Laurent Gbagbo a été maltraité à Korhogo, mais pas assez pour qu’il soit déclaré inapte à suivre la procédure engagée contre lui. Ainsi en a décidé la Cpi à l’issue de l’audience à huis clos qui s’est tenue, les 24 et 25 septembre 2012.
37 jours. C’est le temps qu’il a fallu à la juge Silvia Fernandez de Gürmendi qui préside la chambre préliminaire 1 de la cour pénale internationale (Cpi) pour trancher. En effet, selon une décision rendue hier, la chambre préliminaire 1 juge curieusement Laurent Gbagbo apte à participer aux procédures alors qu’elle reconnaît en des mots à peine voilés qu’il a été maltraité et qu’il en porte de graves séquelles. « Selon la décision des juges, des ajustements pratiques devront être mis en place afin de permettre à M. Gbagbo de participer à l’audience de confirmation des charges. Ceux-ci peuvent inclure la tenue d’audiences plus courtes, la mise à disposition d’installations appropriées pour se reposer pendant les pauses, la possibilité pour le suspect de se dispenser de tout ou partie de la procédure, ainsi que de la suivre par liaison vidéo s’il le désirait. La Chambre déterminera les modalités appropriées pour la conduite des audiences en consultation avec la Défense et le Greffe », indique le communiqué du greffe de la Cpi. Pas mille manières d’avouer que la défense du Président Gbagbo n’avait pas eu tort de soutenir que son client a été maltraité lors de ses sept mois de détention à Korhogo d’avril à fin novembre 2011. Car, on ne décide pas d’aménager des conditions spéciales pour un prévenu qui se porte à merveille.
Mais, la chambre préliminaire 1 n’a visiblement pas voulu tirer toutes les conséquences de cet état de fait. Car, selon les règles de fonctionnement de la Cpi, déclarer Gbagbo inapte reviendrait automatiquement à mettre fin à toutes les procédures engagées contre lui. Et dans ces conditions, il devait être remis en liberté. Immédiatement.
De toute évidence, la Cpi n’a pas voulu se mettre à dos la mafia internationale qui demeure très active pour obtenir l’anéantissement total de Laurent Gbagbo après l’avoir chassé du pouvoir. Le fameux rapport des experts dits indépendants des Nations Unies qui évoque des liens présumés entre les partisans de Gbagbo exilés au Ghana et les islamistes qui contrôlent le nord Mali apparait ainsi comme une des nombreuses manigances destinées à noircir l’image de l’ex-chef de l’Etat ivoirien. A preuve, le procureur de la Cpi y a abondamment puisé pour soutenir son réquisitoire contre la mise en liberté provisoire du Président Gbagbo, le 30 octobre dernier.
Mais, si Me Emmanuel Altit et ses collègues de la défense n’ont pas obtenu la fin de la procédure, ils ont au moins le mérite d’avoir conduit la Cpi à reconnaître que Laurent Gbagbo a subi des sévices pendant sa détention à Korhogo. Ce que le nouveau pouvoir ivoirien a toujours nié.
Maintenant que la question de l’aptitude a été tranchée, il ne reste plus qu’à fixer la date de l’audience de confirmation des charges initialement prévue pour le 18 juin 2012, puis reportée au 13 août de la même année avant d’être renvoyée sine die. Mais d’ici là, l’équipe de la juge Silvia Fernandez de Gürmendi devra se prononcer sur la question de la liberté provisoire qui était au centre de deux audiences, le mardi 30 octobre dernier. Dans le principe, la décision sur l’aptitude n’empêche pas une mise en liberté provisoire. Car, c’est bien un suspect qui est déclaré apte à suivre les procédures qui peut bénéficier d’une mise en liberté provisoire si les juges estiment que les conditions sont réunies. Cependant, quand on se rend compte que les juges de la Cpi sont plus préoccupés par la survie du régime Ouattara que tout autre chose, on se demande s’il faut encore attendre quelque chose d’eux.
En tout état de cause, liberté provisoire ou pas, la voie semble désormais ouverte pour un procès retentissant. Le 5 décembre 2011, lors de sa première comparution, Laurent Gbagbo disait : « on ira jusqu’au bout ». Il appartient désormais à la Cpi de jouer franc jeu en faisant arrêter tous ceux qui ont joué un rôle de premier plan dans les événements liés à la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Faute de quoi, elle ne pourrait prétendre être une justice indépendante et réellement juste.
Augustin Kouyo