L’usage d’armes chimiques constitue une violation inadmissible, non seulement du droit international mais aussi des principes de la simple humanité. Je mesure à cet égard les préoccupations du Président de la République, et je ne suis aucunement disposé à faire du débat actuel l’objet d’une querelle politique interne. Autour du drame syrien s’entremêlent éthique et géopolitique, cœur et raison. Trancher est complexe.
Nous ne sommes ni en Libye, ni au Mali. La Syrie est déchirée par une guerre civile et confessionnelle qui ne se réduit pas exclusivement à la dictature implacable exercée par le régime de Bachar el-Assad. La région est une poudrière qui peut enflammer le Liban, menacer Israël et l’Europe, alimenter dans le monde arabe le conflit entre sunnites, chiites et chrétiens. Agir militairement, c’est donc prendre un risque élevé avec des conséquences qui peuvent se révéler très lourdes. Il faut le savoir et le dire au peuple français qui ne doit pas être bercé dans l’illusion d’une opération éclair et sans suites.
Peut-on cependant, si les faits et les auteurs de ce massacre chimique sont incontestablement avérés et désignés, « regarder ailleurs » ? Ne risque-t-on pas, en s’abstenant, de laisser les coupables renouveler leur crime ? Ne risque-t-on pas aussi de légitimer pour l’avenir, dans une région dangereuse, l’usage de telles armes ? En détournant les yeux, la communauté internationale ne risque-t-elle pas d’encourager l’interdit, dont l’accès aux armes de destructions massives, iranienne par exemple ?
Oui, je mesure les enjeux et les questions qui tiraillent le Président de la République, mais il y a eu des erreurs.
La première erreur a été d’envisager une « action de force » sans en avoir défini ou arrêté précisément les modalités. Dans les derniers jours, cet entraînement irréfléchi a conduit à soutenir l’idée d’une intervention militaire franco-américaine conduite hors des règles de la charte des nations unies. Mais le droit de la guerre proscrit précisément ce type d’action, sauf dans le cas de la légitime défense. On ne peut pas à la fois vouloir réprimer une atteinte au droit international et s’affranchir de toutes les règles pour y parvenir. C’est aussi faire peu de cas des conséquences éventuelles dans la région d’une intervention aussi unilatérale et d’une « occidentalité » si marquée.
La seconde erreur tient au contraste qui existe entre la violation du droit international que François Hollande envisage de commettre et le flou de ses objectifs. Il s’agirait de « sanctionner », de « punir » le président syrien. Mais après… Que veut-on à la fin ? Renverser Bachar el-Assad ou le dissuader de franchir des « lignes rouges » ? Sa neutralisation où la victoire des rebelles ? Sa défaite totale ou la négociation ? L’affaire syrienne demande une vision précise des buts politiques à atteindre. Aujourd’hui, ils font défaut.
La troisième erreur a été de se glisser si vite dans la roue des Etats Unis et de se laisser placer dans une situation où, au fond, les parlementaires américains paraissent seuls susceptibles, par leur président interposé, de motiver l’intervention française. Elle est là, l’atteinte à la souveraineté nationale, bien plus que dans un vote des parlementaires français sur une décision très grave, dans les faits comme dans le principe. Le Chef de l’Etat et chef des armées doit évidemment conserver le pouvoir d’engager l’action militaire dans les formes prévues par l’article 35 de la Constitution. Il y a là un gage d’efficacité qui a fait ses preuves et fait de nous l’un des derniers Etats sur lesquels on puisse immédiatement compter dans les cas graves. Mercredi, le Parlement est informé. L’absence d’un vote est compréhensible car tous les paramètres ne sont pas encore connus. Mais je crois que François Hollande ne pourra pas s’abstenir de faire délibérer la représentation nationale lorsqu’ils seront tous connus : qui est responsable selon l’ONU ? qui est prêt à intervenir ? pour quels buts diplomatiques et militaires ?
J’entends qu’il serait possible de s’affranchir de l’ONU. Ce raisonnement me paraît irresponsable. Se passer de l’ONU créerait un précédent dangereux, susceptible d’être invoqué à notre détriment lorsqu’un jour des Etats qui ne sont pas nécessairement nos alliés auront décidé de prendre des initiatives unilatérales dans ce qu’ils définissent comme leur zone d’influence. Le système de l’ONU n’est pas parfait mais il n’en existe pas d’autre !
C’est la raison pour laquelle toute éventuelle action militaire passe d’abord par la remise du rapport des inspecteurs de l’ONU, établissant les responsabilités – à laquelle ne saurait se substituer la diffusion de « notes » des services secrets français ou américains.
Sur la base de ce rapport, la France doit prendre l’initiative d’une résolution pour faire délibérer le conseil de sécurité, après avoir rendu responsables, dans tous les sens de ce terme, les Etats qui soutiennent Bachar el-Assad. Au premier chef la Russie, qui, s’étant attribué le rôle de protecteur de ce régime, doit également en assumer les conséquences, c’est-à-dire jouer le rôle qu’on attend d’elle dans le concert des nations.
Parallèlement, j’attends du Président de la République qu’il réclame la convocation sans délai d’un conseil européen car la voix de l’Europe est inexistante, indigne de son rang.
Voilà les conditions qui, selon moi, doivent être remplies avant toute éventuelle intervention militaire. Sans elles, toute opération serait à mon sens une lourde faute. Monsieur le Président, attention !
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