Depuis le début de la rentrée universitaire 2012- 2013, annoncée et effectuée à grand renfort publicitaire et battage médiatique sans précédent, le 03 septembre 2012, le malaise couve. Il résulte du seul constat de l’abîme qu’il y a entre l’université du renouveau annoncé avec tous les équipements électroniques ultra modernes, et le véritable « riz couché » servi dans de vieux plats repeints. Les mêmes bâtiments existants auxquels se sont ajoutés les deux amphithéâtres financés par le district d’Abidjan sous le gouverneur Pierre AMONDJI, constituant l’essentiel des infrastructures.
1.La réalité des faits
Ce constat affligeant, heurte d’autant plus la conscience que quelques semaines avant cette rentrée universitaire relativement aux travaux de construction, un scandale lié à un marché de cent dix milliards (110 000 000 000 frs CFA) passé de gré à gré, entre le ministre de l’enseignement supérieur, Cissé Bacongo, et l’entreprise SIMDCI avait défrayé la chronique. Et le ministre Bacongo interpellé en son temps sur ce délit d’initié, avait cru devoir limoger son directeur des affaires financières (DAF), un second couteau ; il s’était aussi essoufflé en moult explications aussi oiseuses les unes que les autres, sans convaincre. Et l’on attendait impatiemment la rentrée universitaire pour savoir ce qu’il a fait de toute cette fortune. Cette attente était d’autant plus fondée que dans le même temps le gouvernement a multiplié par cinq (05) les frais d’inscription à l’université qui sont passés de six mille francs (6 000 F CFA) à trente mille francs (30 000 frs CFA) au premier cycle, et par dix, de 6.000 FCFA à soixante mille francs (60 000 frs CFA) pour les niveaux supérieures. Enfin, comme si tous ces problèmes ne suffisaient pas, il y a le nouveau système LMD imposé précipitamment aux étudiants et enseignants, sans qu’ils n’y aient été préparés et surtout sans qu’on ait pourvu aux mesures infrastructurelles et didactiques d’accompagnement nécessaires.
Voilà les fondements du malaise que le fonctionnement bancal, mensonger et approximatif de cette université exacerbe chaque jour, surtout au regard des sommes colossales, scandaleusement englouties dans sa prétendue rénovation. Jugez-en vous-mêmes, au regard des faits et du témoignage qui suit.
2. Des conditions de vie pénibles
Après leur réhabilitation, les bâtiments de cette université trônent désormais dans un décor désolé, sans connexion les uns avec les autres, sans abri pour faciliter la circulation des usagers (étudiants, enseignants) exposés aux intempéries (soleil et pluies) sur de longues distances. Et comment étancher sa soif ou satisfaire un besoin naturel qui presse, quand les petites vendeuses d’eau glacée sont traquées, battues, et en l’absence de bornes fontaines et de toilettes. Situation très incommodante pour tous (enseignants, enseignés, visiteurs) dans cette université. Ils (les constructeurs gestionnaires de cette université) n’y ont pas pensé. Ils n’ont pas non plus pensé à comment se procurer des unités quand votre portable vient à en manquer subitement et qu’il vous faut passer un appel urgent. Un besoin devenu banal, très courant mais qui ne peut être satisfait dans l’enceinte de l’université. Il faut en sortir pour effectuer un transfert d’unités sur votre mobile, pour pouvoir effectuer un appel, les bureaux des enseignants n’étant pas équipés de téléphone. Ne parlons pas de connexion internet puisque les ordinateurs et les réseaux Wifi promis n’existent pas non plus.
En lieu et place de ces promesses non tenues, les concepteurs réalisateurs de la rénovation, ont institué de nombreuses contraintes dont la plus absurde est l’improvisation de deux gares de bus pour les étudiants, l’un sur le trottoir exigu en face du CHU de Cocody, l’autre devant l’Ecole nationale de Police. Des bousculades monstres en ces lieux ont déjà causé d’énormes et inutiles dégâts humains parmi les étudiants : un mort, un mutilé et des blessés. Cela, dans l’indifférence froide du ministre Cissé Bacongo. Or, les navettes promises pour déposer les étudiants dans l’enceinte de l’université, n’étant pas non plus au rendez-vous, il eut été tout simplement plus sage d’autoriser les autobus à entrer dans l’université pour déposer les étudiants sur l’espace déjà existant ; d’aménager des abris sur les quais en prolongeant l’un de ces abris jusqu’au premier bâtiment de l’U.F.R biosciences. Cela permettra à coup sûr de mettre ces étudiants (nos enfants) à l’abri des intempéries (soleil, pluies) et de la fatigue incompatible avec l’effort intellectuel qu’on attend d’eux.
