Un élément des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) qui avait joint Le Nouveau Courrier, il y a de cela plusieurs mois, pour confirmer les informations relayées sur les pratiques de torture de ses frères d’armes, disait ceci : «Je suis un militaire des FRCI et je suis meurtri par tout ce qui se passe sous mes yeux. Cela me révolte car on parle de réconciliation.» Après enquête, des victimes du régime tortionnaire d’Alassane Ouattara se confient. Sans cagoule ! Ils ont tous été victimes d’arrestations extrajudiciaires entre mars et juin 2012, accusés d’être des miliciens souvent en raison de problèmes personnels avec certains éléments des FRCI, et soumis à des traitements inhumains et dégradants. Leurs témoignages font frémir.
Hino Hié Rochman (30 ans), planteur Kroumen, enlevé à Tabou le 12 juin 2012 à 11h
«Ils m’ont torturé au point de me casser un testicule, je souffre et j’ai besoin d’aide»
«Mes ravisseurs me reprochent d’avoir fait campagne pour le président Laurent Gbagbo. Pour eux, celui qui est pro-Gbagbo est automatiquement milicien. Etant chez moi avec une connaissance, surnommé Bako (Bakayoko), qui est un élément des Frci, je reçois la visite de plusieurs autres éléments des Frci juste après le départ de celui-ci. Ces derniers étaient dirigés par le lieutenant Coulibaly, commandant Frci de Tabou. Ils m’intiment l’ordre de les suivre. Ils avaient déjà arrêté un ami, sergent-chef de police de Tabou. A peine leur ai-je demandé les raisons pour lesquelles ils m’ordonnent de les suivre, qu’ils se mirent à me passer à tabac avant de nous jeter dans une bâchée, le policier et moi, en direction de San Pedro. Je précise que ces FRCI m’avaient déjà enlevé à deux reprises puis m’avaient libéré après le paiement d’une rançon par ma mère (présidente des femmes Fpi de San-Pedro et Béréby) 250 000 FCFA pour la première fois et 150 000 FCFA pour la deuxième fois, respectivement le 1er juin et le 9 juin derniers. J’ai été invité à plusieurs reprises par certains éléments Frci à quitter la ville pour éviter le courroux de leur chef, mais comme je ne me reproche rien, j’y suis resté.
A San Pedro, dans un camp militaire au niveau de la clinique «Les Rochers», je suis abandonné entre les mains du capitaine Béma apparemment commandant de ce camp. Après qu’il a donné des ordres à ses éléments de me faire avouer les attaques de Para, je suis mis à poil avec une corde attachée à ma hanche, et on m’oblige à faire du thé. Aux environs de minuit, ils me font allumer du feu et m’obligent à fumer du cannabis. En plus, je suis menotté au niveau des pieds et des mains qu’ils attachent à une moto (KTM) comme pour m’écarteler. Ils me frappent également le plat des pieds avec des branches fraiches sous le regard du capitaine Béma. Ensuite, sous ses ordres, ils m’attachent à un poteau électrique pour m’électrocuter. Lorsqu’ils se rendent compte que je perds du sang, ils arrêtent. Et me font entrer dans une cellule quand ils se rendent compte que l’Onuci arrive dans le camp. Dans la nuit du 13 au 14 juin, Béma me fait comprendre que je suis l’amant de la copine du commandant Frci de Tabou, le lieutenant Coulibaly, une certaine Bénédicte. Voilà pourquoi je dois mourir. Au départ, il était question de m’assassiner, car selon Béma, mes parents ignoraient mon lieu de détention.
Les FRCI m’ont amené à une embouchure, entre le port de San Pedro et un village non loin de la zone, dans une bâchée dans laquelle il y avait sept de leurs éléments. Ils ont attaché des briques sur moi espérant que j’allais perdre mon souffle. C’est à cet instant, heureusement, que ma mère a tenté de me joindre au téléphone. Ils ont pris peur et ont exigé que je lui demande de leur remettre la somme de 500 000 FCFA moyennant ma libération. Le lundi 18 juin, lors de notre déferrement, le commissaire Doumbia de la préfecture de police de San-Pedro et les éléments Frci chargés de nous accompagner, dont un certain Aboubacar, ont tenté de nous assassiner au niveau d’Irobo. (…)
Quand je suis arrivé à la Direction de la surveillance du territoire (Dst), après être tombé malade et avoir été transféré dans une clinique (Saint Diane de la Riviera III), le médecin a constaté que j’avais une gonade (un testicule) cassée. Après une intervention chirurgicale, je suis contraint de porter une prothèse. Malgré tout cela, je suis déféré sans médicaments à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) depuis le 17 juillet 2012. Je ne reçois que trois injections chaque semaine. Je souffre énormément et j’ai besoin d’aide.»
Attoumou N’Guessan Henry Carlos (28 ans), enlevé à San-Pedro le 3 mars 2012 à 11h devant l’usine DAFCI
«Ils nous ont ligotés, mouillés et électrocutés»
«J’étais avec ma concubine lorsque des individus lourdement armés nous ont approchés et m’ont fait croire que j’étais recherché par la gendarmerie. C’est à partir de cet instant que ma souffrance a commencé. Mes ravisseurs, une fois dans le véhicule, se sont mis à me bastonner violemment et à m’étrangler jusqu’à destination, un camp non loin de la clinique «Les Rochers». Une fois en ces lieux, ils ont fait appel au préfet de police qui leur a donné l’ordre, en malinké, de me torturer sans laisser de séquelles sur mon corps afin d’éviter les problèmes avec les organisations des droits de l’homme et l’Onuci. Aussitôt, ils se sont mis à me ligoter comme un animal en sa présence et m’ont battu à coup de matraque sur la plante des pieds en exigeant que j’avoue une prétendue attaque de la ville de San-Pedro. C’est le capitaine Béma qui était le chef d’orchestre des séances de torture.
