Exclusif/ Crise au FPI : Et si Sangaré Abou Drahamane était le problème et la solution à la fois ?
(Une analyse de Philippe Kouhon)
Cela fait bientôt trois semaines que persiste un différend au sein du Front populaire ivoirien (FPI). Un véritable front s’est levé contre le président du parti, Pascal Affi Nguessan. Et les contestataires ne manquent pas de tribune pour se faire entendre. Par presses interposées, les Pro-AFFI et Pro-Akoun se renvoient invectives et autres démesures sans pitié et au grand-dam des millions de militants de base qui semblent égarés à jamais dans ce nouveau conflit frontiste.
Officiellement, tout serait parti du réaménagement technique opéré par le président du parti le 4 juillet dernier et qui a vu plusieurs pontes rétrogradés. L’ex secrétaire général du parti, Laurent Akoun s’est vu confier désormais le poste de 5e vice-président chargé de la vie du parti. La première dame, Simone Ehivet Gbagbo garde son rang de 2e vice présidente du FPI, mais cette fois sans attribution. Aussi annoncé en grande pompe, le poste de Secrétaire national chargé des actions pour la libération de Laurent Gbagbo reste toujours à pourvoir. Enfin c’est désormais Mme Agnès Monnet, une inconnue selon les détracteurs d’AFFI, qui est bombardée secrétaire général du parti. Elle est également porte parole. « Le Secrétaire Général du Parti est chargé de l’exécution de la présente décision qui prend effet à compter de la date de signature et qui sera publiée partout où besoin sera (…) Toute disposition antérieure contraire est nulle et de nul effet » a conclu la décision N°005-2014/PP/FPI du 04 Juillet 2014 portant réaménagement technique du Secrétariat général du Front populaire Ivoirien. Une décision motivée selon Pascal Affi Nguessan par « les nécessités d’organisation et de redynamisation du parti » comme le lui confère l’article 42 des Statuts du FPI : « le président nomme les membres du secrétariat général qu’il soumet à l’investiture du Congrès. Il détermine leurs attributions. Il procède au remplacement des membres défaillants du secrétariat général. Toute nouvelle nomination au secrétariat général entre deux congrès n’est pas soumise à l’investiture du Congrès. Il nomme les représentants du parti à l’étranger et procède à leur remplacement en cas de défaillance. Il est secondé dans sa tâche par les vice présidents » dixit, Statuts du FPI amendés et adoptés le 22 juillet 2001.
Le cas Simone Ehivet Gbagbo
L’ex première dame est détenue à Odienné dans le nord du pays depuis avril 2011, mais elle continue de garder la main sur le parti. Epouse de Laurent Gbagbo, député d’Abobo et 2e vice présidente du FPI, le nom de Simone Ehivet Gbagbo rime avec rigueur mais aussi avec ténacité. Et son dernier livre « femme d’honneur » est là pour le prouver. Elle a eu pratiquement le même parcours universitaire que le chef charismatique du parti. Elle était déjà engagée en politique lorsque ce dernier l’a connu. Elle n’est donc pas seulement une simple épouse, donc femme au foyer. Son engagement en politique est non négociable et elle rêve aussi d’atteindre le but de tout bon politique : la magistrature suprême. Celle qui a joué un rôle important dans la gestion du pouvoir du FPI en dix ans, a eu le temps de se tailler une robe de femme présidente. Connue pour son franc parlé, elle a réussi à créer autour d’elle un arsenal d’hommes et de femmes politiques. Et c’est sans surprise que malgré son incarcération, donc son absence comme plusieurs cadres du parti (exilés), elle seule, continue de figurer dans toutes les directions du parti. Brandie comme un chiffon rouge ou encore un drapeau rouge pour prévenir la marée haute sur les plages, en nommant Simone Ehivet Gbagbo comme 2e vice présidente chargée de la vie du parti, c’était à n’en point douter une manière de dire au pouvoir d’Abidjan et à la communauté internationale que celle-là est un pion essentiel pour le parti. Membre du tout premier cercle des fondateurs du FPI avec Laurent Gbagbo, Boga Doudou et Sangaré Abou Drahmane, la dame de fer comme l’appelle