L’on entend parler de plus en plus de la perspective d’élection présidentielle pour 2015; le Congrès National de la Résistance pour la Démocratie (CNRD) s’inquiète, et pour cause ?
Le CNRD rappelle que la crise postélectorale de 2010 qui a déclenché la guerre en Côte d’Ivoire, faisant des milliers de morts, de nombreux disparus, d’exilés, de prisonniers politiques (militaires et civils), dont le plus illustre a été transféré à la Cour Pénale Internationale (CPI) le 30 Novembre 2011, est née de la non reconnaissance des résultats définitifs de l’élection présidentielle proclamés par le Conseil Constitutionnel le 03 Décembre 2010.
Il importe donc de savoir si le Conseil Constitutionnel actuel peut encore intervenir dans l’élection présidentielle à venir, sans provoquer de nouveaux conflits. C’est pourquoi, le CNRD s’invite à présenter le Conseil Constitutionnel tel que prévu par la Constitution de Côte d’Ivoire, et à démontrer l’illégalité et l’inutilité du Conseil Constitutionnel actuel.
I- Le Conseil Constitutionnel au regard de la Constitution de 2000
Après une lecture attentive des treize (13) articles regroupés sous le titre VII de la Constitution consacré au Conseil Constitutionnel, nous constatons que c’est l’organe le plus important dans le fonctionnement légal et harmonieux des pouvoirs publics en Côte d’Ivoire.
En effet, il ne faut pas s’arrêter sous sa dénomination de « Conseil » qui peut laisser penser qu’il joue le rôle d’un simple conseiller, d’un donneur d’avis facultatif, qu’on peut prendre ou laisser.
La Loi fondamentale dispose comme suit :
– « Le Conseil Constitutionnel est Juge de la constitutionnalité des lois. Il est l’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics » (Article 88)
– « Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute Autorité administrative, juridictionnelle , militaire et à toute personne physique et morale » (Article 98).
Les articles 88 et 98 de la Constitution font ainsi du Conseil Constitutionnel le gardien et le gendarme de la Constitution d’une part, l’arbitre et le gendarme de l’établissement et du fonctionnement des pouvoirs publics d’autre part.
1- Le Conseil Constitutionnel est le gardien et le gendarme de la Constitution
Il est bon de rappeler que la Constitution d’un pays est le socle du contrat social qui unit les membres d’une communauté humaine désireuse de vivre ensemble. Elle a un caractère sacré, car sans elle, il n’y a ni peuple, ni nation, ni Etat, mais des populations qui cohabitent. Aussi, importe-t-il de la préserver de toute violation ; c’est le rôle du Conseil Constitutionnel.
C’est pourquoi, les engagements internationaux (Traités et Accords internationaux) avant leur ratification, les lois organiques avant leur promulgation, les règlements de l’Assemblée Nationale avant leur mise en application, doivent être déférés par le Président de la République, ou par le Président de l’Assemblée Nationale au Conseil Constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution (Art. 95). Une disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être promulguée ou mise en application. Cependant, si les lois les plus importantes, comme indiqué plus haut, sont soumises obligatoirement au contrôle à priori du Conseil Constitutionnel, ce n’est pas le cas de toutes les lois.
En effet, c’est de façon facultative que les lois ordinaires sont déférées au Conseil Constitutionnel avant leur promulgation. Il en est de même des projets ou des propositions de loi, et des projets d’ordonnance soumis pour avis au Conseil Constitutionnel.
Toutefois, si cette catégorie de normes juridiques échappent au contrôle à priori, elles ne sont pas à l’abri du contrôle à postériori du Conseil Constitutionnel.
Selon l’article 96 de la Constitution, tout plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction. Le citoyen n’est donc pas abandonné à l’arbitraire du pouvoir législatif du Parlement et du Président de la République ; c’est ce qui se passe dans un Etat de droit.
Soulignons que le Conseil Constitutionnel est un véritable organe juridictionnel, avec une autorité exclusive (cf. Article 98). En d’autres termes, les décisions du Conseil Constitutionnel doivent être respectées par les Autorités nationales et internationales.
C’est pourquoi, il ne suffit pas que le Conseil Constitutionnel juge uniquement de la constitutionalité des lois, mais qu’il veille également sur le processus du choix des acteurs des Pouvoirs fondamentaux que sont le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Législatif, prévus par la Constitution.
La Constitution ivoirienne de 2000 a confié effectivement la surveillance et l’arbitrage des choix des détenteurs de ces deux Pouvoirs au Conseil Constitutionnel (cf. Article 94).
2- Le Conseil Constitutionnel est l’arbitre et le gendarme de l’établissement et du fonctionnement des pouvoirs publics
De façon concrète, en tant qu’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics, le Conseil Constitutionnel joue un rôle très important dans l’établissement des deux pouvoirs publics fondamentaux que sont l’Exécutif et le Législatif, en intervenant dans les compétitions électorales de désignation des futurs détenteurs de ces pouvoirs.
En effet, « le Conseil statue sur :
– L’éligibilité des candidats aux élections présidentielles et législatives,
– Les contestations relatives à l’élection du Président de la République et des députés (Art. 94)
Le Conseil Constitutionnel peut également décider du report de l’élection présidentielle, en cas de décès d’un des candidats (Art. 37). De même, en cas d’événements ou de circonstances graves, le Conseil Constitutionnel décide de l’arrêt ou de la poursuite des opérations électorales, ou de suspendre la proclamation des résultats (Art. 38)
Enfin, c’est le Conseil Constitutionnel qui reçoit le serment du Président de la République élu (Art. 39) ; et en cas de vacance de la Présidence de la République, le Conseil Constitutionnel intervient également (Art. 40).