Dans les nuits du 3, 4 et 5 mars 2012, je suis ligoté en compagnie d’un autre prisonnier puis suspendu en l’air. Mouillés avec de l’eau, nous sommes électrocutés pendant ces trois nuits avant de rejoindre les autres prisonniers. Au nombre de quatre, nous sommes transférés sur Abidjan, à la Dst pour être entendus. Mais c’est à la préfecture de police que nous avons atterri le 29 mars avant d’être transférés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), le 11 avril dernier.»
Tébahi Guy Zonzahon Joël (38 ans), guérisseur traditionnel, enlevé le 8 février à Namézaria (Lakota)
«Ils m’ont présenté à la télévision comme un mystique libérien or je suis un Ivoirien d’ethnie wobé»
Revenant de Cocolihet, un village de Lakota, où je suis allé soigner une patiente, j’ai été arrêté à un corridor à l’entrée de Namézaria, en compagnie d’un jeune. C’est là que les éléments Frci nous ont accusés d’être des miliciens pro-Gbagbo et d’aller nous préparer mystiquement pour les attaquer. Nous leur faisons comprendre que certes nous sommes pro-Gbagbo, mais ne sommes guère des miliciens. Selon eux, pro-Gbagbo équivaut à milicien. Ils nous conduisent alors sous leur hangar où nous recevons des coups de crosse de kalachnikovs sur la tête. Ils brûlent des sachets et déversent le liquide sur nos corps avant de nous amener à Lakota-ville où le même scénario se répète jusqu’au 10 février. C’est à cette date-là que nous avons été convoyés à la Garde républicaine à Abidjan (Treichville). Je pensais être au bout de mes peines, mais j’ai très vite déchanté. J’ai été retiré des autres prisonniers pour être conduit au bord de la lagune Ebrié où j’ai subi de nombreux sévices. Le 11 février, en présence de Wattao et d’un certain Delta, je suis présenté à la télévision comme étant un mystique libérien venu préparer des miliciens pour attaquer les Frci. Pourtant, je suis d’ethnie Wobé, originaire de Totodrou dans la sous-préfecture de Kouibly. Je ne suis qu’un simple guérisseur, à la Maca depuis le 17 février 2012.
Bassoa Donald, agent d’une société de transport (SOTUS)
«Ils m’ont électrocuté jusqu’à ce que le disjoncteur saute de lui-même»
«J’ai été enlevé de chez moi à San-Pedro vers minuit, le 5 mars 2012, parce que je suis président de jeunes guéré de la ville. Ce jour-là, ma famille a été violentée sous prétexte qu’étant d’ethnie guéré, j’ai forcément connaissance des caches d’armes et d’un projet de déstabilisation du pays. J’ai été embarqué pendant que mon domicile faisait l’objet de pillage par des éléments Frci en treillis et en civil, avec à leur tête un jeune mécanicien qui leur servait d’indic. Conduit dans un camp non loin de la clinique «Les Rochers», j’ai été torturé sous le regard du capitaine Béma de la manière suivante :
-Un tuyau de Sodeci introduit dans ma bouche a été ouvert jusqu’à ce que mon ventre rempli d’eau, je fasse pipi sur moi.
-On procédait à mon électrocution après m’avoir mouillé avec de l’eau, jusqu’à ce que le disjoncteur saute de lui-même.
Le 29 mars, j’ai été transféré à Abidjan à la DST et le 11 avril à la Maca.
Djédjé N’Dré Samuel (53 ans), agent à la scierie (African Industrie) de San-Pedro
«Le tortionnaire du camp était appelé «Mecano»»
«J’ai été enlevé le 14 juin à 18h à mon retour du service. J’ai été conduit au camp Frci non loin de la clinique «Les Rochers» sous le motif fallacieux que je recrute des personnes pour déstabiliser le régime. Arrivé dans ce camp, je suis mis à poil et interrogé vigoureusement par mes ravisseurs qui n’ont pas hésité à casser mes lunettes pharmaceutiques. Je suis conduit dans le bureau du capitaine Béma qui donne l’ordre de m’enfermer puis de me torturer afin de m’arracher des aveux. C’est ainsi qu’à minuit, je suis ligoté à un poteau électrique en aluminium. On me frappe sous le plat des pieds de minuit jusqu’à 2h du matin. La deuxième étape, selon eux, est la phase de l’électrocution, ce qui revient à faire passer une décharge électrique de 220 volts dans mon corps. Je précise que le tortionnaire du camp s’appelle « Mecano ». Ma séance de torture a continué avec l’équipe des Frci qui est «montée» le 15 juin. Le 16 juin, accompagné d’un certain Doumbia, un adjoint au commissaire et quelques éléments Frci, sont allés perquisitionner chez moi. Le 18 juin, j’ai été transféré à la Dst, d’où j’ai été transféré à la Maca le 6 juillet.»
Blé Guédé Gérard (39 ans), agent à la SAPH à Divo, enlevé le 8 février 2012 à Niamézaria
«Arrêté parce que suis allé voir un ami arrêté»
«Parti m’enquérir des conditions d’arrestation d’un ami, Tébahi Guy, j’ai été molesté, attaché à l’aide d’un câble électrique. J’ai pratiquement subi les mêmes sévices corporels que mon ami. Nous avons reçu des coups de crosse et avons été torturés à l’aide de plastique brûlé sur nos corps et des coups de matraque et de crosses. Nous avons ensuite été transférés à Abidjan avec d’autres jeunes de la région sous le prétexte que nous sommes des pro-Gbagbo donc des miliciens qui s’apprêtent à attaquer le régime.»
Témoignages recueillis par Benjamin Silué