son entourage peut encore compter sur le rescapé de ce premier cercle, devenu par la force des choses, gardien du temple, Sangaré Abou Drahmane pour lui conserver sa place de leader au sein du parti malgré son absence et surtout l’absence de son camarade politique Laurent Gbagbo dont l’agenda judiciaire semble désormais compromis avec la confirmation des charges retenues contre lui par la CPI. Seulement Pascal Affi Nguessan n’est pas Sylvain Miaka Ouretto. Lui, qui aurait pu se souvenir de l’épisode de Marcoussis pour dégommer celle qui lui porta plusieurs paires de gifles, le temps de son absence comme ce fut le cas pour les cadres du parti exilés, a préféré jouer la souplesse. En maintenant Simone Ehivet Gbagbo comme 2e vice présidente du parti, mais cette fois sans attribution, AFFI savait qu’il jouait gros. Et si pour lui il fallait désormais une vraie équipe de terrain et qui ira à l’assaut du pouvoir sans handicap (car s’occuper de la vie d’un parti suppose qu’on est libre de tous ses mouvements), cette fois, la loi de la raison n’a pu prendre le dessus. Et très vite, les interprétations ont fait de AFFI, le roublard. Celui qui veut se venger de ses ennemis au sein du parti. Mais si tous ceux qui veulent aujourd’hui la peau d’AFFI ont une raison d’état, le silence du gardien du temple dans ce conflit frontiste semble coupable. Car ne nous a-t-on pas ressassé que rien ne se passe au FPI sans en avoir informé au préalable, Sangaré Abou Drahmane ? Question : Sangaré Abou Drahmane était-il informé de la formation de ce dernier secrétariat général à polémique ? Si oui, alors qu’il devrait savoir, lui le sage, le risque que ce changement pourrait en courir, pourquoi a-t-il laissé faire ?
Le cas Laurent AKOUN
Devenu secrétaire général du parti à la suite de la crise postélectorale lorsque Miaka Ouretto quitte ce poste pour la présidence intérimaire, depuis Juillet 2011, AKOUN Laurent perdra ce poste quand survinrent ses ennuis judiciaires en Août 2012. Il le retrouvera à sa sortie de prison en février 2013. Et si déjà avec Miaka Ouretto, l’aile dure du parti composée de Akoun, Douaty et autres cadres de premières heures du FPI sortaient leurs griffes et brandissaient à chaque carrefour le chiffon rouge de Laurent Gbagbo comme une ligne à ne pas franchir, cette attitude va continuer avec la reprise de la tête du parti par Pascal Affi Nguessan en Août 2013. Mais en réalité, le Gbagbo ou rien brandi par ces derniers était et est encore une belle façon de déterrer la hache de guerre qui pend entre AFFI et ses camarades depuis son élection à la tête du FPI au Congrès de 2001.
Selon plusieurs sources, AFFI Nguessan doit sa légitimité à la seule personne de Laurent Gbagbo et donc pas une légitimité populaire.
Mais à y faire attention, Laurent Akoun n’a pas lui aussi cette légitimité populaire qu’auraient certains caciques du FPI. Il fut certes secrétaire général du Syndicat national des enseignants du secondaire de Côte d’Ivoire (SYNESCI) de 1980 à 1983. Mais l’histoire retiendra qu’il a rejoint le Front Populaire Ivoirien seulement en 1993 après son emprisonnement en 92 quand il était alors membre du Parti ivoirien des travailleurs (PIT). Il ne peut donc y avoir de conflit d’ancienneté entre lui et AFFI qui lui a rejoint le parti de Laurent Gbagbo depuis 1988. Seulement, Akoun Laurent va vite faire ses classes au FPI et en bon syndicaliste, il va intégrer le groupe des radicaux. Devenu secrétaire général adjoint du parti depuis le Congrès de juillet 2001, Laurent Akoun ne franchira pas malheureusement ce cap là ou plusieurs de ses camardes occuperont des postes ministériels ou de Direction. C’est certainement un homme frustré depuis Laurent Gbagbo que Pascal Affi Nguessan vient là encore d’humilier en le rétrogradant au simple rang de 5e vice président chargé de la vie du parti. Mais là encore, Pascal Affi Nguessan savait que ce remaniement allait être source de conflit. Il a certainement avisé Sangaré Abou Drahmane, le gardien du temple. Pourquoi ce dernier a-t-i laissé faire les choses ?