II- L’illégalité et l’inutilité du Conseil Constitutionnel actuel
Avant le coup d’Etat militaire de la communauté internationale contre le Président Laurent GBAGBO, le Conseil Constitutionnel a joué correctement le rôle qui lui est dévolu par la Constitution de Côte d’Ivoire. Mais, depuis le 11 Avril 2011, deux faits majeurs ont dévoyé le Conseil Constitutionnel ; il s’agit :
1) de la décision du 04 Mai 2011, portant désignation de Monsieur ALASSANE OUATTARA en qualité de Président de la République de Côte d’Ivoire
2) du renouvellement des membres du Conseil Constitutionnel, avant le terme
1- La décision du 04 Mai 2011 portant désignation de Monsieur ALASSANE OUATTARA en qualité de Président de la République de Côte d’Ivoire
Voici ce qu’a dit le Conseil Constitutionnel :
« Considérant que le 03 Décembre 2010 ; …le Conseil Constitutionnel a proclamé les résultats définitifs du scrutin présidentiel du 28 Novembre 2010, et désigné Monsieur Laurent GBAGBO Président de la République de Côte d’Ivoire,
Considérant en outre que, le 03 Décembre 2010, le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, a certifié les résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle, tels que proclamés par le Président de la Commission Electorale Indépendante le 02 Décembre 2010, désignant Monsieur ALASSANE OUATTARA vainqueur de l’élection présidentielle ;
Considérant que suite à ces proclamations contraires, une crise postélectorale s’est élevée sur les résultats du scrutin du 28 Novembre 2010 ;
Considérant qu’en raison de la gravité de cette crise, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest s’est saisi du dossier ivoirien…
Considérant qu’à la suite de … l’Union Africaine s’est, à son tour saisie du dossier ivoirien…
Le Conseil Constitutionnel fait siennes les décisions du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, sur le règlement de la crise en Côte d’Ivoire ; … proclame Monsieur ALASSANE OUATTARA Président de la République de Côte d’Ivoire… »
Après avoir qualifié les faits de « crise postélectorale », le Conseil Constitutionnel devait se déclarer incompétent, car la Constitution de Côte d’Ivoire lui a conféré le pouvoir de statuer uniquement sur les contestations relatives à l’élection du Président de la République et des Députés (cf. Article 94), et non sur une crise née de la non reconnaissance de sa décision.
Il a outre passé ses pouvoirs, ce qui est grave, et très grave.
Ensuite, en décidant de « faire siennes les décisions du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine », le Conseil Constitutionnel sort également du cadre de la Constitution de Côte d’Ivoire dont il est le gardien.
C’est pourquoi, le CNRD estime que cet organe s’est dévoyé en s’octroyant des pouvoirs qu’il n’a pas reçus de la loi fondamentale.
Ce faisant, la Côte d’Ivoire se retrouve sans repère, ni boussole ; c’est pourquoi, le navire va à la dérive.
2- Le renouvellement du Conseil Constitutionnel avant le terme
Aux termes des articles 90 et 91 de la Constitution :
« Le Président du Conseil Constitutionnel est nommé par le Président de la République pour une durée de six ans non renouvelables…
Les conseillers sont nommés pour une durée de six ans non renouvelables… »
« Le premier Conseil Constitutionnel comprendra :
– trois conseillers … nommés pour trois ans
– trois conseillers nommés pour six ans …»
Ainsi, le premier Conseil Constitutionnel mis en place le 08 Août 2003 a respecté scrupuleusement les dispositions constitutionnelles ci-dessus énoncées. Monsieur YANON YAPO Germain qui a été nommé Président du Conseil Constitutionnel en Août 2003, n’a été remplacé par Monsieur YAO NDRE Paul qu’en Août 2009 ; ce qui fait bien six ans de fonction, comme prévu.
Or, il a été donné de constater que Monsieur ALASSANE OUATTARA a mis fin aux fonctions de Monsieur YAO NDRE dès le mois de Mai 2011 ; le remplaçant officiellement par Monsieur Francis Vangah Romain WODIE, le 25 Juillet 2011.
A cette date, Monsieur YAO NDRE n’était qu’à sa deuxième année de fonction.
Il en est de même du remplacement de Monsieur DALIGOU MONOKO Jacques.
Par ailleurs, Monsieur ALASSANE OUATTARA a nommé le 25 Juillet 2011, trois conseillers pour une durée de trois ans, comme s’il s’agissait du premier Conseil. Il s’agit de :
– Madame Hortense ANGORA KOUASSI, épouse SESS ;
– Madame Suzanne Joséphine TOURE, épouse EBAH ;
– Monsieur Boniface OBOU OURAGA
Comment peut-on demander la sérénité au peuple lorsque les garants de la Constitution sont nommés en violation de celle-ci ?
CONCLUSION
Si le Conseil Constitutionnel, gardien de la Constitution qui, elle-même, est le socle de la République, la boussole du peuple, la marque de son contrat social de vivre ensemble, n’a plus d’autorité, et ses membres comptés pour rien, peut-on être surpris de l’absence de cohésion sociale ?
Par ailleurs, à quoi servirait-il des élections si l’organe chargé, selon la Constitution, du contrôle de la régularité des opérations, est illégalement constitué ?
Nous ferions l’économie de conflits sanglants, en demandant à la communauté internationale, dont le Conseil Constitutionnel a « fait siennes les décisions …», de désigner le Président de la République en Côte d’Ivoire, comme « au bon vieux temps » de la nomination des gouverneurs pour les colonies d’outre-mer ; et comme « au bon vieux temps » du parti unique où les Députés étaient désignés.
Malheureusement, pour cette communauté internationale, la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier pour accepter les faits accomplis et les diktats.
Le Président du CNRD
BERNARD BINLIN DADIE