La date du 11 avril 2011 restera dans l’histoire de la Côte d’Ivoire comme étant celle de l’assaut des forces de l’ONU sur la résidence présidentielle ; assaut qui mené sous le commandement de l’ex-colonisateur, a permis l’arrestation devant les cameras du président sortant Laurent GBAGBO par les forces pro-Ouattara, président reconnu par cette communauté internationale.
Cette vérité qui a entrainé de fait, l’installation au pouvoir de Mr. OUATTARA par la force et une violence d’Etat, le tout dans une intense atmosphère où plane encore l’odeur de la mort, donne le sentiment de l’achèvement par la communauté internationale de la tentative de coup d’état du 19 septembre 2002.
Jamais une opération de cette nature n’avait nécessité autant d’implications sous des formes diverses, avec autant de moyens ! Il ne serait donc pas étonnant qu’elle batte tous les records par sa longueur (depuis 2002) et par son coût. Concernant l’Afrique subsaharienne, c’est une opération qui a également impliqué le plus de présidents, (y compris celui des USA), le plus de chanceliers, la communauté européenne et peut être aussi le plus de moyens logistiques etc. Pour un peu que cela soit homologué, nul doute qu’elle aurait figuré dans le livre Guinness des records.
Nous étions donc face à un problème majeur de légitimité ; ce qui explique que les nouvelles autorités ivoiriennes aient voulu une cérémonie d’investiture aussi solennelle pour d’une certaine façon, faire reconnaitre « mondialement » Mr. Ouattara comme président de la République de Côte d’Ivoire. Certes, dans cette guerre qui est aussi celle de la communication, le message martelé pour justifier l’intervention par la force mécanique de la France, est qu’elle l’a fait à la demande de l’ONU. Mais fort heureusement, la capacité d’analyse de gens ordinaires que nous sommes ne peut être ainsi occultée au point de penser que personne n’a compris que tout cela a été orchestré ! Cela pour la simple et bonne raison que c’est la France qui s’est taillée sur mesure, la résolution 1975 avant de la présenter aux Nations-Unies avec le soutien du Nigéria. Dans un esprit d’échange de bons procédés, le Nigéria qui n’a jamais été aussi courtisé par la France, signe ainsi une garantie du soutien de la France pour l’attribution d’un siège à l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU, face à son grand concurrent l’Afrique du sud. Pour ainsi dire, la France a bien programmé sa légitimité pour le bombardement du cœur de la souveraineté ivoirienne. Il s’agit maintenant pour elle d’avoir le courage de l’assumer.
Partant de là, il est plus aisé de comprendre que les grandes puissances ayant pris la mesure de la fin de la guerre froide et de la chute brutale du communisme en occident, sont désormais dans la dynamique de faire de l’économie libérale, une religion quasi internationale. Dans ce contexte, qui plus que Mr. Ouattara, ancien haut responsable du FMI pouvait jouer ce rôle dans cette Afrique où la Côte d’Ivoire est une locomotive économique de la sous région ? Nous étions donc bel et bien dans un cas de figure où Mr. Gbagbo devait disparaître afin que Mr. Ouattara prenne la place. Le grand souci, c’est que tous nos repères en matière de gestion d’une crise à l’échelle internationale qui se trouvent totalement brouillés. Le droit international semble ne pas concerner l’Afrique, chaque grande puissance faisant un peu à sa « sauce ». Dans ce cas dramatique et pathétique de la Côte d’Ivoire, ces agissements dans l’esprit de » la raison du plus fort est toujours la meilleure » , ont eu de graves conséquences sur la réalité constitutionnelle du pays : Nous nous sommes retrouvé dans une situation inédite où un président qui n’était pas encore reconnu par la Côte d’Ivoire pour cette raison qu’il n’était pas assermenté par le Conseil constitutionnel, a procédé à des nominations d’ambassadeurs, décidé de ne pas payer les fonctionnaires, demandé la paralysie de l’économie ivoirienne, s’est fait livrer des prisonniers en décidant tout seul de leurs lieux de détention etc. Aujourd’hui encore, la Communauté internationale semble lui obéir au doigt et à l’œil ! C’est certain, l’ONU vient de valider le droit de protéger les populations civiles en allant au delà du simple droit d’ingérence. Reste maintenant à intervenir également en Syrie au nom de ce même droit de protection des peuples, autrement cette action musclée de la France en Côte d’Ivoire sous le couvert de l’ONU peut apparaître comme un ultime coup de pouce de Mr. Sarkozy à son ami pour lui donner le pouvoir sur un plateau d’or.
