Il fut un temps où Paris ne tournait pas sept fois sa langue dans sa bouche avant de lancer ses parachutistes à l’assaut des rebelles qui menaçaient les présidents dictateurs africains. En vertu des accords de défense signés avec ses anciennes colonies après les indépendances et qui la contraignaient à intervenir en cas de tentative de déstabilisation des pouvoirs en place, la France a volé au secours du maréchal Mobutu au Zaïre en 1978, du Tchadien Hissène Habré en 1983 ou du président togolais Eyadema en 1986… En cinquante ans, les soldats de l’ancienne métropole ont foulé une quarantaine de fois le sol africain, pour porter secours aux ressortissants français ou aux pouvoirs en place.
Ce temps est révolu, si l’on en juge la nouvelle stratégie française qui s’est mise en place depuis le début de la crise en Côte d’Ivoire. Les autorités françaises ont en effet exclu d’intervenir militairement dans le conflit, comme elles le firent par exemple en 2004, quand l’armée assiégée avait ouvert le feu devant l’hôtel Ivoire à Abidjan.
Paris, qui a très vite lâché Laurent Gbagbo, déploie en revanche une intense activité diplomatique pour tenter d’asseoir le pouvoir de son rival Alassane Ouattara sur la scène internationale. La France semble avoir pris la tête d’une sorte de coalition diplomatique formée de l’ONU, des États-Unis et de l’Union européenne et dont le but serait d’isoler le président sortant. Le 17 décembre, Nicolas Sarkozy a exhorté Gbagbo à quitter son poste avant la fin de la semaine. Après avoir pris la décision d’installer un nouvel ambassadeur pro-Ouattara à Paris, le Quai d’Orsay a annoncé que les pays de l’UE ne reconnaîtraient plus que les ambassadeurs du président «légitimement» élu.
Une position délicate
Particulièrement prudente, la France fait tout pour éviter d’être accusée d’intervenir dans les affaires intérieures de son ancienne colonie. Sur place, elle a laissé les Nations unies occuper la première ligne. C’est au sein de l’Union européenne qu’elle défend désormais les sanctions visant les proches de Gbagbo. Et c’est du bout des lèvres, «en cas de dégradation de la situation » seulement et si d’autres pays européens font de même, prévient Michèle Alliot-Marie, la ministre des Affaires étrangères, que Paris accepterait de soutenir l’effort logistique de l’Onuci, la force de maintien de la paix de l’ONU en Côte d’Ivoire, qui se dit «asphyxiée» par le clan Gbagbo.
À Paris, où la Françafrique a plusieurs fois été enterrée, au moins en paroles, et où les accords de défense avec les anciennes colonies africaines ont été revus et corrigés à la baisse, on estime désormais qu’il appartient aux Africains de régler cette affaire.
La position française n’en reste pas moins délicate. 15 000 expatriés sont enregistrés en Côte d’Ivoire et pourraient, si la situation dégénérait, être pris à partie par les partisans du président battu. Les pays d’Afrique de l’Ouest l’ont menacé d’une intervention militaire s’il s’accrochait trop longtemps à son fauteuil. Mais en Europe, il n’y a pas grand monde pour parier sur l’efficacité de la Cedeao, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. Alors, en cas de chaos, qui s’interposera ?