La dissolution du gouvernement moins d’un an après sa formation, met en évidence les réalités de la dissension au sein de la coalition au pouvoir qui paraissent maintenant clairs aux yeux de tous. C’est un élément de plus qui vient confirmer une loi bien connue de la guerre : » A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire « .
En effet, restés bien au chaud dans cet hotel du Golf en entretenant la sédition pour se voir offrir la victoire sur un plateau d’or, voilà que ces « vainqueurs » donnent le spectacle de comploteurs qui étaient tellement obsédés par Mr. Gbagbo qu’ils ont fini par se convaincre qu’il suffisait de l’enlever de force du pouvoir pour que tout s’arrange ou s’apaise, en leur laissant la possibilité de l’exercer en toute tranquillité dans une liaison qu’on savait pourtant dangereuse. Maintenant ils sont fixés et vivent sous tension permanente dans une atmosphère où plane le doute, la méfiance ainsi que l’hypocrisie.
De toute évidence, l’erreur conceptuelle de ce gouvernement est d’avoir mis en commun des gens qui n’ont pas la même orientation politique et dont l’étendue des connaissances ne permet pas de comprendre les principes fondamentaux liés à la mise en mouvement des actions en gardant à l’esprit, le sens de l’intérêt général ; ils ne restent accrochés qu’aux absurdités confus que la discorde de leurs intérêts personnels allume. C’était le cas avec le gouvernement d’union sous l’ancien régime et c’est ce à quoi nous assistons encore aujourd’hui.
Après tant de circonstances difficiles et sanglantes, il est donc temps de chausser de nouvelles lunettes pour voir les choses telles qu’elles sont réellement.
D’abord, tout le monde s’accorde à dire que le salut de la Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui dans la justice pour tous, la réconciliation nationale et la sécurité. Malgré cela, confinés dans une politique de diabolisation du principal parti d’opposition, les tenants du pouvoir d’état semblent bien décidés à poursuivre inexorablement l’objectif principal annoncé par Guillaume SORO sur son blog, à savoir l’éradication du FPI (parti de Mr.Gbagbo) par tous les moyens ; on peut même ajouter y compris avec le concours de l’ONU si nous nous en référons au dernier rapport de ses experts sur les attaques contre le pays depuis le mois de juillet et dont François SOUDAN (Directeur du magazine Jeune Afrique) nous indique dans une interview du 28 octobre 12 sur la radio RFI, qu’ils (ces experts de l’ONU) se sont fortement appuyés sur des renseignements fournis par le ministère de l’intérieur ivoirien…
Cet état de faits discrédite toutes les promesses du président en exercice concernant l’impunité en Côte d’Ivoire quel que soit le camp, tout en les mettant au service d’une politique de rattrapage qu’il a lui-même ouvertement annoncée. De la même façon, ses déplacements fréquents à l’étranger donnent le sentiment d’abuser le peuple ivoirien dans l’intérêt de ses copains des grands groupes de la finance mondiale auxquels il ne cesse d’emprunter en gageant très certainement nos matières premières. Qu’est-ce qu’il en sera lorsqu’il s’agira de rembourser sur 30 ou 50 ans ? il ne sera évidemment plus au pouvoir, pas plus qu’il n’est certain qu’il prenne le risque de continuer à vivre dans le pays où près de la moitié de la population lui est hostile si on tient compte des résultats annoncés de l’élection présidentielle de novembre 2010.
Faut-il rappeler que ce pays s’est construit autour de la valeur de l’unité dans la diversité communautaire, soutenu par une économie libérale qui reposait principalement sur l’agriculture et non sur les emprunts ? Pourtant, depuis qu’il a pris ses fonctions, il semble que le président en exercice n’ait pas vraiment pris le temps d’aller à la rencontre de ceux qui ont fait la richesse de ce pays c’est à dire les paysans. Cependant, une fois en moyenne par mois (au bas mot), il est à l’étranger en compagnie des membres des grandes institutions financières de ce monde. Alors, l’enjeu de l’éviction de Mr. Gbagbo de la présidence n’était-il pas pour permettre au président en exercice de tenir la Côte d’Ivoire à disposition de ses copains du monde de la finance ? Dans cette hypothèse, toutes ces actions de charité de la première dame qui ne sont pas spécialement par pure générosité de l’âme, seraient alors un élément dans un processus d’ensemble qui a un double objectif : 1°) Détourner le regard inquisiteur des Ivoiriens sur les réalités de cette crise et ses enjeux. 2°) Renforcer l’image de son époux de président en le recouvrant de toute l’apparence de la vertu pour lui permettre de cadenasser beaucoup plus tranquillement la Côte d’Ivoire de l’intérieur afin de la sacrifier avec aisance aux courtiers de l’économie mondiale. Même si une certaine presse se refuse à voir les choses ainsi en s’enorgueillissant de voir tout ce monde extérieur se « bousculer » aux portes de la Côte d’ivoire pour lui prêter de l’argent comme elle l’a écrit, il faut vraiment avoir l’intelligence à fond de vase pour penser que ces vautours de la finance mondiale sont disposés à faire ces prêts au pays à taux zéro ! Quoi qu’il en soit, la seule façon de rassurer désormais les Ivoiriens est de jouer la transparence en leur indiquant pour le pétrole par exemple, la part de barils qui revient à la Côte d’Ivoire par jour relativement à la quantité produite.
