On la disait marginalisée il y a quelques semaines, mais Laurent Gbagbo a finalement décidé de faire de sa femme « Simone » une arme dans la bataille de l’après élection présidentielle ivoirienne.
« Quand les temps sont durs vient le temps des durs ! » Cette maxime martelée par Charles Blé Goudé, le « général de la jeunesse » pro-Gbagbo, explique-t-elle le retour de Simone Ehivet Gbagbo sur le devant de la scène, au cœur du dispositif de « résistance » de son époux ?
Il y a quelques mois, on la disait marginalisée, ce que sa grande discrétion durant la campagne présidentielle semblait confirmer. Après avoir décidé d’annoncer elle-même la candidature du président sortant, lors d’un meeting à Abobo, elle avait pris du recul et des vacances prolongées en Suisse au début du second semestre 2010. Sa machine politique, le Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD), creuset des partis et associations engagés en faveur de la réélection de Laurent Gbagbo, était mise en veilleuse au profit de La Majorité présidentielle (LMP), un instrument semblable mais dont elle ne détient pas les leviers.
Les antichambres de la République bruissaient de récits faisant état de l’influence grandissante de Nadiana Bamba, une ancienne journaliste que Gbagbo a épousée selon le rite traditionnel malinké, et dont la régie, Cyclone, a cogéré la campagne avec le groupe français Euro RSCG. « Nady » avait-elle franchi le Rubicon en apparaissant publiquement lors de meetings dans la zone occupée par l’ex-rébellion, où elle exhortait ses « parents » dioulas à voter pour son « mari » ? Partie des salons, la rumeur avait fini par s’étaler dans la presse et sur les réseaux sociaux en ligne…
Mais entre les deux tours de scrutin, la tendance s’est inversée. Déçu par les contre-performances locales des « nouveaux venus », dont la mission était de marquer des points dans les terres du Nord, « le chef » a manifestement arbitré en faveur du Front populaire ivoirien (FPI) « canal historique » et donc de « Simone », qui a montré son efficacité à Abobo – commune d’Abidjan fidèle au Rassemblement des républicains (RDR), mais où la majorité présidentielle a bien résisté – et dans le Sud-Comoé – sa région d’origine, traditionnellement pro-Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui a basculé en faveur de LMP.
L’issue dramatique du second tour, et la bataille diplomatique et militaire qui s’est ensuivie ont renforcé l’importance stratégique de « Maman », comme l’appellent de nombreux militants. Fiable, déterminée et combative aux yeux de son mari, elle est un appui sûr au cœur de la tempête. Les analystes du microcosme ivoirien en sont persuadés : legouvernement de Gilbert Aké N’Gbo porte, d’une certaine manière, sa marque. Avant sa nomination, le Premier ministre était présenté par la presse d’opposition comme l’un de ses proches. Tout comme Lazare Koffi Koffi, le ministre de l’Environnement, ou sa cousine, Christine Nebout Adjobi, indéboulonnable ministre chargée de la Lutte contre le sida, gratifiée, en plus, du portefeuille de la Santé.
En mission à l’étranger ?
Que la lutte pour le pouvoir entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se règle par le dialogue ou par les armes, Simone aura un rôle de premier plan à jouer. Familière des réseaux d’influence israéliens, elle a les clés pour convaincre l’ancien allié – qui a fourni il y a quelques années drones d’observation et conseillers militaires – de s’impliquer à nouveau. Ce n’est sans doute pas un hasard si Anselme Seka Yapo, le chef de sa garde rapprochée, fait partie des « sanctionnés » de l’Union européenne. Il est au cœur du dispositif sécuritaire du régime.
« Il faudra compter avec elle en cas de négociation. Elle n’est pas qu’une première dame ; elle est avant tout vice-présidente du FPI et présidente du groupe parlementaire », rappelle un membre du cabinet de Simone Gbagbo. S’il ne nie pas des contacts avec certains chefs d’État de la sous-région et l’envoi d’émissaires dans divers palais présidentiels, il ne confirme pas qu’elle-même est allée discrètement en mission à l’étranger, notamment pour rencontrer le président béninois, Thomas Boni Yayi.
Simone Ehivet Gbagbo diplomate ? À 61 ans, la chercheuse en linguistique, dont le mémoire portait sur « le langage tambouriné chez les Abourés », reste un objet politique non identifié, aussi secret et méfiant que « Laurent » est volubile et charmeur. « Pur produit ivoirien », elle a toujours étudié, travaillé et milité en Côte d’Ivoire, n’a pas la connaissance du milieu politique français d’un Laurent Gbagbo, et est imperméable aux règles du « politiquement correct ». Cela tombe bien : ce n’est apparemment pas ce que son époux lui demande…
Par Théophile Kouamouo; Jeune Afrique