L`ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo et plusieurs de ses proches se trouvent en résidence surveillée à Korhogo et dans d`autres villes à l`intérieur du pays, depuis la chute de leur régime le lundi 11 avril 2011. Ils font l`objet, à la demande du président de la République, Alassane Ouattara, d`enquêtes préliminaires diligentées par la justice ivoirienne, afin d`établir ou non leur responsabilité ou culpabilité dans les violences meurtrières post-électorales. Le président ivoirien Alassane Ouattara a également demandé à la justice internationale de venir enquêter sur « les crimes les plus graves » commis en Côte d`Ivoire durant la crise post-électorale. Les enquêtes sont donc en cours et Laurent Gbagbo a déjà passé ses premières auditions avec le procureur ivoirien Simplice Koffi. Le hic, c`est que dans le même temps, l`ancien président déchu est ouvertement accusé par les nouvelles autorités d`être à la base des violences post-électorales en Côte d`Ivoire, qui ont causé des milliers de morts. Dans divers propos tenus récemment, le président Alassane Ouattara a mis sur le compte de son prédécesseur les nombreux crimes commis en Côte d`Ivoire pendant ces derniers mois. « C`est trop grave ce qui est arrivé. Pourquoi certains chefs d`État devraient être devant la Cour pénale internationale (CPI) pour ce qu`ils ont fait (c`est-à-dire) pour des crimes de sang, des crimes de guerre et que Laurent Gbagbo ne le soit pas? (…) Il a maintenu les gens par la terreur, par l`argent. Maintenant qu`il est dépouillé des moyens de l`État, il sera jugé sur ces questions de manière tout à fait normale. (…) Il sera jugé en interne et je demande qu`il soit jugé par la CPI », déclarait, le dimanche 22 mai dernier sur la chaîne France 24, Alassane Ouattara qui se veut intraitable sur le cas de l`ancien chef de l`État. A l`entendre, Laurent Gbagbo ne bénéficie pas de la présomption d`innocence. Il semble déjà condamné, avant même les résultats des enquêtes et le procès. « Le juge décidera du sort de Laurent Gbagbo, mais à mon avis, il y a tellement d`éléments accablants qu`il lui sera difficile d`échapper à la prison », a répété Alassane Ouattara le vendredi 27 mai, au cours d`un autre entretien qu`il a accordé à la chaine de radio française Europe 1. Le sort de Laurent Gbagbo serait scellé que son successeur ne le dirait pas autrement. A écouter le ministre de la Justice, Me Ahoussou Jeannot, on a envie de dire que «l`affaire Laurent Gbagbo est pliée », même si, selon lui, le « dossier est en cours ». « Le palais présidentiel était un mouroir, un lieu d`exécution. Alors, il faut bien répondre quand on pose des actes, surtout des actes qui portent atteinte à la vie humaine. L`ancien président était responsable des miliciens et de la Garde républicaine. Il aura à répondre, le dossier est en cours », a martelé le garde des Sceaux, le vendredi 3 juin dernier au sortir du conseil des ministres. Toutes ces sorties, à y voir de près, ne laissent aucune chance à Laurent Gbagbo. Comme dans le système judiciaire américain, l`ancien président déchu est perçu comme le coupable, et le ministère public est chargé de trouver les preuves de la culpabilité. Disons-le tout net, les propos des nouvelles autorités sur la procédure, alors qu`elle est en cours, sont de nature à gêner le travail de la justice. A moins que le chef de l`État et le ministre de la justice aient déjà connaissance des résultats des enquêtes pour être convaincus de la culpabilité de Laurent Gbagbo. L`on peut comprendre la colère de l`actuel locataire de la Présidence ivoirienne, d`autant que sa victoire, déclarée par la CEI le 02 décembre 2010 a été invalidée le lendemain par le Conseil constitutionnel qui a proclamé son prédécesseur président de la République. Cette situation a plongé la Côte d`Ivoire dans des affrontements d`une rare violence, sanctionnés par plusieurs milliers de morts, selon des rapports d`organisations internationales. Mais ces rapports accusent également le camp d`Alassane Ouattara d`avoir commis des tueries pendant la crise. Ce qui appelle l`appareil judiciaire à un traitement équitable du dossier post-électorale. Aussi, le nouveau président devrait-il donc s`abstenir de tout commentaire sur les enquêtes en cours, au risque d`être soupçonné d`influencer le travail des juges. Si Ouattara veut une justice forte « qui rende des décisions et non des services, et qui doit être la même pour tous », comme il l`a d`ailleurs relevée mardi 24 mai dernier au Palais présidentiel, il doit éviter de prendre position avant les résultats d`une enquête judiciaire. Le faisant, il mettra à l`aise les enquêteurs, qui pourront alors travailler en toute indépendance.
Y.DOUMBIA, L’Inter