Il faut rappeler que ce sont ces mêmes courtiers de l’économie mondiale et de la finance qui forts de leur pouvoir coercitif, achètent nos matières premières au prix qu’ils décident selon leur bon vouloir. Par conséquent, si les petits pays ont tant de mal à constituer le budget de fonctionnement de leurs Etats, ces courtiers en sont pour une grande part, responsables. C’est d’ailleurs ce que le président Houphouët a essayé d’expliquer dans ses conférences au cours de ses dix dernières années de gouvernance en précisant sa pensée quant à la solution pour en sortir :
Selon lui en effet, cette solution ne peut se trouver que dans la formation de nos cadres techniques et scientifiques en vue de la transformation de nos matières premières sur place en Afrique. Dès lors, nous pourrions discuter d’égal à égal de leurs prix en parlant un langage commun disait-il : celui de l’intérêt commun et solidaire.
Ainsi était Houphouët, et on se souvient de ses coups de colère au milieu des années 80 lorsque pour protester contre l’attitude irresponsable de ces charognards de l’économie mondiale, il a été amené à bloquer la vente du café et du cacao. Par conséquent, se réclamer de lui en ignorant cette vision politique quelquefois réactionnaire qui le caractérisait, dans l’intérêt à la fois de son pays et de l’Afrique pour ne rester que dans une filiation directe en prétendant haut et fort être son enfant, est tout simplement une forfaiture. C’est une façon là aussi, d’essayer de formater l’esprit des Ivoiriens dans laquelle le président en exercice n’a que le soucis de son honneur et de sa réputation. C’est devenu une telle obsession que nous avons assisté avec étonnement, à la destruction de tout ce qui a été fait sous le régime précédent ; pendant ce temps, à peine a t-il pris ses fonctions que son nom a été gravé sur des monuments de la République comme l’université de Bouaké ou le stade de football de Grand-Bassam. Pourtant, il aurait certainement gagné en dignité et crédibilité en les baptisant successivement du nom de « Université Bernard Belin Dadié » ou « AKé Loba » et stade « Laurent PoKou ». Cela aurait été un hommage d’une grandeur à la mesure de ces hommes qui ont fait la gloire de ce pays. Enfin ! les choses sont ce quelles sont, et pourvu que le prochain président après Mr. Ouattara ne vienne pas détruire à son tour tout ce que ce dernier aura construit, histoire d’effacer simplement toute trace de lui.
Dans cette gestion de la Côte d’Ivoire pour la valorisation de soi-même, on peut deviner à l’intuition que la prochaine étape pour les tenants du pouvoir d’état sera de laisser la justice condamner les ténors de l’opposition actuellement en détention pour donner l’occasion à Mr. Ouattara de les gracier afin de valoriser aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale, son caractère non rancunier, généreux et humain. Mais pour les plus avisés, il est établi que les lames les plus lacérées se cachent dans les fourreaux les plus doux.
Vis à vis de Mr. Gbagbo, il faut bien se rendre à l’évidence : Cette politique a pris une autre tournure qui fait de sa déportation à la CPI, un moment de grandeur à vivre dans le combat de libération qu’il mène. Si nous nous référons aux mots prononcés lors de la signification des charges « on ira jusqu’au bout » ou encore à l’égard de ses sympathisants « si vous tenez, je tiens », on peut affirmer sans hésitation que l’homme se sent dans le confort de ce qui le motive le plus : Les situations difficiles, le défi politique, et celui-ci est de taille comme il les affectionne particulièrement à la fois en tant qu’historien et en tant qu’acteur politique.