Deuxième contrainte faite aux usagers de cette université : l’interdiction d’y entrer avec le taxi qu’ils ont emprunté. Des vigiles doublés d’éléments des FRCI font respecter strictement cette consigne. Obligation vous est donc faite de continuer à pieds. Et tant pis pour vous si vous n’avez pas prévu de parapluie, si vous n’êtes pas très bien portant ou que vous avez ce jour porté des chaussures inappropriées pour une longue marche. C’est à prendre ou à laisser, frustrant forcément. Et c’est le lot quotidien des enseignants et des étudiants. Les motos et autres cycles étant aussi prohibés, on aurait pu écrire au fronton de cette université ceci : « Nul ne fréquente aisément ce lieu s’il n’est en, ou n’a une voiture ».
Troisième contrainte : c’est la présence encombrante et inutile d’une police spéciale et des FRCI sur le campus. Ils ne garantissent qu’une seule chose, l’insécurité, comme on s’en rendra compte dans les lignes qui suivent.
3. L’insécurité permanente
Mon bureau de 5m² que je partage avec mes assistants, pour qu’ils aient au moins où s’asseoir, est dépourvu de rideaux et d’antivols aux fenêtres, à l’instar des autres bureaux, dont les vitres coulissantes ne peuvent êtres bloquées de l’intérieur. Ne vous avisez donc pas d’y laisser un outil de travail personnel, de l’argent ou un téléphone portable en charge. Vous êtes sûr de ne pas le retrouver une fois que vous avez le dos tourné.
Les vols sont récurrents dans cette université censée être de formule 1, haut de gamme, et s’effectuent même en plein jour par des braquages. Le dernier en date est celui que relate le journaliste Fofana Mambé dans le quotidien « Soir Info » N° 5 603 du mardi 28 mai 2013, page 16, sous le titre « attaque à main armée à l’université Félix Houphouët Boigny : une forte somme d’argent emportée ». « Lundi 27 mai 2013 des individus armés de kalachnikovs ont attaqué le service comptabilité de l’U.F.R de sciences économiques de l’université Félix H. Boigny – Cocody. Ils ont emporté un million cinq cent soixante mille francs (1 560 000 frs CFA) représentant les encaissements de la journée du vendredi 24 mai 2013 (…) comme relaté par nos sources, c’est aux environs de 10 H qu’un véhicule (…) gare devant les bureaux de la comptabilité. Deux hommes en descendent et pénètrent dans lesdits locaux. A l’intérieur ces individus qui n’ont rien d’étudiants, sortent des kalachnikovs. Les criminels accèdent ensuite au bureau du chef de service qu’ils prennent en otage. Puis ils font remettre la somme indiquée avant de quitter les lieux, à bord des leur véhicule, sans la moindre inquiétude alors que des éléments des FRCI armées jusqu’aux dents sont postées devant le campus. La battue, de presque tout le périmètre, effectué immédiatement ne donne hélas rien. Les gangsters s’étaient déjà évaporés dans la nature ». « Comment – s’interroge le journaliste Fofana Mambé – des bandits peuvent-ils opérer aussi aisément dans une structure fortement fréquentée et de plus bénéficiant d’une sécurité faisant d’elle une citadelle imprenable ? Vraiment bizarre ». Conclut-il.
Mais il n’y a pas que tout ce qui vient d’être dit qui soit bizarre. Ce qui l’est le plus est ailleurs. Une université dont la vocation première est l’enseignement et la recherche, doit disposer de salles de cours en nombre suffisant et de laboratoires équipés pour fonctionner. Or, l’université de Cocody souffre d’un grave déficit de salle de cours et d’équipements didactiques que sa rénovation ( ?) est loin d’avoir résolu.
