« On n’a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts », a déclaré, effondrée, la maire de Lampedusa, Giusi Nicolini. « C’est une horreur, une horreur; ils n’arrêtent pas d’apporter des corps ».
Au moins 40 nouveaux cadavres ont été découverts par des plongeurs des garde-côtes, dans et autour de l’embarcation, qui gît retournée à une quarantaine de mètres de profondeur. Des médias ont parlé d’une centaine de corps dont ceux de femmes et d’enfants, venant alourdir un précédent bilan officiel de 93 morts.
« C’était tragique de voir les corps des enfants », a déclaré à l’antenne de la télévision Sky TG24 Pietro Bartolo, un responsable sanitaire de l’île, très ému. Lampedusa « n’a pas assez de cercueils » et a dû en faire acheminer par avion, a-t-il dit.
Rome a décrété vendredi « deuil national » et une minute de silence sera observée dans toutes les écoles ainsi qu’avant tous les matchs de football du championnat.
Le vice-Premier ministre Angelino Alfano, dépêché sur place, a donné des précisions sur les circonstances du drame. Les migrants, en majorité des Somaliens et Erythréens, étaient partis des côtes libyennes. L’accident s’est produit « à 0,3 mille nautique (550 mètres) » de la côte, a-t-il dit.
Le bateau de pêche a commencé à prendre l’eau et « de peur qu’il ne coule, les migrants ont enflammé une couverture (pour attirer l’attention, ndlr), mais cela a provoqué un incendie, puis le navire a chaviré », selon M. Alfano.
« Un océan de têtes »
Un pêcheur, Rafaele Colapinto, a expliqué sur Sky TG24 être venu en aide à des migrants: « On a vu un océan de têtes, on a mis une demi-heure pour embarquer chacun d’entre eux car ils étaient glissants à cause du gazole ».
Sur le port s’alignaient des dépouilles, enveloppées dans des sacs mortuaires verts. Faute de place, elles étaient ensuite transportées dans un hangar de l’aéroport de l’île.
Une jeune Erythréenne encore en vie a été retrouvée parmi eux, après qu’un sauveteur eut remarqué qu’elle respirait encore. Placée en réanimation à l’hôpital de Palerme, en Sicile, elle se trouve dans un état grave, déshydratée, en hypothermie, atteinte d’une pneumonie après avoir ingéré, comme les autres victimes, du gazole échappé du bateau.
Mme Nicolini a envoyé un télégramme amer au Premier ministre Enrico Letta lui demandant de « venir compter les morts avec (elle) » et a accusé l’Europe de « détourner le regard (..) face à l’énième massacre d’innocents qui a lieu devant (son) île ». Elle a rappelé que Lampedusa, plus proche des côtes nord-africaines que de la Sicile, est « depuis des années » la destination des immigrés clandestins.
« C’est un drame européen, pas seulement italien », a expliqué M. Alfano, en demandant que l’Italie, où ont afflué 25.000 migrants cette année (trois fois plus qu’en 2012), puisse étendre ses patrouilles « au-delà de ses eaux territoriales ».
La ministre de l’Intégration Cécile Kyenge, originaire de République démocratique du Congo et première Noire dans un gouvernement italien, a réclamé une coordination européenne pour instaurer « des couloirs humanitaires afin de rendre plus sûres ces traversées sur lesquelles spéculent des organisations criminelles ».
Un jeune Tunisien, recueilli lui aussi, aurait été reconnu par les survivants comme l’un des passeurs et a été arrêté par la police.
« Une honte »
Le président italien Giorgio Napolitano a demandé à « l’Europe de stopper le trafic criminel d’êtres humains en coopération avec les pays de provenance » et a jugé « indispensable la surveillance des côtes d’où partent ces voyages du désespoir et de la mort ».
Le pape, qui s’était rendu pour son tout premier voyage hors de Rome à Lampedusa début juillet, a parlé de « honte » face aux « nombreuses victimes de cet énième naufrage ».
Selon le réseau d’ONG Migreurop à Paris, en vingt ans, 17.000 migrants sont morts en tentant de rallier l’Europe. La dernière tragédie la plus meurtrière remonte à juin 2011, quand 200 à 270 migrants originaires d’Afrique subsaharienne et fuyant la Libye s’étaient noyés en tentant de gagner Lampedusa.
AFP