageable, selon vous ?
Ce qui nous concerne, c’est l’application de la charia. Notre position est très claire : nous n’avons jamais cessé de parler avec le MNLA, mais la seule chose qui peut nous réunir aujourd’hui, c’est l’islam. Nous ne sommes pas venus arracher le drapeau d’un État laïque, celui du Mali, pour planter celui d’un autre État laïque qui s’appellerait l’Azawad. Pour nous, ce serait du pareil au même.
Les pays occidentaux sont globalement favorables à une intervention armée, même s’il reste des points à préciser. Est-ce que vous avez un message à leur adresser ?
Je veux dire aux pays d’Occidentaux qu’ils s’impliquent dans des conflits qui ne les concernent pas. Les musulmans ont le droit de vivre conformément à leur religion et à leur civilisation. Vous apportez vos problèmes dans notre monde islamique, en Irak, en Afghanistan, mais nous sommes et resterons différents de vous, il faut nous respecter.