4. Une grave pénurie en salle de cours et équipements
Le département de Lettres Modernes dont je suis un des enseignants et qui compte plus de six mille (6 000) étudiants, ne dispose en tout et pour tout que d’un amphithéâtre de trois cents (300) places, l’Amphi 7, pour les cours magistraux et de quatre (4) salles de soixante (60) places, précisément les salles 1, 2, 3 et 4 du bâtiment C pour les travaux dirigés (TD). J’ai dispensé aux mois de janvier et février 2013 mes cours magistraux destinés aux mille six cents (1 600) étudiants de première année (Licence 1) dans cet amphi 7 surpeuplé à l’intérieur, et où pour espérer avoir une place assise, l’étudiant doit se réveiller au moins à 4 H du matin. La climatisation qui fonctionne par intermittence est inopérante face au surpeuplement qui exige que les portes soient ouvertes. J’ai effectué sur les dix séances de cours magistraux, sept sans micro, dans cet amphi sans tableau avec l’estrade envahie d’étudiants, assis, debout, dans une atmosphère surchauffée, suant et transpirant comme leur maître contraint de hurler son cours pour espérer être au moins entendu, à défaut d’être compris. Les bureaux des enseignants de l’université de Cocody ne sont équipés de façon sommaire que d’un bureau de travail, de trois fauteuils et un petit meuble de rangement. C’est-à-dire le même équipement qu’un planton de ministère encore que lui, au moins, à un poste de téléphone fixe où il peut être joint en cas de nécessité. Les outils de travail (papier rame, stylos, chemises cartonnées, etc.) sont à la charge des enseignants. Seulement 1/3 sur le millier d’enseignants chercheurs de cette université a un bureau. Les 2/3 sont dans la nature ne sachant où s’asseoir avant et après un cours.
C’est parce que tous ces problèmes sont restés pendant longtemps irrésolus que nous avions tous espéré que le nouveau pouvoir qui a crié et juré à la face du monde qu’il les résoudrait, était attendu sur ce chapitre. Parents, étudiants et enseignants ont pris leur mal en patience. Ils ont accepté, contre mauvaise fortune bon cœur la majoration des frais de scolarité dans les proportions que l’on sait, faisant ainsi leur part de sacrifice. Au finish, la montagne a accouché d’une souris. Une bien maigre souris. Cela aussi parce que des priorités ont été accordées à des travaux secondaires. Une clôture kilométrique, au demeurant inachevée, qui ne protège contre rien. Le ver est dans le fruit. Il a pour nom police universitaire et FRCI qui ne voient pas, ou qui refusent de voir les gangsters qui opèrent. Des hectares de pelouses traversés par des pistes bitumées. Des collines rasées à coup de pelleteuses et autres graders budgétivores. Les concepteurs rénovateurs ont misé sur le décor, pour faire bien, éblouir. Or une école, à plus forte raison une université, c’est d’abord et avant tout des amphithéâtres, des salles de cours de TD et de TP, des laboratoires équipés, des bibliothèques. Tout cela en nombre suffisant pour que les enseignements et la recherche se déroulent sans accroc.
5. Le modèle promis des universités américaines n’est pas au rendez-vous à Cocody
Le verdict est aujourd’hui implacable. Les concepteurs rénovateurs de l’université de Cocody sont de toute évidence passés à côté de la plaque. Le pot aux roses est découvert. Et dire que dans la communication massive qui a accompagné cette rénovation, le chef de l’Etat, qui est lui-même monté au créneau, avait annoncé créer à Cocody une université avec toutes les commodités des universités nord américaines où il a étudié. Pour avoir effectué des missions d’enseignement, de recherches et d’encadrement de master et doctorat PHD dans quelques unes de ces universités (université Laval du Québec au Canada, New-York University, etc.), je peux témoigner ici que ce qui nous a été servi à l’université de Cocody est très loin du compte.