Les armes s’étant maintenant tues dans cette Côte d’Ivoire meurtrie, tout le monde s’accorde à dire que la vérité doit être établie et la justice doit être faite pour passer à la réconciliation. Dans un discours public au mois d’avril, Mr Ouattara a eu la simplicité de croire qu’un inventaire de tous les crimes et exactions survenus dans la période post-électorale suffit à cela. Difficile de ne pas l’interpréter comme une tentative de diversion, sachant que le peuple qui a été attentif à cette crise, sait que celle-ci est un drame en plusieurs actes qui ont entre eux, un lien de cause à effet. En conséquence, ils ne sont pas détachables les uns des autres : C’est un « package » dans lequel les évènements de la période post-électorale ne sont que la résultante de tout ce qui s’est passé depuis la tentative du coup d’état du 19 septembre 2002. Faut-il rappeler qu’au cours de cette tentative de coup d’état, un ministre d’état (Boga DOUDOU), un ancien président de la République (MR GUEÏ Robert) ont été assassinés ? Ne passons pas non plus sous oubli les nombreux policiers et gendarmes atrocement égorgés ainsi que tout le paquet d’anonymes morts, coupables d’appartenir à une ethnique considérée comme ennemie. Existe t-il une seule raison pour laquelle ces crimes depuis la période de septembre 2002 devraient rester impunis ? Pour ce pays qui a l’air d’une sourie sortant des pattes d’un chat, cette exigence de vérité et de justice ne peut pas être complète sur une période sélective des exactions et crimes. La réconciliation et la paix durable ne sont possibles que sur la base d’une vérité PLEINE et ENTIERE des faits depuis le commencement, c’est à dire septembre 2002. Alors concernant les supputations sur la responsabilité de Mr Gbagbo, il est vrai que dans le système présidentiel qui est le nôtre, tout acte commis par les forces de l’ordre l’engage en tant que chef de l’Etat ; mais la question récurrente sera toujours celle-ci : La Côte d’Ivoire avait-elle le droit de se défendre face à une guerre qui lui a été imposée ? En complément de cette question, peut-être que l’ONU devrait nous préciser quelle devrait être l’attitude d’un Président soumis à la rigueur d’une guerre de cette nature…
Pour l’heure, une grande inquiétude pèse sur la Côte d’Ivoire ! L’intervention du Maître fouettard a reconfiguré la vie sociopolitique. Une partie de la classe politique tient désormais le pays, soutenue en cela par Mr Sarkozy et ses pairs de l’occident. Dans la nouvelle armée de Côte d’Ivoire, le parti au pouvoir dispose maintenant d’un contingent de soldats entièrement à sa dévotion, car issu de son ancienne armée de rebelles. Il a également une armée paramilitaire composée de chasseurs traditionnels nommés « Dozo » qui ont combattu aux côtés des rebelles durant cette crise. La force de ce parti repose aussi sur sa chaine privée de télévision (TCI), en plus de la télévision d’Etat qu’il a à son service. Dans la perspective de l’élection législative et municipale, c’est tout le jeu démocratique dans ce pays qui court le risque d’être bafoué. Dans cette atmosphère insupportable de règlements de compte, la délation a fait ici et là son effet chez certaines anciennes autorités du pays proches du régime précédant. Ainsi, la peur d’être trahi par leur propre ombre dans cette chasse aux membres proches du président déchu a poussé chacun à y aller de sa petite cérémonie d’allégeance avant même que Mr Ouattara ne soit reconnu officiellement comme Président de la République : Le choix cornélien de l’allégeance ou la mort en somme !