Selon une lettre d’information spécialisée sur l’Afrique, Dumas, Vergès et un conseiller de Gbagbo auraient fait du lobbying auprès de Canal+ afin d’obtenir une interview de Michel Denisot. Des affirmations démenties par la production de l’émission. Il n’empêche : le traitement de faveur accordé par Canal+ à Gbagbo a provoqué des tensions à l’Élysée et au sein de la direction de la chaîne.
Après le Dalaï-Lama et Nicolas Sarkozy, Michel Denisot s’impose peu à peu comme l’intervieweur favori des grands de ce monde. Le présentateur du Grand Journal a ainsi décroché la première interview à un média français du président sortant de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo
Rien que du très banal pour Canal : « Nous sommes passés par les voies traditionnelles. Laurent Gbagbo a de multiples conseillers à Paris, nous les avons contactés, ils nous ont mis en lien avec les conseillers présents en Côte d’Ivoire. C’est Michel Denisot qui a eu l’idée de cette interview. Il a toujours besoin d’adrénaline. C’est l’école Mourousi » a expliqué la chaîne au quotidien gratuit 20 Minutes.
Une version des faits bien différente de celle présentée par La Lettre du Continent, une publication indépendante spécialisée sur l’Afrique qui laisse entendre que « les avocats Jacques Vergès et Roland Dumas, ainsi que le conseiller de Gbagbo, Bernard Houdin aurait fait du lobbying » auprès de Canal+ pour obtenir un passage de Laurent Gbagbo au Grand Journal.
Contacté par Marianne 2, Frédéric Lejeal, rédacteur en chef de la Lettre du Continent, confirme « de source sûre » que l’initiative de l’entretien émanait bien de l’entourage de Gbagbo, notamment Bernard Houdin, son conseiller spécial à Paris.
Même le journal Télé 2 semaines peu soupçonnable de parti pris dans les questions africaines affirmait que « Laurent Gbagbo a décidé de faire un face à face avec Michel Denisot dans Le Grand Journal de canal+ ». L’homme politique africain a lui-même eu l’idée de cette interview, l’hebdomadaire mentionnant « l’invitation de Laurent Gbagbo à venir l’interroger dans son palais présidentiel ».
Des affirmations démenties par la production du Grand Journal
s allégations démenties par la direction de la communication de Canal Plus et la production du Grand Journal. Producteur de l’émission, Laurent Bon, qui a accompagné Michel Denisot en Côte d’Ivoire, parle de « purs fantasmes » : « Nous avons, en effet, contacté Bernard Houdin, qui est un relais de Laurent Gbagbo en France, pour préparer notre arrivée, la rencontre, etc. Mais nous n’avons eu aucun contact avec Jacques Vergès, par exemple. Nous aurions voulu l’inviter au Grand Journal mais il n’a jamais répondu à nos sollicitations. Je crois même qu’il n’aime pas beaucoup l’émission. Il a préféré aller chez Taddeï sur France 3 et dans l’émission d’Alessandra Sublet sur France 5. Donc toutes ces affirmations de lobbying sont fausses. C’est Canal + qui a pris l’initiative de cet entretien. »
Toujours selon la production du Grand Journal, pour des conditions de sécurité « nous n’aurions sans doute pas pu faire Ouattara d’abord et Gbagbo ensuite. Les conditions sur place sont difficiles, il fallait faire des choix ». Le président reconnu par la communauté internationale a donc été interviewé en duplex depuis Paris et n’aura pas bénéficié du même temps de parole que Gbagbo. Sans l’intervention de sa conseillère en communication Patricia Balme et de la cellule africaine de l’Elysée, il n’aurait vraisemblablement pas eu accès aux antennes de Canal+. Prime à la sécurité, certes.
D’un point de vue purement symbolique, c’est à Gbagbo que Canal-Plus a choisi de dérouler le tapis rouge présidentiel et le décorum attenant: 25 minutes de face à face avec son présentateur vedette au palais présidentiel, le drapeau national déployé.
Sarkozy n’aurait pu rêver mieux. En revanche, Michel Denisot s’est montré bien plus piquant avec Gbagbo qu’il ne l’a été lors de ses entretiens avec le président de la République, interpellant Gbagbo sur le fait que l’ONU avait validé les résultats des élections, les conditions d’ouverture de discussions avec Ouattara, le blocage du pays, la mort de nombreux civils, citant les adversaires de Gbagbo, etc.
Un certain malaise au sein de la direction de la chaîne
Reste une question : pourquoi Gbagbo a accordé son unique interview au Grand Journal – dont l’audience est sans rapport avec celle des 20 heures de TF1 ou de France2 – , attendant l’arrivée de Michel Denisot alors que des journalistes français sont sur zone depuis des semaines ?
Plusieurs hypothèses s’affrontent :
– Selon Canal-Plus, Michel Denisot est une personnalité très connue et très populaire en Côte d’Ivoire compte tenu de sa carrière dans le monde du…football du temps où il présidait aux destinées du PSG triomphant.
– Selon le site ivoirien Lebanco.net : « En investissant les médias occidentaux à forte audience internationale, notamment Canal+, Laurent Gbagbo franchit ainsi une étape de plus dans sa volonté de se défendre et ne pas se laisser « usurper » le pouvoir aussi facilement. A noter que « Le Grand Journal » est aujourd’hui un passage de plus en plus incontournable pour les politiques français comme étrangers. »
– Dernière hypothèse : Canal + a des intérêts très importants en Afrique par le biais de sa filiale Canal + Afrique qui a mis en place une stratégie ambitieuse pour asseoir sa position de leader de la télévision payante francophone, gagner de nouveaux abonnés (400.000 à ce jour) et de nouveaux marchés. Canal + aurait tout à gagner à se présenter comme une chaîne active et présente sur le continent africain.
L’interview de Denisot n’a pas fini de faire des vagues, du quai d’Orsay à l’Élysée, où les privilèges de traitement accordés à Gbagbo par la chaine cryptée sont très mal passés selon Renaud Revel, et même jusqu’à la direction de Canal+ où règne un certain malaise. Laurent Gbagbo a, en effet, fait suspendre depuis décembre et jusqu’à nouvel ordre les chaînes TV5 et France 24, jugées pro-Ouattara. Une décision pas vraiment du goût de Canal+. Ces chaînes sont retransmises sur… Canal+ Afrique.
Régis Soubrouillard – Marianne | Vendredi 14 Janvier 2011