Le campus de l’université Laval du Canada où j’ai été logé durant mon séjour dans une grande suite du bâtiment réservé aux professeurs étrangers invités, est relié aux facultés distantes de cinq cent mètres par un vaste réseau de couloirs souterrains qu’empruntent les étudiants pour accéder à leurs facultés respectives. Cela pour les protéger contre le froid. Les températures peuvent descendre à moins trente degrés
(-30°C). Ces facultés sont logées dans des immeubles interconnectés où l’on trouve tout : amphis, salles de cours, laboratoires, bibliothèques et librairies sur les mêmes paliers. Les autres commodités de la vie courante sur d’autres paliers, cafeterias, restaurants, banques, guichets automatiques, bureaux de poste, crèches, pour les nourrissons, garderies, supermarchés, etc. En un mot, un monde qui se suffit à lui-même et destiné à créer les conditions idéales pour l’enseignement, les études et la recherche. L’administration, les centres de recherches et les bureaux des enseignants sont situés sur d’autres paliers. Chaque enseignant est doté d’un bureau très bien équipé. Celui qui m’a été affecté, de 16m², avait une bibliothèque et un équipement complet internet très haut débit permettant de consulter à distance les ouvrages dans toutes les bibliothèques des universités du monde entier connectées au réseau.
Faites-vous-même la comparaison, et vous constaterez aisément qu’il n’y a pas photo. Mais les étudiants et les enseignants d’un PPTE (Pays pauvre très endetté) comme le nôtre n’ont pas forcément besoin de tout cela et peuvent se contenter des infrastructures et équipements indispensables énumérées ci-dessus, pour travailler convenablement. Cela à condition que les dirigeants leur tiennent un discours de vérité, humble et honnête. On ne peut pas servir le mensonge à des intellectuels. Ils vont le découvrir aussitôt et gare au retour du bâton.
Parents d’élèves, citoyens, contribuables, nous avons de toute évidence été arnaqués dans la réhabilitation de l’Université F.H.B. Un audit s’impose donc sur les 110 milliards engagés, pour faire la lumière sur les dépenses qui ont été faites afin que tout le monde soit situé.
Pour conclure
Les récents remous à l’université de Cocody ne sont qu’un signal, une alerte donnée par les étudiants. Elle est symptomatique du malaise ambiant, pour les raisons que j’ai longuement soulignées ci-dessus. Les procès, exclusion et blâme brandis ne constituent qu’un bandage sur un furoncle non crevé. Or il faut courageusement crever l’abcès. Ce n’est pas en coupant des têtes que les problèmes vont se résoudre. D’autres têtes pousseront. Ce n’est pas non plus en déplaçant des meubles (limogeage de quelques membres du personnel) que les causes du malaise vont disparaître. La répression systématique dont la gouvernance Ouattara est si coutumière n’a pas sa place à l’université.
Alors, Messieurs Alassane Ouattara et Cissé Bacongo, après le rêve, revenez sur terre, rectifiez ici et maintenant tir. Prenez le pouls exact des besoins. Pour cela il suffit de vous adresser aux doyens des U.F.R, aux syndicats d’enseignants et étudiants qui savent où ils ont mal. Et c’est par là que vous auriez dû commencer. Pour rénover un secteur il faut s’adresser à ceux qui y travaillent, les professionnels.
Monsieur le ministre Cissé Bacongo, pour l’instant ce sont les étudiants qui vous parlent. Ecoutez-les ! C’est là votre intérêt et celui de notre pays. Leurs maîtres que nous sommes vous ont déjà soumis les problèmes auxquels ils sont confrontés. Très mauvaises conditions de travail, paiement des 50% de salaires qui leurs sont dus. Il est aussi temps de régler ces problèmes avant que le couvercle de la marmite surchauffée ne saute. Avec nous vous ne pourrez pas exclure, réduire les salaires, à moins de vouloir fermer les universités publiques pour plusieurs années encore. A bon entendeur…
Par Pr. Bruno GNAOULE-OUPOH U.F.R langues, Littératures et Civilisations Département de Lettres Modernes Université de Cocody
Rédaction de Diaspora Cote d'Ivoire dit
Voici ce que la bonne foi recommande. Un appel à la raison à ceux qui au niveau de l’exécutif sont en charge de l’université de Cocody.
Rédaction de Diaspora Cote d'Ivoire dit
Messieurs Alassane Ouattara et Cissé Bacongo, après le rêve, revenez sur terre, rectifiez ici et maintenant le tir. Prenez le pouls exact des besoins. Pour cela il suffit de vous adresser aux doyens des U.F.R, aux syndicats d’enseignants et étudiants qui savent où ils ont mal. Et c’est par là que vous auriez dû commencer. Pour rénover un secteur il faut s’adresser à ceux qui y travaillent, les professionnels.