Le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire vient de rendre publique le comité d’experts, chargé de proposer une nouvelle constitution à soumettre à référendum pour la création d’une nouvelle République, la troisième. Cette constitution que le Président souhaiterait plus consensuelle, viserait, selon le porte-parole du gouvernement, à tirer les leçons du passé et à garantir les droits et les devoirs de chaque citoyen.
C’est justement à propos de cette noble ambition du consensus et des intérêts bien compris de chaque ivoirien et de chaque habitant de ce pays que je voudrais humblement me permettre de faire le commentaire qui suit :
En effet, au-delà des débats de forme et de fond, actuels et à venir, c’est le principe même et l’opportunité d’une nouvelle constitution et donc, de la création d’une nouvelle République que je veux questionner.
Certes, il est de pratique dans les nations, après de graves crises comme celles que connait notre pays depuis des décennies, que la page soit tournée. Une nouvelle République, dans mon modeste entendement, consacre la fin d’un processus et le début d’une nouvelle ère fondée sur de nouvelles bases et un nouveau contrat social, fruit d’un véritable consensus national, c’est-à-dire avec l’implication de toutes les forces vives de la nation.
A ce stade de notre processus, pouvons-nous raisonnablement estimer que nous avons réuni toutes les conditions et franchi toutes les étapes nécessaires pour tourner la page ? Pouvons-nous sérieusement parier le moindre centime sur la moindre chance de réunir le consensus autour de ce projet ? Le moment est-il vraiment opportun pour la troisième République ? Permettez-moi d’en douter ?
En effet, si nous faisons une évaluation saine et objective de la situation, nous nous rendrons vite compte que les conséquences des longues années de confrontations fratricides restent encore vivaces dans la société. Les ivoiriens restent profondément divisés comme l’ont si éloquemment démontré les dernières élections présidentielles où une bonne partie de la population ne s’était sentie nullement concernée. A ce jour, ils sont encore plusieurs dizaines de milliers de nos compatriotes à préférer la galère de l’exil plutôt que de rentrer chez eux. La réconciliation nationale admise désormais par tous comme le passage obligé vers des lendemains meilleurs reste encore un chantier entier.
Est-ce là vraiment le meilleur contexte pour une réforme aussi fondamentale qu’une nouvelle constitution qui exige un consensus national ?
Au demeurant, si une constitution écrite dans le cadre d’une transition ouverte à tous et avec la participation de toutes les forces vives de la nation n’a pu être consensuelle alors qu’elle a été votée à 86% à l’appel unanime de tous les partis politiques, comment le pourra-t-elle quand elle sera écrite par une poignée de personnes, fussent-elles des experts, toutes choisies unilatéralement par le Président de la République, lui-même par ailleurs président d’un parti ? Comment garantir le caractère consensuel d’un travail produit par un comité qui n’est pas lui-même le fruit d’un consensus et qui de surcroît, semble (je peux me tromper) quasiment d’un même bord?
En quoi la Côte d’Ivoire avancerait-elle avec une constitution impopulaire qui serait aussitôt remise en cause et réécrite au moindre changement ?
Et puis, quelle en est l’urgence et en quoi est-ce que la présente constitution gêne puisque de toutes les façons elle n’a jamais été contraignante pour personne, elle n’a jamais été respectée? N’est-ce pas que de tous temps les uns et les autres se sont toujours servis d’arguties juridiques pour la violer royalement et impunément, alors ? Ne peut-on pas et ne serait-il pas plus sage de se donner un peu de temps pour construire du solide et pour le futur ? Que des modifications soient nécessaires ça et là pour clarifier et harmoniser certaines dispositions jugées confligènes me semble compréhensible mais une nouvelle constitution pour une nouvelle République me parait inopportune en ce moment.
Une nouvelle République sera nécessaire mais elle n’aura aucun sens aussi longtemps que nous n’aurions pas réussi à solder les lourds contentieux de ces années de crises et concrétiser la réconciliation nationale qui est un impératif.
Les antagonismes ont fait trop de mal à notre peuple. Ils sont sources d’exclusion et de division elles-mêmes sources de frustrations et de troubles comme nous l’enseignent les leçons de la crise que nous subissons tous. Tirer les leçons du passé, c’est d’abord et en tous temps avoir cela en mémoire.
Le plus grand besoin aujourd’hui, est d’appeler l’ensemble des forces vives de la nation à un large consensus pour la réconciliation et la paix définitive en Côte d’Ivoire. Ainsi la nouvelle République naîtra tout naturellement de la fraternité et de l’amour retrouvés pour ouvrir une nouvelle page, une page plus gaie, une nouvelle page porteuse d’espoir et d’espérance pour tous et pour chacun.
Telle est ma position, telle est ma suggestion !
Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire à nouveau unie, prospère et paisible !
Fait à Abidjan, le 05 juin 2016
KONAN Kouadio Siméon
Candidat aux élections présidentielles 2010 et 2015