Les armes se sont tues. Depuis un mois. Dosso est désarmé. Ceci commence non loin de votre domicile. Chez lui, tout est calme. Dosso fume. Une femme, couchée sur le divan, toussote. C’est sa fiancée. Une belle conquête de Bouaké. C’était au fort de la rébellion. L’enfant est réveillé, secoué par un accès térébrant d’une bronchite chronique. Mais Dosso fume placidement sa cigarette plantée en biais, l’autre sur le départ, derrière l’oreille. Un souci le tracasse : que faire, et où aller à présent que la guerre est finie ?
Dosso fume. Son briquet est là. Le cendrier aussi. Les mégots y sont écrasés. Abondamment. Il n’a pas oublié la boîte d’allumettes de secours. Il est méticuleux, lui… Mais que faire ? Avant la fin des hostilités, il avait pris goût à trois activités : piller, violer, tuer.
Les visiteurs prennent place. Il leur envoie par les narines, en guise de bienvenue, deux jets de fumée bien sentie. Ils ferment l’œil, grimacent. Ce n’est rien. Mieux qu’une belle ! Il leur tend le paquet. Qu’ils se servent… Le chagrin, ça se partage, non ? Trois se servent. Le quatrième refuse. Tant mieux. Dosso saura gérer l’acquis. Les sources de revenu ont tari. Par la faute à Guillaume et Michel, devenus ministres.
Dosso souffle la fumée qui fuse vers le sol en deux minces filets. C’est agréable ce qu’il ressent. Malgré tout. Il tire encore une bouffée avant de demander les nouvelles. La conversation s’anime. Ils parlent de tout. De leurs exactions à Bouaké. De la mort de l’ami Félix Doh. De la dernière rencontre avec Sam Bockarie, l’allié. De leur butin, et de leur avenir. Puis, le quatrième lui remet, après une explication rigoureuse, un plan bien matérialisé. Que préparent-ils ? La cigarette de Dosso déroule des volutes devant sa figure. Il cligne de l’œil, en raccompagnant les « bramôgô ».
La rue grouille de monde. Dosso marche nonchalamment. Avec son souci. Et une cigarette pendante à la lèvre inférieure. Elle laisse en arrière une traînée de fumée. Que cela lui ferait-il que tous ces gens toussent dans son dos ! Ils n’avaient qu’à rester chez eux ! Ils ont la chance qu’il ne peut plus décréter le couvre-feu ! Dosso aspire longuement.
Quelqu’un le rattrape et lui tend un papier. Il fume avec précipitation et lit le message en souriant : l’OMS… Vraiment… Dès que quelque chose est délicieux, c’est interdit. Il ne doit plus piller, violer, tuer… et fumer ici ! On lui a même arraché sa « kalach »…parce que, eux, sont nommés ministres. Même l’ancien barbu, le cuisinier ! Mais pourquoi les gens sont-ils ainsi ? Il écrase par terre sa cigarette inachevée, le temps de quitter là. Il froisse le charabia de l’OMS et le jette dans l’égout. Il fume. Qui pouvait se permettre de le déranger de la sorte, s’il avait son arme !
Voici un bar discret. La nuit est douce. Dosso est seul devant sa table. Mais pas l’unique client. Le regard derrière les lunettes sombres, il roule entre les mains une cigarette. Il la tapote. Il la porte à la bouche. Il craque une allumette avec l’ongle. Il approche la cigarette de la flamme, dans la coupe de ses mains. Il tire dessus. Le bout du tabac est en ignition. Il se verse dans le verre une rasade d’alcool. Il en prend une bonne lampée. Il rote. Ce breuvage est survoltant. Bien. Il n’aime pas les boissons qui chatouillent l’œsophage. Une autre rasade. Dosso en bois à petites gorgées ponctuées de dose bien servie de cigarette.
Il réfléchit à une chose. Il n’est ni zinzin ni baefouê pour espérer une intégration aux Fanci. Mathias ne le voudra pas. Cela aurait été facile, si le coup avait réussi. Eux seuls ont gagné. Même Roger s’est gardé de négocier pour Dosso et ses camarades. Or, Dosso n’assurait que la sécurité de l’ami du « Boss ». Sans qualification. Mais plus instruit que l’ancien barbu devenu quelqu’un. Son patron même a trouvé la mort dans les combats de Man. Et le « Boss » est, aujourd’hui, distant. Il ne veut plus entendre parler d’eux. Sans avoir payé leurs droits. Que va-t-il devenir, alors que le peu de ressources accumulées commence à fondre ?
C’est le silence. Quelque chose le démange dans la gorge. Il tousse un coup. Ce qui est parti, est plus sonore qu’il ne l’espérait. Qui a fait le dernier essai nucléaire ? Pas l’Irak, en tout cas ! Qu’importe ! Il lui en remontrerait des plus mélodieux. Quelle quinte retentissante ! La salle a « remué ». Le barman a sursauté. Le bâtiment a failli être soufflé. Dosso se frotte la poitrine d’où monte une douleur aiguë. Ça va aller… Juste un éclat d’obus pulmonaire. Il empoigne le verre. Il ingurgite le contenu afin de cicatriser la blessure interne. Que va-t-il devenir ? Le « Boss » l’a utilisé. Il n’a plus besoin de lui. Le plan ! Il se rappelle.
Il est 15 heures. Dosso emprunte une piste boisée. Il vient de déterrer quelque chose de précieux. Un ancien compagnon, qui impose respect. Il secoue son paquet de cigarettes. Il en tire une qu’il enflamme. D’une pichenette, il lance l’allumette en l’air. La petite comète atterrit dans les herbes. C’est prodigieux de pouvoir transformer une herbe sèche en cendre. Il fume, et balance le mégot dans la broussaille. Quelques instants plus tard, les sapeurs pompiers sont mis à rude contribution : la forêt du Banco est en flamme.
Que faire maintenant que la guerre veut finir ? Maintenant que Dosso et ses camarades seront parmi nous, et qu’une telle situation risque de se produire, réellement ? Que faire ?
Extrait d’un manuscrit de Germain Séhoué(inédit)