La question de la vacance du poste de secrétaire national chargé des actions pour la libération de Laurent Gbagbo.
Loin de trouver une réponse à la tempête qui secoue actuellement le cocotier à la rose, notre démarche est de poser certaines questions dont les réponses pourraient nous aider à mieux cerner le débat FPI comme tous les autres débats qui intéresse la nation ivoirienne. Et c’est certainement dommage que ces questions se posent aujourd’hui. Mais comme le dit l’adage, mieux vaut tard que jamais.
En effet, depuis un certain temps et ce depuis le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Haye, nous nous posions en interne la question de la nomination d’un porte parole par l’ex président ivoirien. Alors qu’il n’est plus aux affaires, à notre sens, le seul porte parole d’un chef de fil d’une organisation sérieuse se devait être son parti politique. Surtout que la vie du parti est désormais suspendue à sa libération. Malheureusement, c’est encore un autre éloigné des affaires courantes du parti qui doit désormais porter le message du Chef, loin de la base de surcroit. Koné Katina, car c’est de lui qu’il s’agit est exilé au Ghana. Donc loin de la base tout comme Laurent Gbagbo. Et lorsqu’une question juridico-politique se pose, c’est bien lui qui est consulté en premier lieu par la défense de M. Gbagbo. Me Emmanuel Altit doit désormais partir de Paris à la Haye, puis venir prendre des témoignages à Accra, puis faire un détour à Abidjan pour d’autres témoignages cette fois du parti sans que les témoignages ne se recoupent. Si tel que Laurent Gbagbo est la carte d’identité du FPI, alors pourquoi y mettre plusieurs photos sur la photocopie qui devait être le parti. Et qui est malgré tout encore très bien organisé et structuré. Koné Katina est-il encore membre du FPI ? Si oui, alors pourquoi devrait-il agir en solo dans le cadre de la libération de Gbagbo ? Mieux quand ce dernier forme à son tour son gouvernement pour la libération du même Gbagbo avec des hommes tels que Bernard Houdain qui à son tour a le droit de se faire associer d’autres personnes, on est en droit de se demander qui finalement est le vrai interlocuteur pour la libération de Gbagbo. Qui détermine la stratégie et qui l’exécute ? N’est-il pas cette cacophonie qui aurait conduit Laurent Gbagbo au procès, là où le dossier semblait vide et qu’il aurait fallu un peu d’organisation sérieuse de la part des partisans de Gbagbo pour faire fléchir la CPI ?
Enfin si l’on peut mettre cet échec sous le sceau de la panique qui a gagné tout le monde y compris Laurent Gbagbo lui-même dès les premiers jours de sa chute, 3 ans après, le bon sens voudrait que tout le monde se ressaisisse et soit gagné par la lucidité. On comprendra ainsi tout le sens de la création d’un poste de secrétaire national chargé des actions pour la libération de Laurent Gbagbo. Mais là encore faut-il trouver l’homme de la situation. Existe-t-il au FPI quelqu’un qui a le profil à l’emploi ? Selon une source bien introduite, cette personne doit être un juriste, ou diplomate ou ancien ministre qui a le charisme et qui est un homme des réseaux. « Bien qu’il en existe au FPI. Tout le monde aurait décliné l’offre » nous confie notre source. Et d’ajouter : « si le poste est encore vacant et est toujours inscrit dans le nouveau secrétariat, c’est parce qu’il se peut que des personnes ressources se manifestent d’ici là ». Qui aurait donc bloqué ce poste ? Selon plusieurs sources interrogées il faudra regarder vers celui qui garde la clef du temple. C’est-à-dire Sangaré Abou Drahamane qui est consulté par tous avant toute prise de décision.
Et si Sangaré Abou Drahamane était le transfo du FPI ?
Selon la définition wikipedia, un transformateur électrique (parfois abrégé en transfo) est une machine électrique permettant de modifier les valeurs de tension et d’intensité du courant délivrées par une source d’énergie électrique alternative, en un système de tension et de courant de valeurs différentes, mais de même fréquence et de même forme. Il effectue cette transformation avec un excellent rendement. Il est analogue à un engrenage en mécanique. Ainsi défini on se demande si le gardien du temple n’est pas du même prototype. Car à y voir clair dans le marigot FPI Sangaré Abou Drahamane car c’est de lui qu’il s’agit serait celui par qui passent tous les courants et qui les diffuse ensuite vers qui de droit.
