Ils ont pris du galon et, pour certains, se sont habitués aux flashs des magazines people. En moins de trois ans, les anciens chefs de guerre venus du Nord de la Côte d’Ivoire se sont fait une place dans l’appareil sécuritaire. Mais ils sont toujours dans le viseur de la justice internationale.
Le treillis est neuf et la barbe taillée avec soin. Il n’est plus le redoutable chef rebelle qui administrait la région militaire de Vavoua-Séguéla, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, mais du haut de son 1,90 m, Issiaka Ouattara, alias Wattao, impose toujours le respect. En mars, il a été officiellement nommé commandant adjoint du Centre de coordination des opérations décisionnelles (CCDO). Les 750 hommes – militaires, gendarmes et policiers – placés sous ses ordres sont chargés de sécuriser Abidjan et patrouillent en véhicules blindés. Elle est loin la « grande époque » des Forces nouvelles (FN), dont Wattao avait été le chef d’état-major adjoint.
Ce nouveau poste, l’ancien comzone le considère comme une juste rétribution. Pendant la crise postélectorale, il s’est engagé aux côtés d’Alassane Ouattara lorsque celui-ci luttait encore pour que soit reconnue sa légitimité de président élu. À la télévision, le 11 avril 2011, c’est lui que l’on voit aider Laurent Gbagbo à passer une chemise hawaïenne dans une chambre du Golf Hôtel. Plus tard, Wattao confiera s’être caché pour pleurer après ces instants où la déchéance d’un dirigeant, certes combattu, symbolisait un peu celle d’une nation.
Enrichis grâce au cacao, au café, au bois, à l’or…
Cuisinier anonyme avec tout juste le grade de caporal aux premières heures de la rébellion, en 2002, Wattao est l’un des personnages les plus truculents de la République. C’est un client assidu – et généralement bien entouré – des hauts lieux de la nuit abidjanaise. Il fréquente, avec une égale régularité, le Toa, LeMix Discothèque ou le Life Star, et la presse se régale de ses frasques. En avril, il a posé avec son chien Husky en une de Life, « le » magazine people ivoirien.
Comme lui, les anciens maîtres du Nord se sont considérablement enrichis. Pendant près de dix ans, beaucoup ont tiré profit de l’exploitation du cacao, du café, du bois, du coton, de l’or et des diamants. Ils se sont approprié des entreprises, ont perçu de juteuses taxes sur le trafic routier et les services publics, et ils l’assument. « C’était une rébellion, martèle Wattao. Fallait-il compter sur Gbagbo ? Il n’y avait plus d’administration et nous étions à la fois maires et préfets. Nous avions des jeunes gens qu’il fallait nourrir, entretenir et habiller. »
Beaucoup ont aussi des biens au Burkina voisin, où a été fomentée leur rébellion.
Tout cela a-t-il changé ? Pas vraiment. Selon un rapport des Nations unies publié en avril, les anciens comzones ont étendu leurs activités prédatrices à l’ensemble du territoire. Non contents d’exercer une influence grandissante dans l’appareil sécuritaire, ils ont ouvert des boîtes de nuit à Abidjan, investissent dans l’événementiel et mènent une concurrence effrénée aux footballeurs professionnels dans les achats immobiliers. Beaucoup ont aussi des biens au Burkina voisin, où a été fomentée leur rébellion. À Ouagadougou, où vit l’une de ses trois épouses, Wattao possède plusieurs villas, fréquente les discothèques (sa préférence va au Golden, au Calypso ou au Mask) et circule en Lamborghini jaune. La seule du pays. « Veut-on que je sois mendiant ? s’emporte-t-il. On ne peut pas empêcher chacun d’avoir son business. Le mien, c’est d’acheter des voitures, de les revendre et de faire des bénéfices. Pourquoi veut-on m’empêcher d’être heureux ? »
Heureux, l’ancien patron du bataillon Anaconda semble l’être. Il parraine des artistes locaux et s’affiche dans les concerts de zouglou et de coupé-décalé, toujours vêtu avec une extravagance assumée. Son cousin, Morou Ouattara, partage son goût pour la fête. Ancien comzone de Bouna devenu membre des Forces spéciales, il aime se prélasser au Live 7, un établissement qui appartient à Salif Traoré, alias A’Salfo, du groupe Magic System.
La question de l’avenir des comzones s’est posée dès avril 2011. L’ONU et les chancelleries occidentales ont fait pression pour qu’ils quittent l’uniforme ou qu’ils soient envoyés à l’étranger comme attachés militaires, mais Alassane Ouattara pouvait difficilement risquer de se les mettre à dos. Il ne tenait pas non plus à s’aliéner ces hommes en qui il a confiance. Ils ont donc intégré la nouvelle armée, issue de la fusion des factions rebelles et des Forces de défense et de sécurité (FDS) qui, bon gré mal gré, ont fait allégeance au nouveau chef de l’État. Ensemble, ils constituent les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), et les hommes qui étaient placés sous le commandement des comzones y sont toujours nombreux (entre 3 500 et 4 000, selon les estimations). Ils sont nombreux aussi dans les Forces spéciales, créées du temps où Guillaume Soro était Premier ministre.