… Quant aux moins téméraires, ils ont préféré l’exil ou le jeu de cache-cache en forêt. Voilà l’état de la situation dans laquelle la question de la réconciliation nationale se pose de plus en plus. Comment ne pas craindre qu’elle ne soit une mise en scène dictée par le Maître fouettard et ses « potes » de la Communauté internationale, pressés d’en finir avec les assassinats et les arrestations arbitraires qui se poursuivent après l’arrestation du Président déchu qu’ils tenaient pour le seul coupable de tous les malheurs de la Côte d’Ivoire ? Dans tous les cas, La mort d’IB (Ibrahima Coulibaly) lâchement assassiné et les révélations d’Amnesty internationale sur les exactions commises dans ce pays permet le doute et les arguments pour légitimer les coups de fouet du grand Maître ne suffisent plus. Ce mandat de protection des populations civiles largement outrepassé avec la complicité de l’ONU, ajouté à la vérité des crimes commis depuis septembre 2002 établie dans un rapport d’une commission d’enquête internationale constituée en 2004 pose par ailleurs une autre interrogation: Pour quelles raisons ce rapport n’a jamais été pris en considération et publié par le Conseil de sécurité des nations unies ? Nous ne le saurons probablement jamais ! Concernant l’Afrique, cette façon de ne pas s’embarrasser de règles de droit restera donc la cause d’une profonde consternation qui discrédite cette organisation des nations unies.
En autorisant ces dérives destructeurs, elle favorise l’aggravation fragmentaire des communautés ivoiriennes qui à n’en pas douter, vont se replier sur elles-mêmes. L’espoir des composantes communautaires concernant « le vivre-ensemble dans la paix », véritable particularité de l’identité républicaine ivoirienne peut dès lors devenir impossible. Les déséquilibres qui risquent de s’ensuivre, peuvent freiner le développement de la Côte d’Ivoire. Il y a de quoi à être désabusé face à cette telle situation due à la faillite éthique du Conseil de sécurité des nations unies qui prétend défendre la démocratie par la guerre, d’autant plus qu’il s’en remet au Maître fouettard qui semble maintenant satisfait d’avoir à la primature et à la tête de l’armée ivoirienne, un « chef de gang », véritable tueur qui a fait la preuve de ses capacités en tant que tel tout au long de cette crise politique que certains veulent présenter comme une crise électorale.
La volonté de donner une image salvatrice à cette campagne de bombardement en terre de souveraineté ivoirienne, conduit bien évidemment à faire une offre politique dont le but est d’aboutir à un gouvernement d’union nationale dans un climat définitivement apaisé. Mais là où elle tourne déjà à la farce, c’est que près de la moitié de la population représentée par le président déchu, est tenue à l’écart pour ne pas dire enfermée. Dans ces conditions, il est certain que cette réconciliation nationale n’aura aucune réalité vivante. Et ce n’est pas en activant en quelque sorte la résolution 1721 pour remettre au goût du jour Mr. Banny, l’ex-premier ministre de consensus aux pouvoirs aussi nombreux qu’imperceptibles qui permettra le retour d’une paix des esprits en favorisant la cohésion nationale. Ce choix de Mr. Banny plutôt que celui d’un comité de sages représentant toutes les régions de Côte d’Ivoire pour piloter la commission « dialogue, vérité et réconciliation » est l’illustration d’une politique manœuvrière qui de l’intérieur via ce faisceau local, permet de soumettre les Ivoiriens tout en restant maître de leur destin.
Jean KIPRE
Membre du Bureau de Représentation du
Parti Ecologique Ivoirien en France (BRPEI)