Né le 9 mars 1946 à M’Bahiakro centre de la Côte d’Ivoire, Sangaré Abou Drahamane est diplômé en doctorat d’état (option droit public). Il a fait sa première prison avec son camarde Laurent Gbagbo en 1971. Il va récidiver en 94 puis en 95 pour incitation à la violence, alors qu’il était Directeur de publication des quotidiens, La Voie et Actuel. On se souvient encore de sa bastonnade dans le bureau du ministre de la sécurité de Bédié d’alors, Gaston Ouassena Koné le 13 avril 95. Pris dans le bunker de Gbagbo en avril 2011, Abou Drahamane Sangaré sera expédié à Katiola dans le nord du pays. Il recouvrera la liberté le 5 août 2013.
Mais si ce sexagénaire est beaucoup cité dans le débat FPI, c’est bien parce qu’il fait partie du tout premier cercle des fondateurs du parti. Mais aussi parce qu’il bénéficie de la pleine confiance du guide, Laurent Gbagbo. Secrétaire général du FPI en 1987, Sangaré Abou Drahamane deviendra le président du congrès constitutif du FPI qui s’est tenu les 19 et 20 novembre 1988 à Dabou. Il est le 1er vice président du parti depuis 2001. « Au FPI rien ne se passe sans l’avis de Sangaré. Lorsque le président Affi Nguessan doit prendre une décision, il fait d’abord recours aux conseils sinon à la bienveillance de Sangaré Abou Drahamane » racontent les militants du FPI. Le rescapé du temps ou gardien du temple, appelez le comme vous voulez, Sangaré Abou Drahamane garde une main de fer sur le parti. Sur son parti, devrait-on dire. Et la tension qui traverse en ce moment le FPI ne saurait trouver sa source ailleurs. Selon nos investigations, C’est bien lui qui pilote encore ce qui reste du vrai Gbagboisme au sein du FPI. Et lorsque Pascal Affi Nguessan veut restructurer le parti frontiste, Sangaré Abou Drahamane a le sourire aux lèvres, car il sait le risque que ce dernier encourt mais le laisse faire. Lui qui reçoit les différents messages, qu’ils viennent de la Haye en passant par Accra via Nady Bamba, la seconde épouse de Gbagbo ou encore qu’ils viennent de Odienné, M. Sangaré Abou Drahamane tel un transfo électrique, sait les compresser pour ensuite les diffuser en direction de Affi Nguessan par personnes interposées (les autres membres de l’aile dure tels Akoun, Douaty, Tapé Kipré…). Il exécuterait cette tâche avec un excellent rendement, exactement comme le transformateur électrique.
Aussi, le tout puissant et indéboulonnable 1er vice président du FPI qui joue ainsi la carte de tous les courants qui traversent le parti en complicité avec son alter égo Laurent Gbagbo malgré l’absence de celui-ci pourrait aussi convoiter le poste de président du FPI. Car selon les textes, en cas de démission du président, celui-ci est remplacé par le 1er vice président. On comprend mieux pourquoi depuis que les faucons du parti appellent à la démission de Pascal Affi Nguessan, Sangaré Abou Drahamane fait le mort. En clair si l’homme a réussi à conserver toutes les énergies du parti, c’est bien pour qu’il les utilise pour lui-même plus tard. Il serait donc faux de croire que Abou Drahamane Sangaré roule pour Simone, Nady ou encore Gbagbo. Croit-il encore à un retour pressent de son camarade, ami et copain de lutte ? La réponse est non. Il serait donc naïf de penser que Sangaré Abou Drahamane est la solution de cette crise qui secoue actuellement le FPI. Peut-être le véritable problème !
Dans nos prochaines publications nous reviendrons sur les différents antagonismes au sein du FPI. Le conflit AFFI-Simone/ Affi-Douaty/ Affi-Akoun/ Affi-Miaka/ Affi-Gbagbo…
Philippe Kouhon/ journaliste d’investigation