– A quel titre Charles Blé Goudé a-t-il été arrêté ?
Compte tenu de son engagement politique sous le régime de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé était devenu une cible majeure pour les forces pro-Ouattara lors de la crise post-électorale. Sa vie était menacée. C’est tout naturellement qu’il avait trouvé refuge au Ghana, le voisin le plus proche, devenu la nouvelle vitrine de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Blé Goudé était recherché par le nouveau régime qui avait délivré un mandat d’arrêt international contre lui. Il vivait donc dans une totale clandestinité dans ce pays où il s’était exilé. Je crois qu’il revient aux autorités ghanéennes de donner les vrais motifs de son arrestation à Accra puis de son extradition expéditive vendredi dernier vers la Côte d’Ivoire. J’ai appris hier [lundi 21 janvier, ndlr] que la justice ivoirienne l’avait inculpé de « crimes de guerre » et de plusieurs autres chefs d’accusation communs aux centaines de partisans de Laurent Gbagbo emprisonnés par Alassane Ouattara. Ne soyons pas dupes : nous sommes dans une procédure purement politique.
– Pourquoi son extradition vers Abidjan a-t-elle été si rapide selon vous ?
L’ayant arrêté, le Ghana aurait du, pour des raisons humanitaires, accorder sa protection à Charles Blé Goudé. Or, en violation de la présomption d’innocence et des règles internationales, les autorités ghanéennes ont livré Blé Goudé aux policiers ivoiriens qui le traquaient depuis de longs mois. Les avocats n’ont même pas pu rencontrer leur client durant sa détention au Bureau national d’investigation (BNI) à Accra. Nous ne savons même pas s’il y a eu une audience devant un tribunal ghanéen avant son transfert. Aucune procédure n’a été respectée. Tout cela est vraiment injuste. Selon moi, il n’y a pas d’autres raisons à cette extradition précipitée et illégale que la raison d’Etat. Charles Blé Goudé a certainement été sacrifié sur l’autel des nouvelles relations ivoiro-ghanéennes. En témoigne cette « coopération » inédite entre les polices ghanéenne et ivoirienne. Sans doute, le nouveau président John Dramani Mahama voulait-il donner quelques gages de bonne entente à Alassane Ouattara, qui peine à obtenir satisfaction dans des dossiers similaires auprès de ses homologues de la sous-région. L’extradition et la déportation des opposants dans les prisons du nord constituent l’épine dorsale de la politique de Ouattara.
– Quelle est votre réaction face à cette arrestation ?
J’ai été surpris et très peiné par l’arrestation puis l’extradition de Charles Blé Goudé vers un pays qui pratique les pires formes de torture. C’est un ami à qui j’ai eu l’occasion de rendre visite au Ghana à deux reprises. Il a une passion pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique. J’ai toujours pensé que le Ghana, qui accueille plusieurs milliers de réfugiés ivoiriens, protègerait les pro-Gbagbo qui vivent de façon exemplaire et discrète sur son territoire. Avec l’extradition de Blé Goudé, un verrou a sauté. Et c‘est à juste titre que son arrestation et son transfert vers la Côte d’Ivoire suscitent une profonde inquiétude parmi les exilés ivoiriens du Ghana. La protection politique et humanitaire de fait dont ils bénéficiaient s’est lézardée. C’est un mauvais signal envoyé aux autres gouvernements ouest-africains qui pourraient être tentés d’invoquer une sorte de « jurisprudence Blé Goudé » pour tordre le coup aux règles de l’assistance humanitaire et de l’hospitalité africaine.
– Craignez-vous un jugement à Abidjan ? Si oui, pourquoi ?
Personne ne devrait craindre la justice de son pays. En Côte d’Ivoire, on ne peut hélas pas parler de justice. Mais Blé Goudé est un homme d’honneur. Il est prêt à faire face. Il n’a rien à se reprocher. C’est un patriote, un homme de conviction, qui aime sa Nation. Comme bien de Français sous l’Occupation allemande en 39-45, Blé Goudé s’est mis au service de la Côte d’Ivoire aux prises, dès septembre 2002, avec une rébellion armée venue du Burkina Faso. Les assaillants d’hier sont devenus les gouvernants d’aujourd’hui après avoir renversé le président Gbagbo en avril 2011 grâce à l’aide militaire de la France. Devant les tribunaux ivoiriens, Blé Goudé dira sa part de vérité, en particulier sur toute la période allant du début de l’insurrection des militaires du nord jusqu’au conflit post-électoral qui a éclaté en décembre 2010. Il a été un accélérateur de l’apaisement dans le pays, notamment après la signature de l’accord politique de Ouagadougou en mars 2007. Blé Goudé a posé plusieurs actes en faveur de la réconciliation nationale et de la paix en faisant le tour du pays avec des chefs rebelles. Il n’aura aucune crainte à justifier le travail accompli pour défendre son pays agressé, y compris devant des magistrats souvent aux ordres du pouvoir. Ses avocats veilleront à ce que ses droits soient respectés.
– Charles Blé Goudé est-il disposé à aller devant la CPI ?
Nous n’en sommes pas encore là. La Côte d’Ivoire est un Etat souverain et indépendant, comme se plaisent à le revendiquer les dirigeants actuels. Elle devrait donc être en mesure de juger chez elle tous ses nationaux soupçonnés de crimes commis sur son territoire. Nul besoin de sous-traiter des procès impliquant ses ressortissants auprès d’une juridiction internationale. D’ailleurs, la CPI n’est pas la cour des miracles contre l’impunité. Notre pays a besoin d’une institution judiciaire forte, crédible et indépendante avec des magistrats impartiaux, soucieux de l’équité. Il y a là une bonne opportunité de redonner confiance en la justice ivoirienne. Après la déportation illégale de Laurent Gbagbo à La Haye, vouloir transférer coûte que coûte Simone Gbagbo voire Blé Goudé à La Haye, c’est prendre le grand risque d’enterrer définitivement le processus de réconciliation nationale et de paix en Côte d’Ivoire. La CPI ne doit pas non plus devenir le centre de rétention des opposants à Alassane Ouattara.
Propos recueilli par Aurélie Fontaine
Correspondante en Côte d’Ivoire pour Ouest-France/Radio Vatican/Medi1/Radio Suisse Romande/Rue89/Le journal de la Marine Marchande
*Toussaint Alain, ex-conseiller et ex-porte-parole de l’ancien président Laurent Gabgbo // L’un des initiateurs et membre du Comité de défense de Charles Blé Goudé.
Source: Facebook