Par le passé, il s’est servi de son instruction, de sa connaissance historique de l’Afrique pour les mettre au service des revendications sociales, ce qui nous a donné un certain nombre d’acquis sociaux réels dans ce pays. Il y a également la décentralisation, le financement des partis politiques sur fonds publics, l’octroi d’une rente viagère à tous les anciens dirigeants du pays, l’école gratuite sans oublier que c’est aussi lui qui a ébranlé les habitudes de la France-Afrique… Ce sont là autant de réalités qui constituent l’œuvre de son combat ; ils sont insaisissables parce qu’ils ne sont pas gravés dans la pierre. Le lien définitif qu’ils créent entre la nation et lui est comme celui qui existe entre la religion et la prière par exemple ou encore entre le cercueil et la mort, c’est à dire indestructible. Même en tant que président, Mr.Gbagbo n’a jamais été protégé par le respect et la distance, mais ce n’est pas pour autant qu’il faisait arrêter ses opposants pour les mettre dans les prisons de sa région. Le malaise est d’autant plus grand aujourd’hui que dire un mot de travers à l’encontre du président en exercice peut engendrer une arrestation pour « atteinte à la sureté de l’Etat ». C’est donc une dangereuse manie pour l’avenir de la vie politique ivoirienne lorsque d’autres dirigeants succéderont à Mr.Ouattara à la tête de ce pays et qu’ils seront confrontés aux mêmes problèmes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que non seulement elle n’ouvre pas la voie au progrès démocratique en Côte d’Ivoire, mais elle est aussi en train de faire perdre à ce pays, le caractère qui lui conférait cette fraternité et unité qu’on lui connaissait. De là, il est très aisé de comprendre le tâtonnement actuel de la réconciliation nationale, minée par une politique de duplicité qui n’hésite pas à confisquer les avoirs des adversaires politiques pour les obliger à faire allégeance en reconnaissant son pouvoir.
A l’amas d’arguments qu’on avancera pour justifier ce comportement, sera toujours opposé cette réflexion : Une injustice quelle qu’elle soit ne peut pas justifier des tueries de masse comme celles du 19 septembre 2002 ; et comme pour connaitre le cœur d’une histoire il faut la reprendre au début, elle se terminera inévitablement par cette question : Quelle est donc l’origine de la rébellion de 2002 et son financement ? Les plus tourmentés peuvent même pousser plus loin en se demandant si face aux rebelles qui ont fait le choix des armes pour attaquer leur propre pays afin de prendre le pouvoir par la force, on peut vraiment reprocher à Mr.Gbagbo d’avoir eu recours aux armes par nécessité de le défendre ? Toute la question est bien là, quand bien même elle agace ! Aussi bien dans la structure de la société ivoirienne que dans sa mémoire, la part de responsabilité de cet acte ignoble du 19 septembre 2002 ne risque donc pas d’être ignoré, minimisé ou effacé tant que la vérité ne sera pas dite : Elle est nécessaire pour libérer les esprits comme le soleil est nécessaire à la terre pour la faire briller !
Malgré les charges émotionnelles encore vives surtout chez les familles des victimes qui ne savent même pas où sont les corps des leurs, le président en exercice n’a de soucis que de consolider son assurance sécuritaire par des nominations injurieuses au sommet du commandement militaire, de leurs anciens persécuteurs, de leurs anciens bourreaux ; à l’exemple de Zakaria Koné, devenu commandant de la police militaire après les promotions d’Ousmane Chérif et Martin Fofié également ex-chefs rebelles. On reste encore abasourdi de voir avec quelle indifférence le président en exercice consacre par ce acte, ces mercenaires qui ont exécuté de sang froid la destruction de ces familles avec mépris, et mène en même temps une chasse à l’homme sans merci à ceux qui dans l’exercice de leur fonction, ont défendu ce pays. De quelle morale peut-on encore se réclamer suite à cela ? Le président en exercice est-il lui-même l’otage de ces ex-chefs de guerre ? la question n’est pas à écarter si nous tenons compte des déclarations de Zakaria Koné dans une vidéo disponible sur le site Youtube concernant l’organisation et le financement de la rébellion de 2002.
Cette réorganisation de l’armée qui n’est pas fortuite, incite à une conjuration militaire certaine, même à long terme ; alors que le peuple attend de Mr.Ouattara qu’il soit le président en exercice de tous les Ivoiriens, non celui de sa communauté, des gens qui l’ont soutenu ou de ses copains de la finance et de l’économie mondiale. En bon capitaine du navire Ivoire, il est maintenant urgent qu’il détermine un cap à suivre en intégrant les exigences et les défis du peuple ivoirien pour mener la Côte d’Ivoire à bon port. C’est un impératif si on veut éviter que ce peuple n’adopte le principe de la vague dont on sait que la force est capable de contraindre un navire à tout.
Jean KIPRE
Militant écologiste, France