(Xinhua) — A la différence de l’Occident, la Chine ne donne pas des leçons de démocratie à l’Afrique, a indiqué l’altermondialiste et ancienne ministre malienne de la Culture, Aminata Traoré, dans une interview à Xinhua à Dakar.
Mme Traoré était à Dakar pour animer une conférence publique sur les « fondements culturels pour le développement de l’Afrique dans un contexte de crise mondiale ».
Xinhua : Qu’est-ce qui explique ces crises multiples ( politiques, économiques..) en Afrique, un continent qui a déjà du mal à décoller ?
Aminata TRAORE : On assiste à l’effondrement d’un système économique et politique et, depuis trois décennies, nos pays ont mis en oeuvre ces politiques économiques qui ont aggravé considérablement le chômage et la pauvreté. Par exemple, le nord du Mali qui fait l’actualité, était aussi soumis à ces politiques économiques qui expliquent les difficultés auxquelles l’ensemble des populations de notre sous-région sont confrontées. Et ce sont ces difficultés qui font, aujourd’hui, le terreau de ce qu’on appelle : le terrorisme, l’islam radical etc. Les gens sont désespérés.
Xinhua : Y a-t-il dans ces conditions de crises tous azimuts une voie pour le développement de l’Afrique ?
Aminata TRAORE : Je suggère qu’on procède à une lecture globale de la situation qui intègre toutes les dimensions. Parce que si on s’en tient aux faits récents, nous irons vers des solutions sans lendemain. Or si nous procédons à une lecture beaucoup plus globale en se demandant par exemple, concernant le cas du Mali : pourquoi ces gens (les islamistes) ont pu, à partir de Kidal, venir jusqu’à Tombouctou, Gao ? L’on comprendra que ce n’est pas seulement du fait de la défaillance de l’armée malienne. Et cela nous aidera à poser le débat sur nos armées nationales, à savoir : de quelle armée disposons-nous ? Pourquoi tant de coups d’Etat en Afrique…?
Xinhua : C’est quoi, pour vous, la solution ?
Aminata TRAORE : Pour moi, le pouvoir de la culture, c’est le pouvoir des peuples et, cela veut dire qu’il faut qu’on recentre le développement sur les gens, sur leurs besoins. J’ai l’impression que nos dirigeants ne le comprennent pas. Par exemple, la CEDEAO qui joue un rôle central dans la crise au Mali n’est pas suffisamment à l’écoute des peuples et plus particulièrement des peuples maliens. Or, valoriser la dimension culturelle du développement et de la démocratie, c’est donner davantage de pouvoir aux gens. Que les gens comprennent dans quel système économique mondial nous sommes et quelles sont les crises qui agitent le système. Pourquoi les décideurs des pays à démocratie dite avancée qui sont confrontés eux-mêmes à de graves crises économique (Grêce, Espagne etc), se posent en donneurs de leçon de démocratie chez nous. C’est parce que nous mêmes avons le sentiment que nous n’avons pas de réponse à nos propre maux. Donc, l’Afrique doit pouvoir redresser la tête en remettant en question des comportements de gaspillage, le mimétisme, la volonté de rattraper coûte que coûte d’autres. Et c’est cette volonté de rattrapage qui nous oblige à acheter constamment chez les autres alors que nous ne leur vendons rien. Dans ces conditions on ne peut pas s’en sortir.
Xinhua : Vous avez évoqué la coopération Chine-Afrique, est-ce une voie pour le développement du continent ?
Aminata TRAORE : A la différence de l’Occident, la Chine a au moins la décence de ne pas donner de leçons de démocratie est de déclarer des guerres pour la protection des peuples etc. C’est à nous Africains de savoir où sont nos intérêts parce que les autres se battent pour leurs intérêts et personne ne nous fera de cadeaux. Donc, nous devons nous comporter en Africain responsable, riche des enseignements de ces dernières années, en Africain qui sait ce qu’il faut attendre de la Chine. Nous devons savoir qu’une fois que la Chine investit ou donne des fonds dans tel ou tel autre secteur, on doit être vigilant quant à l’utilisation de ces ressources. Parce que, par exemple, l’Europe nous a endettés à notre insu. Donc, la Chine se comportera en fonction des exigences des peuples. Et nos propres dirigeants ne changeront de comportement que lorsqu’ils sauront que derrière eux ils ont des peuples avisés qui n’ont plus envie qu’on leur marche sur les pieds.