Un grand bouleversement est en train de s’opérer dans le monde agricole ivoirien. Une nouvelle race de grands planteurs arrive. Leur culture principale n’est pas le cacao ou le café qui ont révélé les Sansan Kouao, Yao Fils Pascal, Bléhoué Aka et autres. Eux s’intéressent à l’hévéa. Aujourd’hui, ils sont en passe de rivaliser avec les grands paysans de la filière café-cacao. Tant leur activité est juteuse. Une incursion dans leur milieu naturel nous a permis de nous en rendre compte.
Dans le campement Gourodougou, à 20 Kilomètres de San Pedro, sur l’axe allant à Méagui, le vieux Goulidré Bi Zaouli, ne fait pas ses 66 ans. Sans doute du fait des acquis ou de ses réalisations. Il vit dans la région de San Pedro depuis 1975, soit 35 ans. Très jovial, il a du mal à contenir sa joie de voir une équipe de journalistes venir à sa rencontre, pour s’informer sur le travail qu’il fait. Pour lui, c’est une réussite.
Revirement
Très décontracté, le vieux Zaouli nous plonge dans les années 1985 et 1986. L’expression de son visage s’assombrit. C’est qu’à cette époque, une maladie avait attaqué les cacaoyers. La récolte a été bien maigre. Gagné par le découragement, M. Zaouli était sur le point de faire ses bagages pour rejoindre son Zuénoula natal. C’est alors qu’arrive le projet de plantation d’hévéa, initié par la Société africaine de plantations d’hévéas (Saph). Qu’à cela ne tienne ! Il décide de tenter sa chance et s’inscrit parmi les premiers bénéficiaires de cette opération de sauvetage, avec le numéro Pvh 37. Ses sept hectares de plantation sont encadrés par les techniciens du projet. Le test est positif. Les premiers résultats redonnent le sourire à M. Zaouli. L’appétit venant en mangeant, il met lui-même en valeur 13 autres hectares de forêts entre 1999 et 2001. Soit au total 20 ha entièrement consacrés à l’hévéaculture. Aujourd’hui, le regard de ses amis qui ne lui prédisaient pas le moindre avenir dans cette aventure agricole a changé. C’est que le vieux Goulidré Bi Zaouli affiche une certaine aisance dans son environnement. Sur le plan social, il annonce fièrement avoir trois femmes et 20 enfants. Économiquement, sa situation s’est considérablement améliorée. Il a construit une maison qui fait sa fierté dans son campement. Elle dispose d’un parking occupé récemment par un véhicule de type 4×4. Il peut se permettre de sillonner ses plantations en voiture. En plus, il a acheté deux motos. Depuis que la saignée de ses arbres lui procure des avantages substantiels, des besoins citadins trottent dans la tête du vieux. A Gourodougou, l’habitation de M. Zaouli est éclairée. Il s’est offert le luxe d’installer une centrale solaire. Quoi de plus normal quand il peut récolter huit tonnes par mois sur ses 20 ha, avec ses cinq employés ? Aujourd’hui, le paysan veut créer une plantation dans sa région d’origine. Ses ressources, il veut les faire fructifier davantage. Depuis quelques mois en effet, il est propriétaire d’une parcelle de terre à Yopougon quartier Gesco. Sur son terrain, le vieux planteur monte un immeuble à cinq niveaux. De la Saph, il attend une aide financière pour boucler ses projets.
Aisance
Le cas du vieux Zaouli n’est pas isolé dans les régions productrices de caoutchouc naturel. Les jeunes sont de plus en plus attirés par cette spéculation. C’est le cas de Tra Bi Boli. Il nous reçoit dans sa concession perchée sur les collines du village de Blahou dans la sous-préfecture de Gabonais. Ses deux hectares de cacao et de café ne sont plus que de vieux souvenirs. « Aujourd’hui, j’ai tout abandonné et remplacé par l’hévéa », confie-t-il. Il a sept hectares d’hévéa. Avec ses deux femmes et cinq enfants, les signes de son aisance ne passent pas inaperçus. Il a déboursé plus d’un million de Fcfa pour avoir de l’énergie solaire dans sa maison. Il projette d’agrandir ses superficies cultivées. Mais la terre fait défaut. En effet, comme le miel attire les mouches, l’hévéaculture aiguise l’appétit des villageois. Les nouveaux planteurs se déportent vers Sassandra à la recherche de terres cultivables. Tra Bi Boli, avec ce que lui procurent ses plantations, a choisi de diversifier ses sources de revenus. C’est ainsi qu’il s’essaie à l’immobilier. A San Pedro, il a acquis un terrain dont la mise en valeur a commencé, par une série de maisons. Dans le village de Tourédougou (San Pedro), beaucoup d’habitants ont vu leur vie changer depuis. M. Inza Konaté en fait partie. Avec ses 40 tonnes de caoutchouc, il est devenu un candidat régulier au Hadj.
L’hévéaculture étend ses tentacules. Les zones réputées propices à d’autres cultures sont touchées.
Généralisation
Dans la région de Soubré, devenue la nouvelle boucle du cacao, on note désormais un engouement certain pour l’hévéa. A Yacoulidabouo, village moderne de la région, plusieurs jeunes s’en tirent plutôt bien. « Nous n’avons rien à envier aux bureaucrates des villes en terme de revenus. Encore que sur nos terres, nous n’avons pas les mêmes charges que les citadins, en termes de logement ou de transport pour aller au travail », clament-ils. Même la région d’Abengourou qui ne semblait pas s’intéresser à cette culture commence à enregistrer de grosses pointures.
Concurrence
Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En moins de deux ans, le nombre de planteurs a augmenté de 14.000, passant de 36.000 en 2008 à 50.000 aujourd’hui. Les plantations villageoises ont livré 62% de la production ivoirienne estimée à 300.000 tonnes en 2009.
Avec cette part importante dans le tonnage national, il est clair que la concurrence fait rage autour des planteurs individuels. De fortes spéculations ont lieu dans les campagnes. En fait, les producteurs tirent largement profit de la concurrence que se livrent les usiniers.
Alors que le kilogramme de caoutchouc était de 562 Fcfa au mois d’août, il est passé à 600 Fcfa en septembre. Dans cette compétition, les usiniers ont le regard tourné vers la Saph, la plus grosse et la plus ancienne structure de la filière. Dès que cette dernière fixe son prix d’achat, ses concurrents font monter les enchères. Mais, avec son expérience, cette société arrive à tirer son épingle du jeu. C’est à croire qu’elle a plus d’un tour dans son sac. En effet, la Saph, en plus des primes de fidélité, de conjoncture et de rentrée scolaire, met à la disposition des producteurs un bonus qualité. Elle n’hésite pas à avaliser les paysans dans les institutions bancaires. Sa dernière trouvaille est le lancement de l’assurance maladie en faveur des producteurs et de leurs familles. « C’est pratiquement une arme fatale contre les autres industriels», confie un encadreur, sous le couvert de l’anonymat. Avec 9.900 Fcfa de cotisation mensuelle, l’hévéaculteur, sa femme et quatre de ses enfants de moins de 21 ans sont couverts à 80% pour les consultations, 70% pour les frais de pharmacie et 100% en cas d’hospitalisation. L’assurance prend totalement en charge les frais d’accouchement. Pour M. Tra Bi Boli, rien que l’assurance maladie suffit pour le fidéliser. Comme lui, bien de ses pairs semblent avoir un contrat de reconnaissance avec la structure.
Comme on le voit l’hévéaculture constitue une véritable source de revenu pour les producteurs.
Adama Koné (fratmat)