« Est-il vrai que le fils de Christiane Taubira est en prison pour meurtre ? » Alors que la garde des Sceaux défend sa réforme pénale face aux accusations de « laxisme » de l’opposition et aux réticences des syndicats de police, la question est récurrente, début septembre, dans les commentaires des internautes sur francetv info. Ceux qui ont cherché la réponse sur Google ont pu être encouragés à nous la poser par les suggestions du moteur de recherche. Francetv info leur répond.
Que dit la rumeur ?
« Je suis la mère du jeune que votre fils a assassiné cruellement dans la station service où il travaillait de nuit pour pouvoir payer ses études et aider sa famille.« C’est cette phrase qui fait douter des centaines d’internautes. Elle est issue d’une « Lettre d’une mère à une autre mère » affublée de la mention « HISTOIRE VRAIE ». « Ce courrier » circule sur internet depuis mai 2013, selon Hoaxbuster.com, un site qui chasse les canulars du web. On le trouve sur les forums de discussion de Yahoo! ou Aufeminin.com, autant que sur des sites d’extrême droite. Le nom de Christiane Taubira n’apparaît pas toujours dans le texte, il est parfois ajouté au titre, par les internautes qui le relaient.
Qu’est-ce qui prouve que l’histoire est inventée ?
« J’ai vu votre protestation énergique devant les caméras de télévision contre le transfert de votre fils de la prison de Lyon à la prison de Mulhouse. » L’auteur de ces lignes reproche à la garde des Sceaux de se plaindre des présumées conditions de détention de son fils. Dans une version antérieure du courrier, en ligne depuis septembre 2012, les prisons françaises sont des prisons belges, situées à Arlon et Leuven (Louvain, en français). Il n’existe aucune trace de cette « protestation énergique devant les caméras de télévision » de la part de la ministre de la Justice. Par ailleurs, un citoyen lambda n’a aucun moyen de savoir si une personne se trouve en prison. « C’est une information confidentielle », affirme l’avocat et blogueur Maître Eolas, contacté par francetvinfo.
En outre, ces lettres sont très souvent signées « Edith Besançon, 10 montée Beaumur, 38200 Vienne », suivi de deux numéros de téléphone. Le Dauphiné a contacté Edith Besançon, bien réelle et domiciliée à l’adresse indiquée. « Aucun de mes fils n’a été assassiné, explique-t-elle. Quant à Madame Taubira, je n’ai rien de particulier contre elle. »
Que sait-on du « fils » de Christiane Taubira ?
L’auteur de la lettre ne donne aucune information sur la famille de Christiane Taubira. L’accusé est uniquement désigné par « votre fils ». Ni prénom, ni nom, ni âge. Rien d’étonnant. La ministre guyanaise est toujours restée discrète à ce sujet, dans les médias. Une recherche, même approfondie, sur internet, ne nous apprend qu’une chose de façon certaine : Christiane Taubira a quatre enfants, deux garçons et deux filles. Il faut se plonger dans son autobiographie parue en 2012, Mes météores (Flammarion), pour apprendre que son fils aîné, Lamine, a eu plusieurs fois maille à partir avec les gendarmes de Cayenne.
En 1996, âgé de 15 ans, il a été arrêté pour « non-port du casque » sur son scooter. Il se trouvait dehors un soir d’émeutes, « ne faisait pas partie des pilleurs », selon le gendarme qui reçoit alors Christiane Taubira, mais avait en sa possession des « babioles » dérobées par des casseurs. A son procès, Lamine écope d’un rappel à la loi et d’une inscription de l’affaire dans son casier judiciaire.
En 1999, il est accusé, à tort, d’être impliqué dans un vol de scooter. Le père de la victime retire sa plainte, quand sa fille assure que Lamine est innocent. Il obtient, en échange, que Christiane Taubira paie les « deux tiers de la valeur du scooter qui n’était pas neuf », raconte la ministre dans Mes météores.
A-t-il déjà été condamné ?
Le magazine Valeurs actuelles évoque, mercredi 11 septembre, une autre affaire, jamais mentionnée dans l’autobiographie de la garde des Sceaux, publiée en 2012. Sur son site, le journal raconte comment Christiane Taubira aurait « tenté de faire annuler », en 2001 [elle était alors députée de Guyane], une « condamnation avec dispense de peine » de son fils par le tribunal de Bourges pour « complicité de vol ». Valeurs actuelles, dans son édition du jeudi 12 septembre ne dit pas plus de quel fils, ni de quelle peine il s’agit. Il s’agirait dans tous les cas d’un délit et non d’un meurtre.
D’où vient cette légende d’internet ?
Du Brésil, selon Le Canard enchaîné. Ou d’ailleurs. Une lettre identique, rédigée en espagnol, s’adresse à la mère d’un membre de l’organisation terroriste basque ETA, une autre (en espagnol aussi) dénonce un meurtre commis par le Sentier lumineux, commando d’extrême gauche qui a fait régner la terreur au Pérou dans les années 1980 et 1990. L’existence de nombreuses adaptations d’une même histoire est l’une des caractéristiques des légendes d’internet, comme des légendes urbaines que se racontent les adolescents pour se faire peur.
Les Anglophones appellent cela un hoax : un canular. Sous cette forme, il s’agit plus précisément d’un glurge : une histoire émouvante montée de toutes pièces, destinée à faire adhérer les lecteurs à une morale sous-jacente. La circulation de cette rumeur infondée est facilitée par les suggestions des moteurs de recherche, comme Google ou Bing, qui proposent systématiquement les mots clés les plus souvent associés par les internautes au nom de Christiane Taubira.
Pourquoi Christiane Taubira est-elle visée ?
En mai 2013, la « Lettre d’une mère à une autre mère » émerge juste après le vote de la loi sur le mariage pour tous. La garde des Sceaux a passé plusieurs semaines à défendre son texte, s’attirant admirateurs et détracteurs. A l’agenda de Christiane Taubira, s’ajoute, à la rentrée 2013, la réforme pénale, qui lui vaut les critiques de l’opposition de droite. Son projet est qualifié de « laxiste », car il prévoit la fin des peines planchers pour les récidivistes et la création d’une peine de probation, destinée à remplacer les peines de prison prononcées pour les délits et inférieures à cinq ans.
L’intégral dans http://www.francetvinfo.fr/societe/justice/taubira-fils-prison-decryptage-d-une-folle-rumeur_408303.html#xtor=AL-79