Lors de la célébration de la fête nationale française le 14 juillet dernier, la Côte d’Ivoire était au cœur des commentaires pendant le défilé militaire sur les champs Elysées. A cette occasion et devant les caméras de la télévision française, le voile a été levé sur l’action de la force licorne : Il a été explicitement reconnu que la normalisation de la crise post-électorale porte la marque d’une inspiration de l’ex-colonisateur. A celle-ci s’est greffée par la suite, une conjoncture dramatique où règne encore la peur d’être tué ou arrêté en cas de non soumission aux nouvelles autorités ou encore pour propos jugés subversifs, exemple : Arrestation de Monsieur AFFI NGUESSAN ex-premier ministre de Côte d’Ivoire, Hermann ABOA, journaliste à la radio télévision ivoirienne (RTI) pour incitation à la haine et atteinte à la sûreté de l’Etat, puis maintenant….le limogeage de BROU AKA Pascal de la direction de la RTI pour n’avoir pas été présent à l’aéroport le 31 juillet lors du retour des USA de Mr OUATTARRA.
Alors la conclusion de cette crise post-électorale, quand bien même elle soit heureuse du fait de la fin de la guerre, ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur l’esprit démocratique de ceux qui ont été installés au pouvoir. Près de quatre mois après leur prise de fonction, ces nouvelles autorités devraient moins tenir lieu de politique, les intimidations, les accusations ou arrestations permanentes de tous ceux qui ont servi l’ancien régime pour passer à l’essentiel. Cela signifie aux actions qui chaque jour, rapprochent un peu plus le pays de l’aspiration qui a fait l’objet d’une lutte émancipatrice de nos parents et grands parents dans les années 40-50 pour la liberté du peuple.
Ce peuple est une forme sociale de la démocratie. Enfermer ou punir ceux qui parlent en son nom comme c’est aujourd’hui le cas en Côte d’Ivoire, c’est enfermer la démocratie. Ce petit jeu politique ne fait au contraire que fournir des arguments pour dénoncer les tendances belliqueuses d’une majorité gouvernementale qui semble se nourrir des peurs, des craintes de la population, tant et si bien qu’il est légitime de s’interroger : Peut-on aujourd’hui oser critiquer les nouvelles autorités de Côte d’Ivoire sans risquer d’être arrêter ou tuer ? Rappelons que dans cette majorité gouvernementale se fond l’ex-rébellion qui essaye désespérément de se donner un visage d’ange après avoir tenté de s’approprier la victoire militaire de la France sur la Côte d’Ivoire. Pour autant, son instinct de tueur continu de lui jouer de sales tours à intervalles réguliers comme ce fût le cas à Saïoua, village situé à l’ouest du pays et dans bien d’autres régions sous prétexte de recherche de caches d’armes.
La conséquence de tout ceci est que la société ivoirienne ne fait plus corps ; elle est complètement disloquée par son gouvernement et sa nouvelle armée (FRCI) que de mauvaises langues qualifient déjà d’armée des « Frères Cissé » en référence à l’appartenance communautaire.
Sortir de cette médiocrité de notre culture gouvernementale exige d’abord du chef de l’Etat qu’il soit avant tout le président de tous les Ivoiriens ; cela pour rassembler le plus largement possible afin de donner au pays une réelle chance de retrouver le rythme de croisière de son développement dans un monde tout à fait nouveau. Ce n’est pas en maintenant une stratégie qui a souvent pour cause et toujours pour effet de simplifier les problèmes à l’excès par un langage accusateur de l’ancien régime que nos dirigeants actuels y parviendront.
En se réclament d’Houphouët BOIGNY, ils devraient commencer par situer nos problèmes et chercher à les trancher calmement dans toute leur complexité. A contrario, cette façon de faire dans le populisme pourrait être perçue comme le symbole d’un pouvoir autocratique en détresse ou encore l’expression d’un désenchantement politique du fait de la mal-représentation et de la non-résolution des problèmes sociaux nés de la crise post-électorale. Une appréciation factuelle de la crise depuis la tentative du coup d’état du 19 septembre 2002 démontre que sa gestion pitoyable par la communauté internationale, faite de conspirations, d’intrigues, a conduit à cette guerre de Mr SARKOZY contre l’ancien régime en provoquant ce qu’elle devait empêcher : la violence, la haine de l’autre. Nier cette réalité en accusant un camp de tous les maux de la Côte d’Ivoire, c’est comme essayer de labourer la mer.