De g. à dr. : Issiaka Ouattara, connu sous le nom de Wattao ; Gaoussou Koné, alias Jah Gao ;
Fofié Martin Kouakou ; Zakaria Koné ; Chérif Ousmane, surnommé Papa Guépard,
Zoumana Ouattara, autrement dit Zoua ; Ousmane Coulibaly, dit Ben Laden.
© Nabil Zorkot pour J.A. ; Kambou Sia/AFP ; Luc Gnago/Reuters
Promotions tous azimuts
Pour les chefs, les promotions se sont succédé dès août 2011. Surnommé Papa Guépard, Chérif Ousmane, ancien comzone de Bouaké, a été fait commandant en second du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Le redouté Fofié Martin Kouakou n’est plus le comzone de Korhogo, dans l’extrême-nord du pays, mais il y dirige désormais la Compagnie territoriale (CTK). C’est à lui qu’avait été confiée la surveillance du prisonnier Gbagbo avant que celui-ci ne soit transféré à la prison de la Cour pénale internationale (CPI). Quant à Losséni Fofana, l’ex-comzone de Man, plus connu sous le nom de Cobra, il dirige le Bataillon de sécurisation de l’Ouest (BSO). En septembre 2012, Ousmane Coulibaly, autrefois chargé d’Odienné et affublé du sobriquet Ben Laden, est bombardé préfet de la région côtière de San Pedro. En novembre de la même année, Zakaria Koné, qui avait été le maître de Vavoua-Séguéla avant Wattao, est devenu le commandant en second du Bataillon d’artillerie sol-air (Basa) à Akouédo.
Recasés dans l’appareil de l’État, les anciens chefs de guerre aspirent aujourd’hui à une nouvelle légitimité et prônent l’ordre moral. Ils se sont entourés de communicants et de conseillers financiers. Certains, presque analphabètes du temps de la rébellion, ont pris des cours de français, quand d’autres ont choisi de se faire coacher. Mais les organisations de défense des droits de l’homme les accusent toujours d’exactions et souhaitent qu’ils rendent des comptes pour leurs actes passés. Même chose pour la CPI, qui a annoncé l’année dernière qu’elle allait enquêter sur tous les crimes commis depuis le 19 septembre 2002, date de la tentative de coup d’État contre Gbagbo. Les comzones pourraient-ils un jour se retrouver dans le box des accusés ? « Ça n’est pas près d’arriver, répond un proche du chef de l’État. Mais Alassane Ouattara a transmis des consignes très claires pour qu’ils rentrent dans le rang et qu’ils ne fassent plus de vagues. »
Dans le collimateur des ONG
Hormis quelques cas isolés, il semble avoir été entendu. Chérif Ousmane, Losséni Fofana et Fofié Kouakou, tous trois dans le collimateur des ONG, fuient les médias. Dans le camp d’Akouédo, dont il dirige le premier bataillon d’infanterie depuis août 2012, le commandant Zoumana Ouattara (alias Zoua) fait profil bas et dit vouloir se concentrer sur son travail. L’ancien comzone de Mankono (Centre-Nord) est calme et affable. Proche de ses hommes, il partage leurs repas et s’enorgueillit de leurs victoires sportives. Dans un français châtié, il explique que « si des opérateurs économiques ont été mis à contribution », c’est qu’il fallait lutter contre la discrimination dont était victime le Septentrion.
Le 11 avril 2011, c’est Wattao, l’ancien comzone
de Vavoua-Séguéla, qui aide le prisonnier Gbagbo
à enfiler une chemise au Golf Hôtel. © AFP
Gagaoussou Koné : un grand mystique
À Abobo, où il est désormais le commandant en second du bataillon des commandos parachutistes, Gaoussou Koné reprend les mêmes arguments. Surnommé Jah Gao, un pseudonyme dont l’a affublé son ami d’enfance, le reggaeman Tiken Jah Fakoly, il est l’ancien comzone de la région de Boundiali (Nord-Ouest). Il fait partie de ceux qui, le 24 décembre 1999, ont destitué le président Bédié – l’un des rares encore en vie. Une longévité que ce grand mystique croit tenir de ses gris-gris et autres amulettes dont il ne se sépare jamais. Lui aussi est satisfait de sa nouvelle affectation. Et lui aussi aime les paillettes : il a épousé la chanteuse Affou Keïta, dont les autres comzones aiment moquer les goûts réputés dispendieux.
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