L’information avait fait l’effet d’une bombe. Elle a circulé d’abord sous forme de rumeur, avant d’être confirmée par les médias internationaux. Le Dr Balla Keïta venait d’être froidement assassiné à sa résidence au Burkina Faso, dans la nuit du 1er au 2 août 2002. Qui avait intérêt à tuer cet homme qui a marqué la vie politique ivoirienne par ses propos incisifs ? Pourquoi une fin aussi tragique ? Si pour l’instant, il est difficile de répondre à ces interrogations, une chose demeure cependant certaine. Il gênait. Balla Keïta s’était exilé au Burkina Faso suite à la bastonnade dont il avait été l’objet pendant les violentes manifestations d’octobre 2000. Après un séjour à la polyclinique Sainte Anne Marie (Pisam), il s’est envolé pour l’Europe, plus précisément en Belgique pour des soins plus appropriés. Bénéficiant d’un statut de réfugié politique, il s’est installé au Burkina Faso où il ne manquait pas de mettre le pied dans le plat politique ivoirien. Au pays des hommes intègres, il habitait une villa officielle des hôtes de l’Etat dans un quartier résidentiel, lorsqu’il a été poignardé à mort dans la nuit du 1er au 2 août 2002. Les premiers éléments issus de l’enquête faisaient croire à un crime passionnel. Une note que les enquêteurs disent avoir découvert sur les lieux du crime mentionnait ceci : « Tu es séropositif. Tu m’as poignardé dans le dos en me transmettant le Sida, je te poignarde aussi dans le dos ». Une note remise en cause après l’autopsie du corps dont les résultats sont formels : « le signe sérologique de la victime est négatif ». Dès lors, les enquêteurs explorent d’autres pistes. Ils privilégient la piste d’un assassinat politique. Si aujourd’hui, huit ans après ce crime, les parents du défunt attendent que la lumière soit faite, il convient de savoir qui était Balla Keïta. Père de trois enfants, il est né en 1938 à Korhogo, de l’ethnie sénoufo (nord de la Côte d’Ivoire). Jeune étudiant, il crée, avec ses compagnons, le Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci), une structure proche du parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci, ex-parti unique du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny).Titulaire d’un doctorat en médecine-vétérinaire en 1973, il est appelé par le président Houphouët-Boigny. Dans les années 80, il occupe, à plusieurs reprises, des portefeuilles ministériels. Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (1981-1983), ministre de l’Enseignement primaire (1983-1986), de l’Enseignement secondaire (1986-1990). Démis de ses fonctions en 1992 à la suite d’une grève des étudiants, il est nommé conseiller spécial du président Henri Konan Bédié en 1993. Ces rapports avec celui-ci se détériorent et le 14 octobre 1998, il quitte la Présidence pour ses prises de position contre l’ « Ivoirité » prôné par Bédié. Il se consacre dès lors à ses activités au conseil exécutif de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), où il représente la Côte d’Ivoire. En 1999, après le coup d’Etat du général Robert Gueï en décembre, il retrouve une nouvelle jeunesse politique : il est nommé conseiller à la Présidence, chargé de la politique et des cultes. Ses prises de position et son franc-parler « piquent » autant ses adversaires que ses partenaires. En octobre 2000, à la suite de la présidentielle, le régime des militaires est balayé. Balla Keïta est pris à partie par des soldats et agressé. Il souffre d’un traumatisme crânien. Il s’exile en Belgique, avant de regagner en mars 2001 la capitale burkinabé, Ouagadoudou, où il bénéficiera d’un statut d’exilé politique. En mai 2002, il est nommé secrétaire général de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (Udpci) du général Robert Gueï, avant d’être assassiné quelques mois plus tard. Selon l’un de ses plus proches collaborateurs, qui a gardé l’anonymat, la mort de Balla Keïta ne restera pas impunie. « En Afrique, les morts ne sont pas morts et ceux qui l’ont assassiné devront payer un jour », nous a confié au téléphone, hier vendredi 30 juillet, l’ami du défunt. Pour lui, Balla Keïta aura marqué de son empreinte, la vie sociopolitique. C’est pourquoi il a invité les Ivoiriens à se souvenir de cet homme qui aura rendu beaucoup de services aux parents d’élèves.