L’autre difficulté est de croire que la qualité des rapports avec ceux qui ont contribué à l’installation au pouvoir de monsieur OUATTARRA peut susciter une cohésion sociale ; ce qui expliquerait ses voyages de remerciements dans les principaux pays qui l’ont soutenu. Il est difficile de résister à la tentation de rappeler que monsieur OUATTARRA est d’abord président de la République de la Côte d’Ivoire et qu’en tant que tel, le peuple entier apprécierait qu’il s’occupe un peu plus des problèmes sociaux immédiat du pays avant tout ; notamment en se rendant à DOUEKOUE pour réconforter la population qui aujourd’hui encore souffre du traumatisme subi par les massacres que nous savons. C’est par des actes de cette nature qu’un président peut construire la cohésion d’une nation meurtrie.
Pour ceux qui sont étourdis par le vertige de l’orgueil en voyant le président revenir de ses voyages avec des promesses d’agent, il est bon de préciser que ce qui est au cœur de la crise ivoirienne me semble t-il, c’est la recherche d’une société plus égale et que l’argent ne fait pas tout. C’est d’ailleurs sur la base de l’injustice que l’indépendance est arrivée grâce à la lutte menée par les planteurs de Côte d’Ivoire de 1944 à 1946 via le syndicat agricole africain. L’histoire nous apprend que le président HOUPHOUËT s’est appuyé par la suite sur une élite de petits et grands planteurs pour développer la Côte d’Ivoire, si bien que cette réalité peut être considérée comme l’élément fondateur de notre identité. Au besoin, Mr HOUPHOU¨RT n’hésitait pas également à protester contre la spéculation des cours de nos produits comme ce fût le cas en juillet 1987 lorsqu’il bloqua les exportations du café et du cacao. Notre vitalité économique provenait donc de la profondeur de nos régions en reposant sur le travail de la terre avec au centre de l’action, les hommes. Aujourd’hui, on nous parle de « faire des affaires », alors on empreinte à tout va. Mais ces prêts faciles qui sont en réalités des dettes gagés sur nos matières premières, ne sont-ils pas aussi le meilleur moyen de nous contrôler ? Mr OUATTARRA sera-t-il d’un tempérament assez fort pour s’affranchir si besoin est, de tout ceux dont il est redevable de quelque chose ? Quoi que fasse Mr OUATTARRA, ne sera-t-il pas toujours l’otage de Mr SARKOZY ?
Ces questions sont révélatrices du gouffre d’incertitudes dans lequel se trouve désormais la Côte d’Ivoire. Gouffre qui s’approfondi un peu plus encore avec les récentes promotions de chefs rebelles (Ousmane Chérif, Martin Fofié Kouakou et Fofana Losséni) dont selon leurs propres mots, « Mr OUATTARRA reconnaît par cet acte, leur mérite » d’avoir participé au massacre des Ivoiriens en tant que commandants de zones. Dès lors, ces nominations deviennent plus compréhensibles à l’esprit dans la mesure où elles permettent à Mr OUATTARRA de tenir en équilibre sur son fauteuil présidentiel. Cependant, on peut facilement imaginer l’état d’esprit des soldats que ces nouveaux commandants auront à diriger et qui dans le contexte de la légitime défense après l’agression du pays ce 19 septembre 2002, ont fait leur métier en défendant au péril de leur vie, la Côte d’Ivoire et sa constitution. Dans la promiscuité de leur vie quotidienne, la probabilité est grande que ces soldats de la nouvelle armée rebaptisée FRCI, finissent par se détester les uns les autres. De fait, c’est très justement que le premier ministre Guillaume SORO s’est lui-même désigné pour surveiller cette armée comme du lait sur le feu.
S’agissant de la situation du gouvernement d’union, elle n’est pas plus rassurante même sans les membres du parti de Mr GBAGBO. Il y a tant d’hypocrisie, de lâcheté, de bassesse avec ces girouettes de politiciens qui changent suivant le vent que personne n’y croit véritablement ! Sentimentalement, il ne serait pas étonnant que certains restent encore fidèles à Mr GBAGBO, mais politiquement, ils trahissent. Telle une boite à scorpions, la Côte d’Ivoire vit la peur au ventre sous un curieux régime très pimenté qui peut chauffer à tout moment. Du reste, Mr SARKOZY l’a bien mesuré en décidant de maintenir sa base militaire en Côte d’Ivoire en soutien à son « pote ». Et dans cette atmosphère chargée de quelque chose d’insaisissable, une réflexion nous vient naturellement à l’esprit : les ex-colonies existent en tant que pays indépendants, mais doivent-elles avoir accès à la liberté de façon plénière ? Quant au peuple, assis les coudes appuyés sur les genoux et le menton soutenu par les mains, il fixe l’horizon en essayant de dépasser ce paysage dégradant de premier plan. Prenant alors conscience que les rêves n’existeraient pas sans les cauchemars, il semble déterminé à aller le plus loin possible, le plus rapidement possible et le plus résolument possible vers cette liberté et ce bien-être dont la flamme ne cesse de brûler en lui.
Jean KIPRE
Membre du bureau de représentation
du parti écologique ivoirien en France (BRPEI)